OPINION

Décryptage du « Profit Warning » de la Banque nationale (BNB).

Le gouverneur de la BNB, Pierre Wunsch, et le Premier ministre? Alexander de Croo. BELGA

Ça n’arrive évidemment pas tous les jours que la Banque Nationale de Belgique (« BNB ») émette un avertissement sur résultats prévenant ses actionnaires des conséquences de la politique monétaire de l’Eurosystème sur son dividende. Saviez-vous que la BNB existe depuis 1850 sous la forme d’une société anonyme, est cotée en bourse et que son actionnariat n’est détenu par l’Etat belge qu’à hauteur de 50% ? La BNB paye donc annuellement des dividendes. On devrait dire dorénavant, « payait ».

Pourquoi ?

L’année 2022 connaît une très forte inflation causée par les perturbations sur les chaînes d’approvisionnement et la rareté de l’énergie.

La Banque Centrale Européenne (BCE) a pour mission de s’assurer de la stabilité des prix en maintenant le taux d’inflation à 2% à moyen terme. Depuis l’été 2022, la BCE a resserré et resserre encore sa politique monétaire en relevant ses taux directeurs et a abandonné sa stratégie de rachat massif d’obligations souveraines et/ou corporate (les actifs financiers).

Ces deux éléments ont eu pour conséquence, depuis 2015, de presser les taux d’intérêts à court terme et à long terme vers le bas.

A fin 2021, la BNB détenait, dans le cadre de la stratégie d’achats massifs, 212,7 milliards d’euros d’actifs financiers qui, pour rappel, sont des « obligations à long terme » ou des titres à revenus fixes portant intérêts (très faibles).

Ce montant a plus que doublé depuis 2017, passant de 96,9 milliards à 212,7 milliards d’euros, dont 125,4 milliards ont une échéance à plus de 5 ans[1].

Le total des avoirs de la BNB se monte à près de 360 milliards à fin décembre 2021.

Les 212,7 milliards représentent donc plus de la moitié des avoirs de la BNB !!

Comment est-ce que la BNB a pu investir autant ? Parce qu’elle a emprunté bien sûr, de trois manières.

La première, en émettant des billets de banque (51,8 milliards d’euros à fin 2021), c’est son rôle.

La deuxième, en profitant du taux directeur de la BCE qui était négatif de 0,50%. Cela signifie que lorsqu’une Banque belge déposait sa trésorerie à la BNB, elle rémunérait la BNB au taux de 0,5%. Crédit facile à très court terme. Les établissements de crédit ont déposé à la BNB 171,4 milliards d’euros à fin 2021.

La troisième en empruntant directement à la BCE pour 86,4 milliards à fin 2021.

La BNB devra désormais rémunérer les dépôts

Suite au revirement de la politique monétaire, la BNB va devoir rémunérer les dépôts des établissements de crédit au taux directeur de 1,25% au lieu d’être rémunérée comme précédemment. Et ce taux a toutes les chances de progresser encore vu la forte poussée de l’inflation.

La BNB était-elle consciente du risque ? Parfaitement. Le Rapport d’entreprise sur l’exercice 2021 fournit les explications suivantes[2] :

À la suite de l’Asset Purchase Programme (APP) et du Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP) une partie grandissante de l’actif du bilan de la Banque a comme contrepartie non plus des billets de banque mais d’autres passifs, tels que les comptes courants des établissements de crédit et la facilité de dépôt, qui sont rémunérés à un taux prédéterminé (positif ou négatif) et à court terme. Cette évolution entraîne une élévation du risque de taux d’intérêt à plus long terme. 

Le problème porte le nom de « Gap duration » ou différence entre la durée des actifs et des passifs détenus par une entité financière. Ou plus précisément, détenir des obligations à long terme dont l’acquisition a été réalisée par des financements à court terme. C’est bien quand les taux diminuent, cela devient un étranglement quand les taux remontent.

Les obligations à long terme ont rapporté à la BNB un revenu de 984,6 millions d’euros[3] en 2021, soit un taux moyen de 0,5% de rendement.

La charge d’intérêts à court terme a couté 868 Millions d’euros[4], soit un taux moyen de 1,0% d’intérêt.

Les conséquences ne s’arrêtent pas là évidement. En effet, la valeur du portefeuille n’est plus la même. Une obligation de 100 qui rapporte 0,5% d’intérêt pendant 10 ans perd automatiquement de sa valeur si le taux d’intérêt du marché est monté à 2,5% par an. L’investisseur perd 2% de rendement par an pendant 10 ans, soit 20% pour faire très simple.

Des fonds propres insuffisants pour éponger les pertes

Le portefeuille obligataire de 212,7 milliards dont 125 milliards qui a une durée de plus de 5 ans et un taux d’intérêt de 0,5% au regard du taux d’intérêt actuel à 10 ans de 2,44%, va connaitre une décote sans précédent !

Sur base des comptes au 31 décembre 2021, la hausse du taux directeur devrait entraîner les conséquences suivantes :

  • Perte du revenu des dépôts des établissements de crédit (-0,5% par an) estimés à 863 millions d’euros ;
  • Charge d’intérêts sur les dépôts des établissements de crédit (dernier taux directeur connu + 1,25% par an) à pondérer sur l’année 2022 estimée à -325 millions d’euros

Ces deux éléments auraient pour effet de gommer le bénéfice de la BNB et de mettre les comptes dans le rouge vif.

Sur base des comptes également, la hausse des taux long terme devrait entraîner une perte de valeur conséquente sur le portefeuille des obligations :

  • Réduction de valeur du portefeuille obligataire (dont 125 milliards ont une duration par hypothèse entre 5 et 10 ans soit 7,5 années et un taux d’intérêt de 0,5% au regard du taux d’intérêt actuel), de plus de 10 milliards d’euros.

A fin 2021, la BNB disposait de fonds propres (capital + bénéfices réservés) de l’ordre de 7,5 milliards qui seraient loin d’être suffisants pour combler les pertes qui risquent de s’étaler sur plusieurs années.

La BNB serait donc la seule à penser que les taux d’intérêts long terme ne remonteraient pas. Bien sûr que non, puisque la BNB attire l’attention, dans son rapport d’entreprise 2021, sur « l’élévation du risque de taux d’intérêt à plus long terme ».

La BNB qui assume également la mission de régulateur connaît parfaitement les conséquences d’un gap duration trop important.

Y aurait-il 2 BNB ? L’une qui impose des règles (limiter le Gap duration) que l’autre n’applique pas ?

Patrick Henri, ex-directeur financier d’une grande entreprise belge

[1] La Banque Nationale des Pays-Bas indique que la durée moyenne des obligations qu’elle détient est de 10,4 années.

[2] page 13 point 3.1.2.1.2 Risques de taux d’intérêt et risques liés au volume des actifs rentables

[3] Page 56 du rapport 2021

[4] Page 57 du rapport 2021