POLITIQUE

François De Smet (Défi) : « Je me présente pour un deuxième mandat pour terminer le travail »

François De Smet réélu à la présidence de Défi pour 4 ans. Il va devoir unir le parti, en proie à des critiques en interne. BELGA

A quelques jours de l’élection présidentielle chez Défi, le président sortant, François De Smet nous avait accordé une grande interview. Il dit se présenter pour un deuxième mandat de 3 ans à la tête de l’ex-FDF. Le vote se déroule ce dimanche 4 décembre. Il croit en ses chances de l’emporter au regard de son bilan qu’il qualifie de bon, face au challenger, le député bruxellois, Michaël Vossaert (photo dans le texte). Les deux candidats ont enregistré des ralliements ces derniers jours. Le président sortant de Défi décoche une série de flèches contre le Gouvernement fédéral à qui il reproche de naviguer à contre-courant, notamment en matière d’énergie, de réforme fiscale, etc. « On n’a pas retrouvé un gouvernement réformateur qu’on aimerait avoir. Il est parasité par des déclarations de plusieurs de ses présidents de partis », dit-il. En matière d’énergie, il plaide pour l’instauration d’un tarif régulé en Belgique par dérogation aux règles européennes  jusqu’en 2025.

Dans quel état d’esprit êtes-vous à quelques jours des élections présidentielles chez Défi ?

Je ne me voyais pas président quand je me suis présenté il y a 3 ans. J’étais très heureux d’avoir été élu président, parce que je venais d’arriver comme député fédéral. Une série de militants m’avaient poussé à me présenter en me disant que j’avais un profil nouveau, que j’allais apporter quelque chose d’autre au parti. Aujourd’hui, je pense avoir construit, avec d’autres, quelque chose d’intéressant. Nous avons un bon bilan. Je me présente pour un deuxième mandat pour terminer le travail. Nous avons passé toute l’année 2022 sur le programme, nous avons remis les comptes au vert, nous nous sommes un peu mieux structuré. Le parti a enregistré 500 membres de plus, il a plus de sections, etc. Donc c’est logique de vouloir terminer le travail. Si je partais maintenant, j’aurais l’impression de partir à la mi-temps du match. Bien sûr, il y a de l’opposition, mais c’est quasiment toujours ainsi chez Défi. Même Olivier Maingain (ancien président de Défi) avait régulièrement 2-3 challengers relativement solides, ça ne m’inquiète pas. Il y a une tradition extrêmement forte de démocratie interne chez nous.

Vous partez donc gagnant ?

Je ne ferai pas l’erreur de sous-estimer qui que ce soit. C’est un parti où tout est possible, où tout peut arriver. Je crois que j’ai un bon bilan, je ressens un fort soutien des militants, beaucoup de gens me demandent de continuer, mais ça reste une élection avec une part d’incertitude. S’il y a d’autres candidats, parce que c’est la démocratie, ça veut aussi dire que qu’il y a l’une ou l’autre chose qui doivent être améliorées, je ne me considère pas comme gagnant.

Le Gouvernement fédéral est à mi-parcours. Quel bilan tirez-vous ?

On n’a pas retrouvé un gouvernement réformateur qu’on aimerait avoir. Il est parasité par des déclarations de plusieurs de ses présidents de partis. Il y a un manque de production de réformes. On attend toujours la réforme fiscale qu’on nous annonce depuis les calendes grecques. La réforme des pensions est aujourd’hui portée disparue. Le budget adopté ne répond pas à la crise énergétique comme nous pensons qu’il faudrait le faire. Malgré le fait qu’on soit dans l’opposition, on avait soutenu la Vivaldi, parce que c’est une coalition rendue nécessaire par la situation. Il fallait un vrai gouvernement en pleine crise Covid-19. Depuis les élections 2019, on prédisait que la solution se ferait sans la N-VA, on ne voyait pas la N-VA monter à bord, on privilégiait une coalition arc-en-ciel (composée des Libéraux, des Socialistes et des Ecologistes) à laquelle on aurait ajouté, soit le CD&V, soit l’ex-cdH et éventuellement nous-mêmes (Défi). C’était limite, mais ça passait. Je ne regrette pas le soutien apporté à la Vivaldi, parce qu’il faut éviter de gouverner avec les nationalistes flamands (N-VA). Mais il est dommage de voir comment elle fonctionne…

Vous êtes déçu ?

