ENERGIES

Stratégie du chantage ? L’Iran continue d’intensifier son activité nucléaire

L'AIEA s'interroge sur le « caractère pacifique » du programme nucléaire iranien. AFP

En juin dernier, le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) adoptait, à Vienne, une résolution rappelant à l’ordre l’Iran pour son manque de coopération et déplorant l’absence de réponses « techniquement crédibles » concernant des traces d’uranium enrichi retrouvées sur trois sites non déclarés. Début septembre, l’AIEA publie un nouveau rapport sur l’état des activités nucléaires du régime iranien. Elle  déplore que le pays n’ait pas saisi les opportunités d’engagement proposées pour faire la lumière sur la présence ou non de matières nucléaires sur ces sites. « En l’état et en l’absence de coopération iranienne, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) n’est pas en mesure de garantir que le programme nucléaire iranien est exclusivement pacifique », a-t-elle déclaré. L’Iran dénonce un rapport sans fondement. Téhéran appelle à clore l’enquête de l’AIEA. Pour le président iranien, Ebrahim Raïssi, « relancer l’accord sur le nucléaire de 2015 n’aurait pas de sens sans la clôture de cette enquête ». On fait le point avec Aladdin Touran, formé en génie mécanique à l’Université de Téhéran et à l’Ecole Centrale de Paris et spécialiste du Moyen-Orient et de l’Iran.

C’est l’un des points sur lesquels achoppent les négociations qui ont repris en avril 2021. L’Iran veut que cette investigation de l’AIEA soit réglée avant de reprendre les négociations sur la relance de l’accord de 2015 entre la République islamique et le Groupe 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France et  Allemagne), qui vise à garantir le caractère civil de son programme nucléaire. Il en est hors de question pour le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi.
« Cette idée que politiquement nous allons arrêter de faire notre travail est inacceptable pour nous », a-t-il déclaré. Entretemps, l’ancien président américains, Donald Trump, a retiré les Etats-Unis de cet accord en 2018 et rétabli les sanctions américaines. En conséquence, Téhéran s’est progressivement affranchi depuis de ses obligations. Des pourparlers tripartites entre l’Europe, les Etats-Unis et l’Iran, pour débloquer une dangereuse crise, semblent devenir de plus en plus stériles.

Rétroactes

Suite à la mise en œuvre de l’accord sur le nucléaire, l’AIEA a eu accès à des échantillons de sol provenant de trois sites que Téhéran n’avait pas déclarés. Des matières nucléaires artificielles ont été trouvées dans ces échantillons. L’organisation onusienne a donc demander des explications à l’Iran et le régime a commencé à faire obstruction, une obstruction qui persiste.
Téhéran soutient que le programme nucléaire actuel de l’Iran est entièrement pacifique et qu’il n’a jamais recherché la capacité d’armes nucléaires, tandis que plusieurs agences de renseignement occidentales affirment que le régime iranien a maintenu un programme actif d’armes nucléaires.

L’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI/MEK) affirme aussi que le programme nucléaire iranien n’a jamais abandonné ses dimensions militaires et que l’obstruction de Téhéran à l’enquête de l’AIEA s’explique par une volonté de vouloir dissimuler les travaux en cours dans ce domaine. Caractérisé par l’absence de coopération, l’Iran rend aujourd’hui impossible la conduite d’inspections par l’organisation afin de s’assurer que la technologie n’est pas détournée à des fins militaires.

Une menace réelle

Les stocks iraniens d’uranium enrichi dépassent désormais de plus de 19 fois la limite autorisée.
« Le nouveau rapport de l’agence nucléaire de l’ONU estime que le régime iranien a raffiné 12,5 kg supplémentaires d’uranium à 60 % de pureté fissile depuis mai, portant ainsi les réserves à un total à 55,6 kg (contre 43,1 kg précédemment). Pendant ce temps, le stock global d’uranium du pays a augmenté de plus de 365 kg, ouvrant potentiellement la voie à l’acquisition rapide de quantités beaucoup plus élevées de matières enrichies à 60% une fois que les installations nucléaires du régime commenceront à exploiter en permanence des cascades de centrifugeuses avancées qui devaient être démantelé selon les termes initiaux du JCPOA (NDLR : Joint Comprehensive Plan of Action – soit les Accords de Vienne de 2015) », nous explique Aladdin Touran. « Avec ses capacités actuelles, l’Iran a atteint un seuil proche des 90% nécessaires à l’élaboration d’une arme atomique ».

 Une issue pessimiste

Depuis plusieurs mois, les États-Unis et l’Iran font des allers-retours diplomatiques incessants qui apparaissent de plus en plus vain sur un texte soumis par l’UE, censé être un compromis pour rejoindre les termes de l’accord de 2015. Après dix-huit mois d’efforts, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a récemment affirmé qu’il ne semblait plus y avoir de place pour un compromis.

« Si les États-Unis ont dans un premier temps accueilli avec optimisme que les Iraniens abandonnent leur ultimatum concernant le retrait du Corps des gardiens de la révolution islamique de la liste des organisations terroristes étrangères du Département d’État, cet optimisme s’est vite estompé car d’aucuns ont laissé sous-entendre que Téhéran poursuit toujours ses efforts pour que ses paramilitaires extrémistes ne soient pas sanctionnés », nous précise Aladdin Touran.
En outre, depuis la soumission du « texte final » par l’UE, le fait que le président Ebrahim Raïssi fasse obstruction à l’enquête de l’AIEA n’invite certainement pas à la confiance.
« Cette perte de confiance a peut-être été encore amplifiée par le fait que le rapport critique de l’AIEA a étroitement coïncidé avec la publication d’un rapport des services de renseignements suédois qui a révélé que le régime iranien avait tenté de se procurer illicitement des composants pour son programme nucléaire à l’intérieur du pays scandinave en 2021. Ces informations rejoignent fortement le contenu d’un rapport similaire des services de renseignement allemands du mois juin dernier. Il n’est que le dernier d’une série d’évaluations similaires ».

 Gagner du temps

« Depuis plus de 20 ans, le régime iranien a menti sur son programme nucléaire. Par conséquent, en cas d’accord conclu, la réalité est que le régime ne s’y conformera de toute façon pas », a déclaré John Bolton, ancien conseiller américain à la sécurité nationale, lors d’une conférence tenue à Washington, D.C. par le Conseil National de la Résistance iranienne (CNRI), le 21 août dernier.
Un avis partagé par Aladdin Touran : « les développements récents indiquent que le régime poursuit sa politique trompeuse et  étire les négociations pour gagner du temps. Le fait est indiscutable. Le régime de Téhéran n’abandonnera jamais l’arme nucléaire tout simplement parce qu’il la considère comme une garantie pour sa survie ».

Ni l’Iran ni les Etats-Unis ne semblent donc prêts à siffler la fin des hostilités. Mais, si les négociations patinent et intensifient les tensions bilatérales, l’Europe devra très certainement, en dommage collatéral, affronter de nouveaux défis.