Culture

« Le livre des sœurs » d’Amélie Nothomb : âmes sœurs…


C’est une (belle ?) tradition. Depuis trente ans et la parution de « Hygiène de l’assassin » en 1992, l’écrivaine belge Amélie Nothomb, 56 ans, se glisse à chaque rentrée littéraire d’été tout autant sur les rayonnages des libraires que sur les têtes de gondoles des grandes surfaces commerciales. Donc, en cet août 2022, la tradition est respectée : lectrices et lecteurs ont un « nouveau Nothomb » au premier tirage imposant (de l’ordre de 200 000 exemplaires) et au titre très basique (ce qui est assez rare avec cette auteure) : « Le livre des sœurs ».

Près de 200 pages, là aussi c’est rarissime, car nombre des livres précédents de la membre (peu assidue, croit-on savoir) de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique dépasse péniblement les 150 pages… Tout cela, en fait, n’est que détails puisque, comme les autres, comme le précédent « Premier sang » (prix Renaudot 2021), dès le premier jour de la mise en place, même si l’auteure confie régulièrement « ne toujours pas comprendre ce que les gens aiment dans ce que j’écris »… « Le livre des sœurs » va s’installer, pour quelques semaines, sur le podium des meilleures ventes.

C’est ainsi, c’est Nothomb, cette auteure qui assure : « Pour écrire, j’ai besoin de mourir de faim » ! Et on trouvera bien quelques nobliaux désespérés des lettres francophones pour glisser fielleusement qu’il existerait « une relation toxique entre Amélie Nothomb et ses lecteurs ». Pourquoi pas…

Un livre du meilleur niveau

A ces petits laquais de la chose écrite, il leur faudra bien l’admettre : la livraison 2022 nothombesque est du meilleur niveau. Avec une histoire de sœurs qui, sûrement, fait écho à la relation fusionnelle que l’auteure entretient avec sa sœur Juliette qui publie Eloge du cheval (Albin Michel, en librairies le 7 septembre 2022).

Ici, le livre ouvre sur un couple, Nora et Florent. Un couple fusionnel. Ils se marient et, conseillés par leurs amis, auront un premier enfant, Tristane. Une petite fille aux capacités intellectuelles extraordinairement développées, mais éternelle « petite fille terne ». Les parents ne s’occupent quasi pas de l’enfant qui a appris, dès les premiers âges de sa vie, à se faire discrète et mettent en route un deuxième enfant pour que la petite ne soit pas seule. Quatre ans et demi plus tard, viendra Laëtitia. Les deux fillettes vont fusionner : « deux planètes s’alignèrent de manière si exacte que s’éleva, audible pour ces seules enfançonnes, une musique qui ne devait jamais s’assourdir ». Ou encore : « Entre Tristane et Laetitia se produisit l’amour au sens absolu, l’amour hors catégorie, un phénomène d’autant plus puissant que non répertorié. À la fois tout l’amour et toute la liberté, il échappait à l’altération des classifications »

Au fil des mois et des années, Tristane s’imagine présidente de la République, mais sera embringuée, quasi de force, par sa cadette Laetitia qui la bombarde bassiste dans son groupe rock. Il y a aussi Cosette, la cousine dont Tristane s’est occupée comme d’une sœur, la fille de sa tante Bobette. « On l’appelait Bobette. Plus personne ne savait de quel prénom cela constituait le diminutif. Bobette, à vingt-deux ans, avait quatre enfants. Si on lui demandait avec qui elle les avait eus, elle vous traitait de facho ». Nora, la si-propre-sur-elle et Bobette, la miséreuse, deux sœurs antithétiques, Tristane et Laëtitia deux sœurs fusionnelles…

Grande technicienne de l’art de la narration, Amélie Nothomb fait encore événement, bien loin des pitoyables descentes de pente qu’on nous vend comme littérature ultime. « Le livre des sœurs », c’est le beau roman des âmes sœurs.

Serge Bressan (à Paris)

 

>A lire : « Le livre des sœurs » d’Amélie Nothomb. Albin Michel, 198 pages, 18,90 euros.


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