Bien sûr. On ne va pas applaudir un gouvernement qui est toujours à contre-temps et qui passe à côté de son sujet. La coalition n’arrive pas à produire, ne serait-ce qu’une réforme substantielle. Tout a l’air laborieux, pénible, avec surtout cette faculté de s’enguirlander en public et sur Twitter en permanence, ce qui crispe tout le monde. Le fait qu’il n’y ait toujours pas de réforme fiscale, est inquiétant. On sait, tous, ce qu’il y a sur la table et ce qui doit être fait. On sait tous notamment que le travail est beaucoup trop taxé, qu’il y a beaucoup trop de niches fiscales et que le système est illisible. L’équilibre doit se trouver dans une détaxation des charges sur le travail, une simplification et une destruction d’un maximum de niches fiscales. La grande diversité idéologique du gouvernement et, sans doute, le fait que son action soit paralysée par des prises de parole fortes des présidents de partis dans une atmosphère où plane souvent les sorties populistes compliquent la situation.

Défi est candidat à participer à un gouvernement fédéral à  l’issue des élections de 2024, mais sans la N-VA.

Pensez-vous que les Ecologistes sont un élément de blocage ?

Pas seulement Ecolo-Groen, mais aussi la manière dont des dossiers se retrouvent trop vite sur la place publique. Ça qui n’aide pas. Et le président du MR (Georges-Louis Bouchez, ndlr) n’aide pas non plus. Quand vous tapez sur la ministre de l’Energie (Tinne Van der Straeten/Groen !, ndlr) qui en train de négocier et sur le Premier ministre (Alexander De Croo/VLD, ndlr), est-ce que vous voulez vraiment réussir ou est-ce que vous voulez que ça se casse la figure pour pouvoir dire après que c’est la faute des Ecolo ? Peut-être qu’il y a tout un jeu derrière qui n’est pas sain.

Michaël Vossaert, chef de groupe Défi au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles souhaite un contrôle parlementaire de la façon dont WBI est géré. BELGA

Le député bruxellois, Michaël Vossaert, le challenger du président sortant dans la lutte pour la présidence du parti.  Belga

Quelle est votre solution sur la question énergétique ?

Nous pensons qu’il fallait imposer un tarif régulé. Depuis le début de cette crise, je partage l’avis de Jean-Pierre Hansen (ex-CEO d’Electrabel). Dans une interview donné au quotidien « Le Soir », il soutient qu’il est possible, pour la Belgique, de mettre en place un tarif régulé, à la fois pour les ménages et les entreprises pour une consommation moyenne. Si vous consommez plus, vous paierai plus. On prend comme base, la consommation de l’année précédente. Ça permettrait de faire la différence entre un bureau d’avocats qui, objectivement, consomme de l’électricité notamment pour ses photocopieuses et ses ordinateurs, et le petit boulanger qui, lui, a des fours industriels. Il est possible d’instaurer un tarif régulé en Belgique par dérogation aux règles européennes  jusqu’en 2025. Ce qui me distingue des autres partis comme Les Engagés ou le PTB, c’est que je crois que ce serait possible de le faire sans avoir à dédommager les opérateurs. Car il y a une certaine logique : dès le moment où vous imposez un prix à un opérateur, bien sûr qu’il ne vendra pas à perte, puisque l’électricité lui coûte très peu cher à produire et il la revend très très cher à cause de la surenchère des prix de l’électricité alignée sur les prix du gaz. Donc l’opérateur n’y perd pas grand-chose. Par contre, il ne va pas se créer les fameux surprofits.

Vous ne partagez donc pas la solution du Gouvernement fédéral ?

