Société

La fatigue chronique des pilotes : plus redoutable qu’une turbulence atmosphérique


Ce 19 août, un Boeing 737-800 d’Ethiopian Airlines parti du Soudan n’a pas atterri à l’heure prévue à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne. Les deux pilotes se sont endormis aux commandes et ont manqué leur atterrissage. Les contrôleurs aériens n’ont, semble-t-il, pas pu joindre l’équipage, malgré plusieurs tentatives. L’avion volait en pilotage automatique à plus de 11.000 mètres d’altitude. Une alerte s’est déclenchée lorsque l’avion a poursuivi sa route, ce qui a réveillé les pilotes qui ont pu poser l’avion en toute sécurité 25 minutes plus tard. Cet incident intervient quelques semaines seulement après un avertissement lancé par la European Cockpit Association (ECA). Divers syndicats de pilotes alertent aussi sur les lacunes majeures des limitations de temps de vol (FTL). Les pilotes sont confrontés à des niveaux de fatigue inhabituellement élevés et incompatibles avec un niveau de sécurité de vol acceptable. Une horloge biologique perturbée compromet la sécurité des passagers.

L’été est particulièrement chargé, quelle que soit l’année. Mais cette année l’est encore plus, avec la reprise en force post-covid des voyages. De la sécurité des aéroports et des bagagistes aux pilotes en passant par le contrôle du trafic aérien, tout le système croule sous la pression et fonctionne avec de minuscules réserves.

Micro-siestes aux commandes

En ce qui concerne plus particulièrement les  pilotes, le problème est récurrent. Dans une interview accordée à Libération, une employée de Ryanair relate : « Une journée classique commence par un réveil à 4 heures. Je dois être à l’aéroport à 5h35 pour le briefing d’avant vol. Nous sommes opérationnels à 6 heures et nous avons alors vingt-cinq minutes pour embarquer 189 passagers. Les moteurs commencent à tourner à 6h30 et ce n’est qu’à partir de ce moment que nous commençons à être payés. Deux allers-retours dans la journée, cela représente quatre vols et douze heures de travail, pour lesquelles nous ne serons payés que huit heures et demi.»

70% des pilotes affirment avoir commis des erreurs en raison de leur fatigue

Les dettes de sommeil et les perturbations des rythmes biologiques quotidiens, liées à divers facteurs (longues périodes de services, horaires de travail irrégulier, vols de nuit, etc.) demandent aux pilotes de repousser sans cesse leurs limites biologiques. La charge de travail mentale présente de fortes variations au cours d’un vol. Élevée au cours des phases critiques (décollage et atterrissage), elle devient très réduite pendant les phases de croisière. Lorsque la charge mentale devient trop élevée ou, à l’inverse, trop faible, les performances se dégradent et des erreurs de pilotage peuvent apparaître.  L’état de somnolence n’y est pas étranger.

Selon un sondage réalisé par la Balpa, l’association des pilotes britanniques, 70% des pilotes affirment avoir commis des erreurs en raison de leur fatigue, 56% des pilotes avouent s’être assoupis sans en avoir averti préalablement leurs collègues et 29% disent s’être réveillé en trouvant l’autre pilote endormi aussi.

Réduire les coûts, pas les responsabilités

Une étude, basée sur les pratiques de 24 compagnies aériennes et réalisée pour le compte de la Commission Européenne et de l’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (EASA), montre que les vols de nuit sont particulièrement éprouvants.
Les règles européennes autorisent des temps de vols de 11h de nuit – et jusqu’à 12h45 pour un départ tard dans l’après-midi – sans pause, mais avec la nécessité d’être éveillé et alerte tout au long du vol. L’étude démontre que non seulement les très longs vols de nuit (10 heures ou plus), mais aussi tous les vols de nuit, quelle que soit leur durée, entraînent une fatigue excessive de l’équipage.

La deuxième source majeure de fatigue, appelés « horaires perturbateurs », concerne principalement les opérations court et moyen-courrier. Ce sont les horaires qui commencent tôt le matin (par exemple à 5h00) ou se terminent tard le soir / pendant la nuit (par exemple de 23h00 à 1h59). L’étude confirme que ce rythme perturbe gravement l’horloge biologique des intéressés et leur rythme veille-sommeil.

Cela fait plusieurs années déjà que la European Cockpit Association (ECA) alerte. Et la tendance en termes de conditions de travail ne va pas en s’améliorant étant donné les préoccupations économiques des compagnies aériennes qui s’orientent toujours plus vers des réductions d’effectifs et des restructurations. Pour l’ECA, « s’il faut réduire les coûts , cela ne peut être en sacrifiant les responsabilités ».

Standardiser des temps de repos même de courte durée pour l’ensemble des pilotes serait une première solution à apporter au problème. D’autant qu’il existe déjà le CRIP (controlled rest in position), une autre manière de dire « sieste réglementée » en vertu de laquelle le pilote peut dormir quarante minutes maximum, à condition de se réveiller une demi-heure avant l’atterrissage et qu’un seul des deux pilotes s’y adonne à la fois.
Attention cependant à l’effet pervers du CRIP. Les compagnies aériennes pourraient l’utiliser pour augmenter encore les horaires de leurs personnels.

 

 


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