SOCIETE

Jeux de hasard : quand la Loterie Nationale contrôle indument les opérateurs privés


La Loterie Nationale est-elle contrôlée par la Commission des Jeux de Hasard (CJH) ? Non, sauf lorsqu’elle propose des jeux de hasard et des paris. Cela s’explique par le fait que la Loterie Nationale n’est pas soumise à la Loi sur les jeux de hasard du 7 mai 1999, mais à la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale. La Loterie Nationale est donc actuellement libre de déterminer comment son contrôle est organisé. En revanche, elle siège à la CJH et peut donc contrôler les opérateurs privés, ce qui  constitue une iniquité flagrante de traitement sur un segment de marché où le public et les opérateurs privés sont en concurrence. La société de jeux et paris Ladbrokes introduit une requête en annulation contre l’Etat belge. Elle conteste la nomination des membres de la CJH telle qu’elle est fixée. « Dans la Commission, siège une représentant francophone et un représentant néerlandophone du ministre qui a la Loterie Nationale dans ses attributions », soit Frank Vandenbroucke (Vooruit), peut-on lire dans le texte.

La Commission des jeux de hasard (CJH) a été instituée par la loi du 7 mai 1999, dont l’article 9 dispose que « Il est institué auprès du Service public fédéral Justice, sous la dénomination de ‘Commission des jeux de hasard’, nommé ci-après la Commission, un organisme d’avis, de décision et de contrôle en matière de jeux de hasard dont le siège est établi dans l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale. La Commission est assistée par un secrétariat ». Ses missions : contrôler le respect de la loi et de ses arrêtés d’exécution et infliger des sanctions administratives, pouvant aller jusqu’à la suspension et au retrait de la licence.

L’article 10 de la loi du 7 mai 1999 prévoit que la Commission est composée des membres suivants : un président, douze membres effectifs dont les deux tiers au maximum pourront être du même sexe et douze membres suppléants dont les deux tiers au maximum pourront être du même sexe. Les mandats des membres de la CJH sont attribués, pour une durée de 6 ans, par l’arrêté royal attaqué, daté du 30 mai 2021 et publié au Moniteur belge du 2 juin 2021. Parmi les membres effectifs : « un représentant francophone et un représentant néerlandophone du ministre qui a la Loterie Nationale dans ses attributions ».

Un traitement différencié discriminatoire

Pour Ladbrokes, « cette représentation du ministre en charge de la Loterie Nationale aboutit à une différence de traitement non justifiée et en tout état de cause disproportionné entre les exploitants des agences de paris fixes, qui ne bénéficient d’aucune représentation particulière au sein de la Commission des jeux de hasard, au contraire de la Loterie Nationale exerçant pourtant des activités concurrentes, et ce sans justification raisonnable ». Cette représentation politique est discriminatoire.

La Commission peut sanctionner deux opérateurs privés, au bénéfice de la Loterie nationale qui, pour rappel, exerce exactement les mêmes activités de paris sportifs que Ladbrokes par son site scoooore.be.

Et le risque de traitement différencié n’est pas purement hypothétique. Les compétences de la Commission, notamment en ce qu’elle octroie des licences et sanctionne les titulaires de licences, entraînent que la Loterie Nationale peut, par cette représentation politique, bénéficier – fût-ce indirectement – d’un avantage concurrentiel.

En effet, à titre exemplatif, « la Commission peut sanctionner deux opérateurs privés, au bénéfice de la Loterie nationale qui, pour rappel, exerce exactement les mêmes activités de paris sportifs que Ladbrokes par son site scoooore.be. La Commission peut également, comme elle le fait actuellement, privilégier la Loterie nationale en ne la sanctionnant pas lorsqu’elle ne respecte pas la jurisprudence habituelle de la Commission quant aux bonus et cadeaux », peut-on lire dans la requête.

Par ailleurs, « la Loterie Nationale développe son activité de paris sportifs en collaboration avec des libraires, qui peuvent également commercialiser des paris sportifs. Elle a donc tout intérêt à privilégier les libraires qui sont susceptibles de commercialiser les produits de Scooore.be ». La situation actuelle démontre que la Loterie Nationale bénéficie d’une clémence injustifiée à l’égard de ses pratiques contraires à la libre concurrence et à la loi du 7 mai 1999, dont la Commission doit pourtant assurer le respect.

Un abus de position dominante

Cette représentation des intérêts de la Loterie Nationale est également susceptible de créer une situation dans laquelle la Loterie Nationale est amenée à commettre des abus de position dominante contraire aux articles 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’UE : « un Etat membre enfreint les interdictions édictées par ces deux dispositions lorsque l’entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits spéciaux ou exclusifs qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est conduite à commettre de tels abus ».

Ladbrokes ne sollicite pas dans sa requête en annulation d’étendre la composition de la Commission des jeux de hasard à des représentants du secteur privé. « Elle comprend et respecte totalement l’exigence de neutralité des membres de la Commission ».
En revanche, dans un souci d’équité vis-à-vis de tous les acteurs du secteur, elle sollicite qu’aucun « représentant politique de la Loterie Nationale ne siège au sein de la Commission, justement pour garantir cette neutralité dans le traitement ».

En prévoyant que des représentants politiques d’un opérateur siègent au sein de cette dernière, alors même que cet opérateur exerce les mêmes activités et est soumis aux mêmes dispositions légales en termes d’activité ou de lutte contre l’addiction au jeu, le législateur crée une différence de traitement injustifiée entre le secteur public et les opérateurs privés.