Non. Il est plus simple de limiter la facture des consommateurs, notamment pour toute une série de PME et de petits indépendants de proximité, en instaurant un prix régulé que les mesures prises aujourd’hui qui créent une usine à gaz. Car on ne touche pas aux factures, mais on prend toute série de mesures compensatoires qui ne seront jamais suffisantes, parce qu’elles créeront des injustices. Je prends deux exemples dont l’un a été soulevé par Didier Gosuin (Défi, ancien bourgmestre d’Auderghem et ancien ministre bruxellois de l’Economie et de l’Emploi, ndlr). Il concerne tous les immeubles à appartements de ce pays où les chaudières sont collectives, les occupants qui sont propriétaires ou locataires sont discriminés par les mesures fédérales, car comme ils n’ont pas de compteurs au gaz individuels, ils ne peuvent pas bénéficier du tarif social, ni de la fameuse prime de 135 euros pour le gaz. Les autorités ont promis de régler le problème, mais on attend toujours. Par ailleurs, il y a une injustice aussi concernant les entreprises. On voit bien que ce sont les petits commerces de proximité qui souffrent, notamment la boulangerie, la boucherie, etc. Ce sont des commerçants qui utilisent beaucoup d’énergie, mais qui ont peu de personnel. C’est bien de faire des reports de charges ou de cotisations sociales, comme l’a décidé la Vivaldi (Gouvernement fédéral, ndlr), mais ça ne va pas empêcher la boulangerie de fermer, à cause des factures d’énergie qui explosent. Ce n’est pas de la science-fiction que de fixer des prix en Belgique. C’est ainsi que la Belgique avait fonctionné entre 1955 et l’an 2000.

La libéralisation du marché de l’énergie des années 2000 n’était peut-être pas l’idée du siècle.

C’est-à-dire…

Il y avait un comité qui fixait les prix de l’électricité et on ne peut pas dire qu’on était Union soviétique pour autant. C’était pratique et ça nous a permis de passer au travers de toute une série de crises de l’énergie (1973, etc.). Même si je suis libéral de conviction avec une position sur l’économie de marché, la grande leçon que cette crise est en train de nous apprendre est que : un, il y a un manque d’indépendance énergétique de l’Europe et deux, la libéralisation du marché de l’énergie des années 2000 n’était peut-être pas l’idée du siècle. La guerre en Ukraine nous rappelle aujourd’hui que l’énergie, et singulièrement l’électricité, n’est pas juste une marchandise, c’est aussi un bien de première nécessité et un bien stratégique. Dans une Europe qui, au 21è siècle, va devoir se battre pour son approvisionnement, on verra un jour la guerre en Ukraine comme la première guerre d’un nouveau type où c’est une compétition pour un accès aux ressources. Nous devons nous réveiller et arrêter une sorte de Suisse qui estime qu’elle peut vivre peinarde au milieu du reste du monde sans avoir d’impact. Et ben non, on est entourés de gens qui ne nous veulent pas forcément du bien et on n’a pas d’indépendance énergétique, tout ce qu’on fabrique, se fait avec du pétrole à 85% et le gaz est, majoritairement, importé de l’étranger, ça ne va pas. On doit se reposer sur d’autres piliers que sont le renouvelable et le nucléaire sinon on ne s’en sortira pas.

D’après vous, pourquoi le Gouvernement fédéral n’arrive pas à réguler les tarifs d’énergie ?

Parce qu’il n’y a pas de consensus idéologique. A mon avis, il n’ose surtout pas avoir une discussion franche avec Engie (principal producteur d’électricité, ndlr) et, sans doute, le dessous des cartes qu’on ignore, c’est que le Fédéral est, par ailleurs coincé dans une négociation avec Engie sur la fameuse prolongation des deux réacteurs nucléaires qu’ils ne sont pas du tout sûrs d’obtenir. De plus, les choses sont d’autant plus compliquées que ces opérateurs électriques sont français. Le Fédéral n’a pas une marge de manœuvre, parce qu’il est très dépendant d’Engie pour prolonger deux ou plusieurs réacteurs nucléaires et il n’ose pas imposer un prix, alors qu’il pourrait le faire, sans devoir consentir à des dédommagements.

Comment voyez-vous les élections de 2024 ?

