SOCIETE

Profilage : Qui est Hadi Matar? L’homme qui a poignardé Salman Rushdie


L’écrivain britannique d’origine indienne, Salman Rushdie (75 ans), visé par une fatwa de mort de l’ayatollah iranien Ruhollah Khomeyni en 1989, après la publication de ses « Versets sataniques », une livre considéré comme blasphématoire en Iran par les musulmans les plus rigoristes, a été attaqué, hier, lors d’une conférence  à Chautauqua, dans l’ouest de l’Etat de New York. Poignardé au cou et à l’abdomen, son état de santé reste pour le moment critique. Son agresseur présumé a été intercepté. La police a déclaré avoir identifié l’homme qui a pris d’assaut l’estrade de l’amphithéâtre du centre culturel et agressé l’auteur et l’animateur de la conférence, Ralph Henry Reese (73 ans), légèrement blessé au visage, qui venait de commencer à le présenter. Il s’agit d’Hadi Matar (24 ans), un jeune homme sans antécédents, originaire de l’Etat voisin du New Jersey. Si la classe politique et les intellectuels s’insurgent au nom de la liberté d’expression, l’individu ne s’est pas exprimé sur le mobile de son agression. Est-il en pleine possession de ses moyens ? L’enquête le dira. L’homme aurait à tout le moins des sympathies pour l’extrémisme chiite.

Il est 11 heures du matin, heure locale. Dès les premières minutes de la conférence, un homme vêtu de noir et cagoulé surgit  de la salle et se jette sur la scène pour s’en prendre à Salman Rushdie. « Nous avons d’abord cru que c’était une mise en scène de l’organisation pour faire référence au caractère controversé de  l’auteur », témoigne cette spectatrice à l’Associated Press. « Mais, très rapidement, il est devenu clair qu’il se passait quelque chose. L’écrivain a été rapidement entourés d’un groupe de personnes qui lui soulevaient les jambes, vraisemblablement pour envoyer plus de sang dans sa poitrine ».

Un profil nébuleux et un mobile flou

Selon les premiers éléments de l’enquête, l’assaillant, Hadi Matar, est né en Californie, mais a récemment déménagé dans le New Jersey. Lors de son arrestation, il avait un faux permis de conduire sur lui. Un sac à dos a aussi été retrouvé sur les lieux, contenant du matériel informatique. Un examen préliminaire des médias sociaux régulièrement consultés par Hadi Matar montre toutefois qu’il est favorable à l’extrémisme chiite et à la cause du Corps des Gardiens de la Révolution islamique, la garde loyale du Guide suprême et de la République Islamique d’Iran, chargée de défendre l’Iran contre les « ennemis » de l’extérieur et de l’intérieur.

La dernière adresse connue du suspect est à Fairview, juste en face de Manhattan, de l’autre côté du fleuve Hudson. Le commandant Eugene Staniszewski, de la police d’État, a déclaré lors d’une conférence de presse que le motif de l’agression n’était pas clair. Des agents du FBI ont perquisitionné son appartement dans la nuit de vendredi à samedi. Plusieurs pièces à conviction ont été saisies pour tenter d’éclairer les enquêteurs.

Les voisins ont déclaré à la presse voir régulièrement Hadi Matar aller et venir, mais qu’ils ne le connaissaient pas plus que ça. Six ou sept autres personnes, peut-être des parents, vivaient avec lui dans cette maison unifamiliale dans laquelle ils ont emménagé il y a quatre ans dans ce quartier aux origines éthiques variées, mais calme.

L’un des anciens camarades de classe de Hadi Matar, Gabriel Sanchez, 24 ans, s’est également exprimé. Il a déclaré avoir été « choqué » à l’annonce des faits, tout en précisant que « Matar était un musulman très pratiquant. Il prenait les choses très au sérieux. Il se lavait les pieds dans les toilettes du lycée et participait régulièrement à des débats sur la foi avec plusieurs de ses amis. La seule fois où je l’ai vu s’emporter sur le sujet, c’était avec notre professeur de biologie à la fin de l’année. Il a écrit en marge de son évaluation du cours qu’il n’appréciait pas la façon dont il parlait de la religion ».
i Hadi Matar était très renfermé et passait son temps à l’école, pendant les pauses déjeuner, à jouer au basket et à lire, Gabriel Sanchez a ajouté que « Matar ne parlait jamais de l’Iran ou de Rushdie ».

Bien que les enquêteurs ne sachent pas encore avec précision ce que l’individu a fait ces dernières années, il aurait apparemment pris des cours de boxe en avril dernier. Un porte-parole du State of Fitness Boxing Club de son quartier a déclaré que « Matar s’était inscrit à des cours collectifs de boxe en avril avant de résilier son adhésion le 9 août ».
« En dehors de cela, nous n’en savons pas vraiment plus sur lui. Pour l’instant, on suppose qu’il a agi seul », a précisé le commandant Eugene Staniszewski devant la presse locale.

Copyright : Les premiers secours  portés à Salman Rushdie – Associated Press

Des versets qui ressortent de l’ombre

L’œuvre de Salman Rushdie, en particulier son roman de 1988 « Les versets sataniques » considéré entre autres objections comme blasphématoire, a suscité de vives protestations, des menaces de mort et une fatwa  pour son assassinat.

Depuis lors, au moins 45 personnes ont été tuées dans des émeutes liées au livre, dont 12 à Bombay, dans la ville natale de Rushdie. En 1991, un traducteur japonais du livre a été poignardé à mort et un traducteur italien a survécu à une attaque au couteau. En 1993, l’éditeur norvégien du livre a, quant à  lui, été abattu de trois balles et a survécu.

En 1989, suite à la fatwa de l’ayatollah iranien Rouhollah Khomeiny, Salman Rushdie a dû entrer en clandestinité. L’auteur a changé 56 fois de domicile durant les six premiers mois suivant la fatwa, allant de cache en cache dans le cadre d’un programme de protection du gouvernement britannique qui comprenait une garde armée 24 heures sur 24.

Pour brouiller les pistes, il se fait alors appeler Joseph Anton, en hommage à ses auteurs favoris, Joseph Conrad et Anton Tchekhov. Dans les dix années qui ont suivi l’appel à la mort de Rushdie et de ses éditeurs, l’écrivain a fait l’objet d’une vingtaine de tentatives d’assassinat. Depuis dix ans, une fondation religieuse iranienne a mis sa tête à prix, pour une somme de 3,3 millions de dollars (3,2 millions d’euros).

Copyright : Salman Rushdie est transporté en hélicoptère vers l’hôpital le plus proche – Associated Press

Devenu citoyen américain, Salman Rushdie vivait à New York, dans une solitude de plus en plus grande, accentuée par une protection policière permanente. Il avait toutefois repris prudemment ses apparitions publiques et ses conférences, tout en maintenant sa critique franche de l’extrémisme religieux. Lors d’une conférence à New York en 2012, il avait déclaré que « le terrorisme est en réalité l’art de la peur ».

Sur l’attaque de ce vendredi, il est à noter que la mission de l’Iran auprès des Nations Unies n’a pas voulu répondre à une demande de commentaire de l’Associated Press. Les faits ont toutefois fait l’objet d’un bulletin d’information nocturne sur la télévision d’État iranienne.