ENERGIE

Royaume-Uni : le mouvement « Don’t Pay UK » incite les Britanniques à ne pas payer leurs factures d’énergie

La flambée des prix de l'énergie et l'inflation qui ont initié le lancement du mouvement Don't Pay UK touchent aussi les ménages européens. BELGA

Près de 100.000 personnes au Royaume-Uni se sont engagées à ne pas payer leurs factures d’énergie lorsque le régulateur relèvera le plafond des prix de l’énergie le 1er octobre. Elles ont signé la pétition lancée par le mouvement de désobéissance civile, « Don’t Pay UK ». Ce dernier demande une réduction des factures énergétiques. A défaut de cette réduction, il lancera une action massive de refus de paiement des factures. Pour ce faire, il veut rassembler au moins un million de signatures. Les responsables disent s’inspirer de la mobilisation contre la Poll tax de Margaret Thatcher dans les années 80 et 90, laquelle a provoqué la chute de son gouvernement. Etranglés par la flambée des factures et en colère, les Britanniques louent les tarifs sociaux en vigueur en Belgique.

Les responsables du mouvement « Don’t Pay UK », indiquent qu’ils ne passeront à l’action que si un million de personnes la rejoignent. En attendant, la mobilisation s’intensifie, alors que les analystes prévoient que la facture moyenne des ménages dépassera £3.300 par an et devrait ensuite s’envoler à plus de £4.200 à partir de janvier prochain.

Mais les organismes de bienfaisance ont averti que le non-paiement comporte de sérieux risques, notamment l’accumulation de dettes et des impacts sur les cotes de crédit des clients. Ce mouvement intervient alors que la Russie réduit brutalement son approvisionnement de gaz aux pays européens.

La campagne « Don’t Pay UK » est dirigée par un groupe d’activistes qui opèrent sous couvert d’anonymat, par crainte de représailles. Elle a été lancée en juin dernier. Le Royaume-Uni est confronté une augmentation des factures d’électricité impayées. Elles ont triplé en un an à près de 1,5 milliard d’euros. D’après le comparateur Uswitch, cette situation témoigne de l’ampleur de la hausse du coût de la vie pour les Britanniques.

Nous en avons assez, nous voyons que les compagnies d’énergie privatisées rapportent des bénéfices de £7 milliards de livres. On nous prend pour des imbéciles.

Inspiré du refus de la Poll Tax

Le groupe à l’origine de la campagne « Don’t pay UK » dit s’être inspiré d’un mouvement similaire contre la Poll Tax à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Plus de 17 millions de Britanniques avaient refusé de payer la Poll tax, un impôt locatif forfaitaire par tête, instauré au Royaume-Uni par le gouvernement de Margaret Thatcher en 1989. Entré en vigueur en 1990, elle était jugée très inégalitaire par les couches les plus modestes de la population, car, frappant les individus et non les foyers, et ce sans distinction de revenu ou de capital. Ce nouvel impôt provoqua des émeutes (poll tax riots) le 31 mars 1990 à Trafalgar Square. Les membres de son gouvernement lui demandèrent de renoncer à cette mesure, mais elle se montra inflexible. La poll tax fut l’une des causes de la chute de Margaret Thatcher en novembre 1990. Elle fut supprimée par son successeur conservateur, John Major, le 21 mars 1991, et remplacée en 1993 par la council tax, un impôt plus progressif.

« On nous prend pour des imbéciles »

Harry, un infirmier travaillant à la NHS (système de santé britannique) à Manchester nous explique qu’il a entendu parler du mouvement « Don’t Pay UK » par le biais des réseaux sociaux. « Je signerai la pétition et participerai à l’action. Je gagne environ 25.000 £ par an, les prévisions de janvier sont de 4.200 £ par an pour la facture d’énergie. La classe ouvrière britannique travaillant à temps plein ne peut pas se le permettre. Nous en avons assez, nous voyons que les compagnies d’énergie privatisées rapportent des bénéfices de £7 milliards de livres. On nous prend pour des imbéciles », s’emporte-t-il. « J’ai fait des recherches sur les problèmes qui se posent, pour les personnes préoccupées par les implications financières. @dontpayuk a une page FAQ (questions/réponses) très utile sur son site Internet », poursuit-il.

Il rappelle que le Gouvernement britannique est en crise et dénonce le blocage actuel. « Nous sommes politiquement paralysés, dans l’attente d’un nouveau Premier ministre. Le Premier ministre démissionnaire, Boris Johnson, a refusé de convoquer une réunion COBRA (Conseil de Défense, rappel du parlement, etc.) pour prendre des mesures d’urgence. Quand le nouveau Premier ministre sera choisi début septembre, il sera trop tard pour aider les ménages vu que la hausse des prix est prévue pour octobre. Ça montre que le gouvernement conservateur actuel a peu d’intérêt à aider les travailleurs au Royaume-Uni » conclut-il. Il redoute des émeutes en janvier quand « les personnes travaillant à temps plein (plus de 40 heures par semaine) seront acculés et éprouveront des difficultés pour se nourrir et se chauffer ».

