RENTREE LITTERAIRE

Rentrée littéraire : avec « Cher connard », Virginie Despentes casse tout…


De toutes parts, on nous assure qu’il s’agit là de la sensation de la rentrée littéraire d’août-septembre 2022. Mieux : il faudrait s’en étonner. Parce que « Cher connard », le nouveau roman de Virginie Despentes, est en tête des ventes depuis sa sortie, le 17 août dernier… Certes, l’auteure de 53 ans, arrivée dans le monde des livres en 1993 avec le sulfureux « Baise-moi », n’avait rien publié depuis cinq ans et le troisième tome de sa saga « Vernon Subutex » (1,5 million d’exemplaires vendus pour ses trois tomes et une adaptation pour une série télé), mais le lancement de ce « Cher connard » a été parfaitement marketé, à l’exemple de ce qu’on avait pu connaître dans un passé récent avec les romans de Christine Angot (« Le Voyage dans l’Est, août 2021) ou encore Michel Houellebecq (« anéantir », janvier 2021).

Grasset, l’éditeur parisien, a entretenu le mystère, envoyé le livre en avant-première à quelques journalistes censés être favorables à l’auteure et sélectionné celles et ceux de la presse qui auront la possibilité, voire le privilège de poser questions à cette Virginie Despentes qui ne manque pas une occasion de rappeler que, timide, elle n’apprécie guère le jeu des interviews. Résultat : l’auteure de « Cher connard » a assuré un service promo XXL. Et ce n’est pas fini, le mercredi 7 septembre 2022 à 21h, elle était l’invitée principale de « La Grande Librairie » sur France 5, une émission animée cette saison par Augustin Trapenard qui prend la suite de François Busnel.

Deux grosses semaines après la parution de ce roman, Grasset fait savoir que le roman a été tiré à 250 000 exemplaires, certes moins qu’« Angélique », le prochain Guillaume Musso (sortie le 20 septembre 2022), mais plus que « Le Livres des sœurs » d’Amélie Nothomb (200 000 exemplaires).

Des éloges et quelques piques pour la voix du féminisme français

Evidemment, avec leurs petits valets, tant la presse écrite que radios et télés sont dithyrambiques : ça va de « La pionnière » à « L’écrivaine tendre », en passant par « la reine des ventes ». Mieux : une philosophe féministe, Camille Froidevaux-Metterie, affirme : « Voilà un grand roman »… Certains ont même vu, avec ce « Cher connard », un texte digne du meilleur Louis-Ferdinand Céline ou de l’ébouriffant Charles Bukovski, quand ils n’affirment pas qu’on a, là, la version 2.0 des « Liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos, rien que cela !

Quelques critiques ont osé le crime de lèse-majesté, expliquant que Virginie Despentes, c’est « l’art de garder la carte médiatique malgré les outrances » ou rappelant que « n’est pas Dostoïevski ou Genet qui veut »… Tenue pour la voix du féminisme français, du moins un certain féminisme, l’auteure a écrit, comme l’assure son éditeur, un « roman de rage et de consolation, de colère et d’acceptation, où l’amitié se révèle plus forte que les faiblesses humaines ».

Avec trois personnages principaux : un auteur, Oscar Jayack, un peu loser qui a connu quelques succès, mais qui est en panne d’inspiration ; une actrice à la beauté fatiguée, Rebecca Latté, la cinquantaine tranquillement rebelle, et une ex-attachée de presse, Zoé Katana, devenue blogueuse qui va « metooïser » Oscar qui l’avait harcelée quand elle s’occupait de ses relations presse… Donc, « Cher connard » est un roman épistolaire, les personnages s’écrivent, ô ! modernité, par mail.

Ambiance, ambiance

Ouverture avec Oscar évoquant Rebecca: « Cette femme sublime qui initia tant d’adolescents à ce que fut la fascination de la séduction féminine à son apogée, devenue aujourd’hui ce crapaud. Pas seulement vieille. Mais épaisse, négligée, la peau dégueulasse, et son personnage de femme sale, bruyante. La débandade. On m’a appris qu’elle s’était convertie en égérie pour jeunes féministes. L’internationale des pouilleuses a encore frappé »… Réponse de Rebecca : « Cher connard, j’ai lu ce que tu as publié sur ton compte Insta. Tu es comme un pigeon qui m’aurait chié sur l’épaule en passant. C’est salissant, et très désagréable. Ouin ouin ouin je suis une petite baltringue qui n’intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu’on me remarque. Gloire aux réseaux sociaux : tu l’as eu, ton quart d’heure de gloire. La preuve : je t’écris ». Ambiance, ambiance…

Mais au fil du roman, d’ennemis, les deux deviendront amis ! Et au hasard des pages de ce roman épistolaire, les thèmes vont défiler : les réseaux sociaux, le monde des livres et du spectacle, le féminisme, le lesbianisme, les LGBT+, la prostitution…. Et aussi l’alcool et la drogue, deux sujets qu’a (trop bien) connus l’auteure qui se dit aujourd’hui apolitique mais qui envisage de replonger en politique…

Plus qu’une romancière, une sociologue

Comme les romans de Michel Houellebecq, « Cher connard » serait donc le constat du monde d’aujourd’hui. Un constat implacable porté par une écriture qui veut bousculer lectrices et lecteurs, par une écriture sans formalités, ni contraintes. Un constat qui doit mener, espère l’auteure, à une réflexion de tout un chacun. Ce qui fait dire et écrire à quelques « influenceurs » du monde des livres que « Virginie Despentes n’est pas seulement une romancière, elle fait œuvre de sociologue… » Et son éditeur, d’enchaîner : « Despentes est une enragée idéaliste qui a mûri en cherchant à comprendre ceux qui ne sont pas de son avis ». Pour son prochain livre, Virginie Despentes traitera des vampires. En attendant, baignons-nous dans la foule sentimentale, on a soif d’idéal !

Serge Bressan (à Paris)

>A lire : « Cher connard » de Virginie Despentes. Grasset, 352 pages, 22 €.