SOCIETE

Disparitions volontaires : « un jour, j’ai pris la fuite »


Mal-être, stress aigus, chaque année des milliers de personnes abandonnent tout du jour au lendemain, sans laisser d’adresse, pour repartir à zéro ailleurs. Ces personnes, qui disparaissent de leur plein gré, laissent derrière elles une famille angoissée et des proches inquiets, avec peu de moyens de les retrouver. Une personne majeure a, en effet, parfaitement le droit de disparaitre. Seules les disparitions jugées inquiétantes font l’objet d’une enquête. Chaque année, ils sont 13.000 en France à sauter le pas, tirer un trait sur leur passé et se faire passer pour mort. Ils seraient aux alentours des 2.000 en Belgique. Coup de folie passager ou impératif vital ? Betty Batoul, auteur belgo-marocaine, militante active des droits humains et fondatrice de l’association Succès, a pris elle aussi, un jour, la clé des champs. « Je considère mon évaporation comme un acte violent, mais salvateur », nous explique-elle.

Trouver des points communs entre eux n’est pas aisé. Dans son ouvrage, « Disparus sans laisser d’adresse », la journaliste Patricia Fagué, tente de dresser un portrait-robot du disparu volontaire. De sexe masculin dans la grande majorité, la quarantaine, il se trouve souvent en situation d’échec professionnel et personnel.
Nombre d’entre eux, n’ont pas connu de schémas familiaux structurés. Tout quitter du jour au lendemain, ce comportement extrême est généralement le signe d’une carence affective dans l’enfance. En raison d’un sentiment indéfectible d’être rejetés, les disparus sont souvent persuadés de ne pas être regrettés. Rare sont les femmes qui partent sans laisser d’adresse. Celles qui le font, fuient la plupart du temps de lourdes violences conjugales. Ce n’est pourtant pas le cas de Betty Batoul.

Un moment de fragilité émotionnelle

Betty Batoul avait tout pour être heureuse, et pourtant. « Je tirai sur la corde depuis un bon moment. Le boulot, un premier livre paru, une association d’aide aux victimes, une maison d’édition et quatre enfants, c’était énorme ! », nous explique-t-elle. Des fragilités émotionnelles vont alors être indices de burn-out. « Je ne dormais plus que trois heures par nuit, j’étais à fleur de peau, mais je mettais cela sur le compte d’une fatigue passagère ».
Des incidents annonciateurs du point de rupture vont alors se succéder. « Je me souviens de ce jour où j’ai mis plus d’une heure à rentrer, alors que j’étais à deux rues de la maison ! Impossible de retrouver mon chemin. J’étais complètement désorientée. Et puis, un matin, j’ai aussi fait une solide crise d’angoisse sur l’autoroute. Plus moyen d’avancer. Je me sentais oppressée par les camions. J’ai pris péniblement la première sortie et mon mari, Pascal, a dû venir me chercher ».

Un point de non-retour

Une petite contrariété conjugale va être point de non-retour. « Nous devions aller au restaurant avec mon beau-père. Occupée à mille choses, je n’étais pas prête, ce qui nous mettait en retard et mon mari va s’énerver. J’ai explosé en sanglots. Il est parti au resto avec les enfants, sans moi. Je me suis retrouvée seule. Et là, le plomb a sauté. Une voix m’a tout d’un coup dicté de prendre la fuite. Comme en pilotage automatique, après avoir écrit une lettre à ma famille pour leur demander pardon, j’ai réuni quelques affaires et j’ai enfourché un vélo. Direction : la gare de Moustier. Je suis montée dans le premier train pour Namur, en serrant contre moi mon sac, dernier objet qui me rappelait mon chez moi et j’ai pensé : ‘J’ai tout quitté, je l’ai fait. Je ne peux plus faire demi-tour. »

 Destination, Lourdes

Arrivée à Namur, Betty Batoul sait qu’elle ira à Lourdes. « J’étais en plein dilemme. Il fallait que je restructure certaines choses, que je fasse des choix. Et à moins d’un miracle, je ne savais pas comment sortir de ce tunnel obscur. Tant de gouttes s’étaient additionnées pour faire déborder le vase que symboliquement j’ai eu le sentiment paradoxal que seule l’eau pourrait me nettoyer. J’ai donc pris un autre train pour Lilles et puis encore un autre pour Paris et le lendemain, j’ai poursuivi ma route jusqu’à destination finale ».

