CLIMAT

Quand les milliardaires râlent d’être pistés…


La crise climatique ne concernerait-elle pas les plus riches ? Les milliardaires en ont marre d’être pistés quand ils circulent en jets privés. Les sites et comptes Twitter qui suivent en temps réel le trafic aérien de leurs jets engendrent des réactions épidermiques, de la simple plainte aux saisies de matériel. Depuis quelques jours, les milliardaires sont la cible des réseaux sociaux, qui dénoncent leurs trajets en jets polluants et qui vont à l’encontre des mesures pour protéger le climat.

Des informations disponibles

Chaque année, des compagnies de fret aérien russes, des propriétaires d’avions saoudiens ou d’autres personnes réclament à Dan Streufert, fondateur du site américain de suivi de vol ADS-B Exchange, de cesser de publier leurs déplacements. Sans pour autant être entendu.
 « Ce sont des informations publiques. Et je ne veux pas être l’arbitre qui décide qui a raison ou tort», explique l’intéressé. Même si certaines limites existent, les groupes qui reconstituent les trajectoires de vol soulignent que la source d’information principale est disponible légalement et accessible à tous ceux qui disposent de l’équipement nécessaire.

La loi américaine exige que les avions se trouvant dans certaines zones soient équipés du système par satellite ADS-B, qui envoie périodiquement la position de l’appareil par radio aux contrôleurs aériens. Un site comme Flightradar24 dispose de 34.000 récepteurs au sol à travers le monde pouvant capter ce type de signaux, des données envoyées vers un réseau central et croisées avec les horaires de vol et d’autres renseignements sur les avions.

Les jets des célébrités dans la ligne de mire des internautes

« Réussir à identifier le propriétaire d’un avion est une autre paire de manches », selon Jack Sweeney, créateur du compte Twitter «Celebrity Jets», qui a déniché le jet privé d’Elon Musk après une demande d’information aux archives publiques du gouvernement américain.
En juillet, le compte «Celebrity Jets» a révélé que la star de la téléréalité Kylie Jenner avait pris un jet privé pour un vol de 17 minutes en Californie, provoquant un tollé sur les réseaux sociaux. Le patron de Tesla lui a proposé 5 000 dollars pour enterrer le compte «ElonJet», plus de 480.000 abonnés, qui suit tous les mouvements de l’avion du multi-milliardaire.

«Il suscite tellement d’intérêt, je fais quelque chose qui marche. Les gens aiment voir ce que les célébrités font, ça, et le truc autour des émissions», note Jack Sweeney, en référence à l’indignation vis-à-vis de l’empreinte carbone des avions. « Publier ce type d’informations sur Twitter permet aux gens d’’y accéder plus facilement et de comprendre», ajoute-t-il.

Du côté des internautes, ces informations passent mal comme le balance sur Twitter l’un d’eux, véritablement outré :  «Ils nous disent à nous, les gens de la classe ouvrière, de culpabiliser pour notre vol annuel lors de vacances bien nécessaires pendant que ces célébrités prennent des jets privés tous les deux jours comme si c’était un Uber».

Ni Jack Sweeney, ni Dan Streufert, n’ont évoqué une ligne rouge qu’ils ne voudraient pas franchir concernant la publication des trajets aériens. «Les données sont déjà là. Je ne fais que les redistribuer», affirme Jack Sweeney.

Cette activité génère aussi des revenus, même s’ils sont difficiles à évaluer. Dan Streufert reconnaît gagner sa vie de cette façon mais refuse de donner des détails tandis que Jack Sweeney assure de son côté que ses comptes de suivi de vol lui ont rapporté environ 100 dollars par mois.

Une méthode aussi gouvernementale

Le pistage de vol peut aussi avoir un impact important au-delà de l’ire et du ras-le-bol des célébrités et des milliardaires, comme l’a montré la visite controversée de la présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi à Taïwan mardi dernier, dont le vol était suivi par plus de 700 000 personnes sur le site Flightradar24 au moment de l’atterrissage.

Human Rights Watch (HRW) a accusé lundi 1er août l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex de soutenir, à l’aide d’un drone notamment, « les efforts des forces libyennes pour intercepter les bateaux » de migrants, malgré des « preuves accablantes de torture et d’exploitation en Libye ».
HRW accusant Frontex  ainsi de faciliter le refoulement de migrants tentant la périlleuse traversée de la Méditerranée en s’appuyant sur des données de systèmes ADS-B, alors que des médias américains s’en sont servi pour dénoncer la présence de vols de surveillance pendant les manifestations anti-racistes à Washington en 2020.

Des dizaines d’élus au Congrès avaient, après ces révélations, exhorté dans une lettre le FBI et d’autres agences gouvernementales comme la garde nationale à «cesser de surveiller les manifestants pacifiques». Ailleurs dans le monde, des gouvernements ont clairement montré que ces technologies et ce type de données n’étaient pas les bienvenues.

Un média d’État chinois rapportait même l’an dernier que le gouvernement avait saisi des centaines de récepteurs utilisés par des sites de suivi de vols en temps réel, sous couvert d’un risque d’espionnage. «Dans beaucoup de cas, ce sont les régimes autoritaires qui n’aiment pas ce genre de visibilité», conclut Dan Streufert.