Russie : une reine de la pop critique la guerre et suscite un vif débat dans le pays

Alla Pougatcheva (73), est une chanteuse et actrice russe, extrêmement populaire en Russie et dans les pays de l’ancien bloc soviétique. Au moment où le Kremlin réprime toute critique, la superstar de la variété depuis des décennies a dénoncé dimanche le conflit en Ukraine, évoquant la mort de soldats « pour des objectifs illusoires », au moment où le Kremlin réprime fermement toute critique quant aux choix politiques de Moscou. Sur son compte Instagram, la reine de la pop russophone est suivie par près de 3,5 millions de personnes. Ces critiques ouvertes et sans langue de bois à l’égard de la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine ont déclenché d’intenses réactions sur les médias sociaux, posant une question cruciale : Le post Instagram désapprobateur de la chanteuse emblématique marquera-t-il un tournant dans l’opinion publique russe ?
Au risque d’être qualifiée de « traître », Alla Pougatcheva a utilisé sa célèbre voix ce week-end pour remettre en question la guerre qui sévit depuis sept mois en Ukraine, devenant ainsi la célébrité russe la plus en vue à le faire. Dans son message Instagram, Alla Pougatcheva a qualifié de « paria » la patrie qui lui a décerné ses plus hautes distinctions civiles, dont la médaille du Mérite, et a déclaré que les soldats russes mouraient pour des « objectifs illusoires ».
La réaction de la chanteuse fait suite à l’inscription par la justice russe de son mari, le comédien et présentateur de télévision Maxim Galkin, sur la liste des agent étrangers pour avoir prétendument mené des activités politiques au nom de l’Ukraine et pour avoir reçu des fonds ukrainiens. Maxim Galkin a aussi, par le passé, ouvertement critiqué plusieurs fois la guerre menée par Poutine.
Une prise de position cinglante
Dans sa publication Instagram, Alla Pougatcheva a affirmé vouloir être ajoutée à cette liste en solidarité avec son mari, qu’elle a qualifié de « vrai patriote incorruptible », mais qui souhaite « la fin de la mort de nos garçons pour des objectifs douteux qui font de notre pays un paria et pèsent lourdement sur la vie de ses citoyens ». A l’adresse du ministère russe de la justice, elle précise : « je suis solidaire avec mon mari, une personne honnête, intègre et sincère, un véritable patriote russe qui souhaite que sa Patrie prospère et vive en paix ».
Alla Pougatcheva n’avait pas encore évoqué publiquement le conflit jusqu’à ce jour. Et c’est une prise de risque certaine. Les autorités russes ont puni de milliers d’amendes, mais aussi de peines de prison, toute critique exprimée quant aux opérations militaires en Ukraine. Plusieurs artistes russes ayant dénoncé le conflit ont vu leurs concerts annulés dans le pays.
Un camouflet majeur
De par la popularité de l’artiste, son intervention publique est un camouflet majeur pour le régime menaçant de réduire à néant des mois de propagande de guerre soigneusement élaborée, alors que le maître du Kremlin est confronté à une pression croissante, tant sur le plan militaire – les forces ukrainiennes reprennent des zones stratégiques aux troupes russes – que sur le plan diplomatique, avec même des alliés clés qui s’inquiètent des retombées mondiales de la guerre.
Les Russes les plus âgés, qui ont grandi en écoutant sa musique, sont les plus grands fan d’Alla Pougatcheva, mais ils forment aussi le noyau dur de Poutine et demeurent, depuis le 24 février dernier, largement silencieux sur la guerre. Nombre d’entre eux ont réagi sur Instagram et de manière très opposée : « Elle ne trouvera plus de soutien parmi les gens honnêtes de Russie », « Nous gagnerons sans ses chanson », « De nouveaux visages, soldats, médecins, correspondants militaires, volontaires constitueront notre élite », mais aussi, « elle est le leader de facto de la partie anti-guerre de la société russe », ou encore « c’est une gifle publique ».
L’artiste fera-t-elle basculer les opinions ? Des observateurs s’interrogent. L’ampleur des réactions montre à tout le moins que les déclarations d’Alla Pougatcheva ont touché une corde sensible dans la société russe.
Alla Pougatcheva a rencontré le président Vladimir Poutine à plusieurs reprises, mais ne l’a jamais ouvertement soutenu. Elle aurait quitté le pays avec son mari depuis le début de l’offensive. La dernière fois qu’elle a été aperçue à Moscou c’est le 3 septembre dernier, lors des funérailles du dernier dirigeant soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, homme de réformes démocratiques dans les années 1980.
Copyright – Vladimir Poutine et Alla Pougatcheva lors d’une cérémonie de remise de prix au Kremlin le 22 décembre 2014 – Instagram