C’est à Paris que Betty Batoul achètera un carnet de note pour y décrire tout ce qu’elle vit. « Je ne savais pas encore qu’un roman naîtrait de ces écrits. Je voulais juste laisser une trace de moi à mes proches, au cas où il m’arriverait quelque chose. »

Un avis de recherche lancé

En Belgique, les recherches s’activent. Sur Facebook on peut lire : « Je suis le mari de Betty. Elle a disparu depuis 15h30, ce dimanche. Nous sommes tous inquiets. Chérie, dis-moi où tu es et je viens te chercher ou donne-moi signe de vie. J’ai dû prévenir la police. Cela ne te ressemble pas de disparaitre. Sonne-moi je t’en prie. Pascal, Julien, Louis, Pierre et Jean ».
Finalement, c’est un appel passé par Betty Batoul, au départ d’un cybercafé, qui permettra aux autorités françaises de la retracer. « Il était temps que l’on me trouve. J’ai vécu cinq jours d’errance et de pleurs, sans boire ni manger. J’étais très faible et je me suis mise en danger, mais j’étais partie dans ma logique ».
Son état de santé imposera une hospitalisation, avant d’être rapatriée chez elle par avion sanitaire. « Lorsque je suis rentrée Pascal et les enfants ne m’ont fait aucun reproche. Je sais que mon départ a été une torture pour eux, mais ils ont compris que c’est l’accumulation qui, un moment donné, le dessine comme la solution ultime », nous précise-t-elle. « Je considère mon évaporation comme un acte violent, mais salvateur. Une décision extrême pour mieux revenir ».

Couper les ponts

Tous les anciens disparus retrouvés racontent qu’un jour ils ont éprouvé le besoin irrépressible de partir, un acte ni réfléchi ni prémédité. Ladislas Kiss, psychiatre cognito-comportementaliste, auteur de « Ces pulsions qui nous dominent », expliquent : « Ils agissent sous le coup de la pulsion, qui annihile la réflexion.
Soudain, ils ne vivent plus que dans l’instant présent, ce qui rend le passage à l’acte possible. Ce moment est toujours le fruit d’une accumulation de tensions internes, de frustrations qu’ils ont été dans l’incapacité de gérer. Ils n’ont alors que cette solution : s’échapper. Souvent, à l’origine du départ, on trouve un déclencheur : une phrase, un événement, même anodin, qui a fait déborder le vase ». Quand cela pèse trop, l’individu ne trouve pas d’autre solution que de couper les ponts.

Le droit de partir

Une situation très difficile pour les proches de ces disparus, d’autant plus que légalement ces derniers ont le droit de partir. Les personnes majeures sont, en effet, libres d’aller et venir sans obligation de rendre des comptes à leur famille. À partir du moment où les autorités ne considèrent pas la disparition comme inquiétante, aucune recherche n’est activée. Seule option, chercher son proche par soi-même, essentiellement via les réseaux sociaux.

Patricia Fagué a donc lancé le site internet Personnedisparue.com. Les familles peuvent y poster un avis de recherche et elle les aide à mener leur enquête. La journaliste met toutefois en garde : « Lorsque nous retrouvons un disparu, le dénouement est normalement heureux. Mais, il arrive que la personne ne souhaite pas revenir et menace même de poursuites pour atteinte à la vie privée », un refus qui est alors vécu comme un second drame par les familles.
Ce pourquoi, Jean-Pierre Winter, psychanalyste français, insiste : « En cas de retour, il ne faut pas brusquer le revenant. La personne se sent déjà coupable d’avoir fait souffrir par son absence. A quoi bon essayer d’avoir des explications, alors que bien souvent, elle ne sait pas elle-même exprimé clairement ce qui lui est passé par la tête ».

 

Plus d’infos sur : www.personnedisparue.com