Les gens commencent à paniquer, ils regardent leurs factures d’énergie et l’argent qu’ils reçoivent, ils voient que les chiffres ne correspondent pas.

Travailleur dans le secteur du logement dans le quartier de Bethnal Green à Londres, Glyn Robbins, âgé de 57 ans, est aussi en colère. « J’ai rejoint le mouvement (Don’t Pay UK, ndlr), il y a seulement 3 semaines environ. J’ai trouvé un tract dans la rue. Mais je me souviens de la rébellion contre la Poll Tax à la fin des années 80/début des années 90. Cela y ressemble beaucoup. Le gouvernement doit insister pour que les compagnies énergétiques réduisent les factures, comme le président Macron l’a fait en France. Shell, avec des bénéfices de 19 milliards de dollars l’an dernier, soit 4 fois plus que l’année précédente, a augmenté ma facture de 20 % il y a 2 mois. La compagnie va encore l’augmenter en août et en janvier. Cela consommera 30 % de mon salaire. Si le gouvernement n’agit pas, il y aura plus de protestations », commente-t-il.

Eloge des tarifs sociaux belges

Pour Mandu Reid, leader du Women’s Equality Party, « ce mouvement est très inspirant. Si nous atteignons un million de signataires et que le gouvernement ne fait rien, bien sûr que je ne paierai pas mes factures d’énergies. Ce mercredi 10 août 2022, il y avait déjà 97.000 signataires, donc je suis sûre qu’à la fin de la semaine on va atteindre les 100.000 ». Elle est persuadée que le mouvement va atteindre le million de pétitionnaires. « Je le pense. Parce que ces 100.000 signataires ont eu lieu en très peu de temps et qu’il y a environ 6 à 7 semaines avant le 1er octobre. Les gens commencent à paniquer, ils regardent leurs factures d’énergie et l’argent qu’ils reçoivent, ils voient que les chiffres ne correspondent pas. Nous n’en faisons pas assez. Nous regardons ce qui se passe en France. Ce n’est pas comme ça en France. Nous regardons ce qui se passe ailleurs en Europe, en Belgique où ils ont des tarifs sociaux qui aident vraiment les ménages à faible revenu à faire face à la hausse des coûts de l’énergie et ici (Royaume-Uni, ndlr), on ne fait rien pour soutenir les gens. Il est maintenant temps pour le peuple de se manifester ».

Les Gilets Jaunes britannique ?

Pour Mandu Reid, le mouvement « Don’t Pay UK » s’apparente un peu à celui des « Gilets Jaunes » en France. « Quand les gens unissent leurs efforts, ils peuvent avoir du pouvoir et forcer un changement politique, comme les Gilets Jaunes en France. Au Royaume-Uni, le Don’t Pay UK est un peu comme le cousin des Gilets Jaunes. Le gouvernement a déjà effectué de petits versements aux ménages. Ces paiements doivent être augmentés pour que les gens ne s’endettent pas et ne se retrouvent pas dans une situation où ils doivent choisir entre manger ou se chauffer. Mais nous avons besoin de mesures de long terme. Et j’aimerais vraiment qu’on explore ce qu’ils ont fait en Belgique autour des tarifs sociaux parce que c’est testé et approuvé. Les tarifs sociaux sont essentiellement, offrent de gros rabais pour les revenus les plus bas. Cela peut être financé par l’impôt ou en répartissant les coûts entre ceux qui ne font pas partie des ménages à faible revenu et cela aide vraiment les personnes qui éprouvent le plus de difficultés. Nous avons besoin d’une taxe exceptionnelle sur les sociétés énergétiques. Il est inacceptable que des enfants frissonnent en hiver alors que BP réalise des bénéfices de 6,9 ​​milliards au dernier trimestre et que Shell réalise des profits record de 10 milliards de livres entre avril et juin », détaille la leader du Women’s Equality Party. Elle soutient le mouvement de protestation « Don’t Pay UK ».

Si nous n’agissons pas maintenant, il y aura une véritable crise dans ce pays. Les gens ne pourront plus tolérer d’être dans cette situation.

Elle redoute des troubles sociaux si le Gouvernement britannique ne prend pas les taureaux par les cornes. « Si nous n’agissons pas maintenant, il y aura une véritable crise dans ce pays. Les gens ne pourront plus tolérer d’être dans cette situation. Je pense qu’il y aura des troubles, des soulèvements, des gens qui descendront dans la rue. Nous voyons déjà toutes les deux semaines des travailleurs faire la grève dans différentes industries. Tout cela va s’aggraver. Don’t Pay UK s’est mobilisé et a décidé d’être une voix pour tout le monde et de nous donner à tous une chance d’utiliser notre pouvoir. Collectivement, nous sommes plus puissants que le gouvernement », suggère Mandu Reid. Sur le plan politique, les réponses politiques à la crise sont timides, voire inexistantes.

Alexander Seale (au Royaume-Uni)