INVASION DE L'UKRAINE

L’enfer absolu : des prisonniers ukrainiens torturés et brûlés pour effacer les traces

Avant de se faire capturer, Anna Vorosheva a fait plusieurs trajets à ses risques et périls pour acheminer des vivres et mettre un maximum de personnes à l’abri. Son compte Twitter

Une cinquantaine de soldat de l’armée ukrainienne sont morts dans les explosions survenues le 29 juillet à la prison d’Olenivka, près de Donetsk, où ils étaient détenus. Si Kiev et Moscou s’accusent depuis mutuellement d’avoir bombardé la prison, Anna Vorosheva (45 ans), une bénévole ukrainienne, accusée de « terrorisme », alors qu’elle tentait de livrer des colis humanitaires à Marioupol, revient de l’enfer. Après avoir été incarcérée durant cent jours dans le centre de détention d’Olenivka, elle témoignage, à nos confrères du Odessa Journal, des crimes commis par les occupants contre la population civile. Actuellement en convalescence en France, elle dénonce aussi les tortures infligées par les Russes aux soldats ukrainiens. « Moscou assassine cyniquement et délibérément des prisonniers de guerre ». Pire, « je suis sûre que ceux tués dans l’explosion étaient déjà à l’état de cadavres. Tout cela pour effacer des traces », affirme-t-elle.

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, des volontaires, dont cette fleuriste-décoratrice de Marioupol, se sont organisés pour livrer des médicaments et de la nourriture à la population civile. Mais, le 27 mars dernier, Anna Vorosheva, est interceptée par des militaires russes à un poste de contrôle, alors qu’elle  essaie de quitter Marioupol. « À ce moment-là, je conduisais une jeep remplie de nourriture, de produits d’hygiène, de médicaments pour enfants et de l’insuline », raconte-t-elle. « La voiture et les marchandises ont été saisies et j’ai été incarcérée ». La jeune femme a été libérée début juillet, ainsi que 21 autres chauffeurs bénévoles. Ils s’expriment pour la première fois.

 Cent jours d’horreur

« Les soldats ont été forcés de piétiner le drapeau ukrainien et ils ont été battus et torturés avec des chocs électriques », c’est ainsi qu’Anna Vorosheva se souvient avec horreur de ses cent jours de captivité. « La pire chose qui me faisait pleurer à chaque fois, c’était quand on entendait les bruits sourds des coups et les cris des hommes en supplique pour arrêter les brimades, c’était la pire des choses ». Et de poursuivre : « Nous étions en permanence avec les lumières allumées, avec en bruit de fond constant, de la musique mêlée aux les cris ».

La pire chose qui me faisait pleurer à chaque fois, c’était quand on entendait les bruits sourds des coups et les cris des hommes en supplique pour arrêter les brimades.

 Selon Anna Vorosheva, le personnel du camp subit un lavage de cerveau par la propagande russe qui diffuse des messages affirmant que les Ukrainiens sont des nazis. « La plupart de ces gardes sont des villageois locaux. Ils nous rendaient responsables du fait que leur vie était devenue terrible. C’était comme un alcoolique qui dit qu’il boit de la vodka, parce que sa femme n’est pas bonne. Leur philosophie est la suivante : ‘Tout est horrible pour nous, donc tout sera horrible pour vous. C’est très communiste ».

Soupçonnés de « terrorisme »

« On nous déplaçait les yeux masqués, on nous les bandait avec du ruban adhésif, on nous enveloppait les mains, on nous mettait des sacs sur la tête. Si je ne m’asseyais pas correctement, ils me frappaient sur les jambes, si je baissais les bras, ils me frappaient sur les bras », se souvient Stanislav Glushkov, un autre bénévole, informaticien dans la vie civile, capturé comme Anna Vorosheva. « J’ai été interrogé pendant des heures et j’ai été obligé de signer un protocole après l’interrogatoire. Il y avait beaucoup d’articles, on n’a pas pu tout lire. On a compris plus tard qu’ils nous accusaient essentiellement d’avoir mené des actions terroristes dans les territoires contrôlés de la République du Donbass, et notamment à Donetsk ».

De nombreuses personnes, politiques, associatives et civiles, se sont battues pour la libération des 22 bénévoles. « On ne sait toujours pas qui aura joué le rôle-clé, mais tout le monde a participé à ce processus jusqu’à l’arrivée de ce papier soudainement venu du bureau du procureur qui a décidé de nous libérer », a précisé lors de la conférence de presse, Konstantin Velichko, un autre bénévole libéré. « Le 4 juillet, les gardes ont lu à haute voix les noms de ceux qui allaient être libérés. Tout le monde écoutait en silence. Mon cœur a fait un bond quand j’ai entendu mon nom. J’ai fait mes valises, mais je n’ai pas fait la fête. Tout le monde n’était pas sur la liste », précise Anna Vorozheva.

Trois des bénévoles libérés : Anna Vorozheva, Konstantin Velichko et Stanislav Glushkov (de gauche à droite), entourés de deux journalistes du Odessa Journal, aux deux extrémités, lors d’une conférence de presse.

Des femmes aussi maltraitées

Si le voyage de retour a été long, en passant par la Russie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne, « là-bas c’est l’enfer absolu », a précisé Anna Vorosheva. Elle se souvient de ce bloc de béton sinistre de deux étages où elle partageait une cellule avec d’autres prisonnières. « Les femmes ne sont pas torturées, mais maltraitées. Une des femmes dans ma cellule était une infirmière. Elle était enceinte. J’ai demandé si je pouvais lui donner ma ration de nourriture, 50 grammes de vieux pain. On m’a dit : ‘Non, c’est une tueuse’ », raconte-t-elle encore. « Les toilettes débordaient et les femmes ne recevaient aucun produit sanitaire. Les cellules étaient si surpeuplées qu’elles dormaient à tour de rôle. C’était très difficile. Elles pleuraient beaucoup, s’inquiétaient pour leurs enfants et leurs familles. Il n’y avait ni eau courante, ni électricité. Certaines sont tombées malades à cause du froid et de la faim et n’ont reçu aucun soin jusqu’à ce que mort s’en suive ».

Les toilettes débordaient et les femmes ne recevaient aucun produit sanitaire. Les cellules étaient si surpeuplées qu’elles dormaient à tour de rôle.

 Une explosion pour déguiser des crimes

Si la Russie nie toute responsabilité, Des images satellite et des analyses indépendantes ont confirmé que les bombes avaient bien explosé de l’intérieur de la prison. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a qualifié les faits de « crimes de guerre délibérés » et de « meurtre de masse délibéré de prisonniers de guerre ukrainiens ».

« Les personnes qui dirigent le camp représentent les pires aspects de l’Union soviétique. Ils ne peuvent bien se comporter que s’ils pensent qu’on les regarde. La Russie ne voulait pas que ces détenus restent en vie, mais il fallait ‘masquer’. Je suis sûre que certains de ceux qui ont été ‘tués’ dans l’explosion étaient déjà des cadavres. C’est une façon commode de ne pas devoir rendre compte du fait qu’ils ont été torturés à mort », affirme Anna Vorosheva.