C’est toujours imprévisible de savoir sur quoi va se jouer une élection. Tout le monde fait des prévisions, mais en fait ce sont des sujets très différents parfois qui s’invitent. J’ai une crainte majeure sur ce qui va se passer en Flandre. Est-ce que le Vlaams Belang (VB) et la N-VA vont se retrouver majoritaires ? Vont-ils sauter le pas et former une coalition pour gouverner ensemble, ne serait-ce qu’en Flandre ? Cette éventualité serait un séisme. Même si je fais la différence entre le VB et la N-VA, il y en a un qui est d’extrême droite et l’autre de la droite extrême. La situation est compliquée à la N-VA, il y a aussi des conservateurs, des libéraux et des gens honorables, mais on note une porosité très forte avec le Belang. Le pays n’est pas immunisé contre le risque de paralysie, contre le fait que les Francophones pourraient se voir menacer d’une réforme de l’Etat contre laquelle, malheureusement ils ne font pas grand-chose pour s’y préparer. Pire encore, non seulement ils se parlent assez peu entre eux sur la manière dont il  faut ou non faire une réforme de l’Etat. On pourrait aussi convenir qu’il n’en faut pas.

Et si une réforme de l’Etat devait intervenir…

Si une réforme de l’Etat doit advenir, elle doit surtout servir à corriger ce qui ne va pas, singulièrement les erreurs de la 6ème réforme de l’Etat et à simplifier les distributions de compétences. Elle ne doit surtout pas aller vers plus de destruction du pays. Malheureusement les Francophones non seulement ne se parlent pas, mais mettent leurs entités fédérées dans une position budgétaire très fragile (fédération Wallonie-Bruxelles, Wallonie, etc.). Il est aussi temps de se poser certaines questions. A-t-on besoin d’intercommunales aussi nombreuses en Wallonie, d’OIP aussi nombreuses à Bruxelles ? A-t-on vraiment besoin de 89 députés à Bruxelles ? Ne peut-on pas essayer une rationalisation intra-Francophones ? Si on n’anticipe pas les choses, on va arriver en 2024 avec des entités aux budgets immaîtrisables, ce qui en ferait un oiseau pour le chat.

Si une réforme de l’Etat doit advenir, elle doit surtout servir à corriger ce qui ne va pas, à simplifier les distributions de compétences.

Redoutez-vous donc un blocage du pays après 2024 ?

Bien sûr, si nous avons une solidarité entre N-VA et Vlaams Belang. Ça va surtout dépendre des performances et des intentions des partis démocratiques flamands, ceux que nous considérons comme des partenaires potentiels (VLD, Vooruit, CD&V, Groen). L’histoire récente des deux derniers gouvernements a montré que vous pouvez gouverner avec une minorité dans un des groupes linguistiques, ce n’est pas l’idéal, parce qu’une telle situation alimente des frustrations d’un côté ou de l’autre de la frontière linguistique. J’espère que la raison l’emportera. C’est surtout le VB qui est inquiétant, ce parti est très décomplexé comme si le poids de l’histoire n’existait plus, comme si on oubliait ce que ça veut dire d’être fasciste ou d’avoir des relents d’extrême droite. Quand vous entendez les propos d’un Dries Van Langenhove (député fédéral du Vlaams Belang, ndlr) au Parlement, il n’y a aucun doute. Je fais toujours la différence entre l’extrême droite et l’extrême gauche (PTB, ndlr). Mais l’extrême gauche capte aussi une partie des votes sur la colère, la peur avec un certain populisme et comme il n’y a pas grand-monde qui veut gouverner avec eux, ils éliminent aussi de l’équation toute une série de sièges. Il reste à espérer que ce gouvernement marque quelques points et que des majorités sans VB évidemment, mais aussi si possible sans la N-VA puissent être réalisées. La clé se trouve largement en Flandre.

Quel sera le rôle de Défi ?

D’abord on est là et bien là. Nous n’avons que deux députés fédéraux. On nous dit souvent « vous n’avez que deux députés », mais au moins tout le monde sait comment ils s’appellent. Sophie Rohonyi abat un très gros travail, et moi modestement aussi, je pense. On choisit évidemment nos dossiers, car il est impossible d’être partout. Soit on arrive à convaincre, soit on s’oppose de manière constructive, soit on arrive à inspirer d’autres gens. Défi ou l’ancien FDF avait ça comme caractéristique c’était de pouvoir projeter une vision à long terme et d’avoir souvent raison, c’était le cas sur le fédéralisme, la Région bruxelloise, etc. On essaie d’amener de la raison. On veut évidemment gagner les élections comme tout le monde.

Quelles sont vos perspectives après 2024 ?

Je pense qu’il y a moyen d’obtenir un troisième député à Bruxelles ou de décrocher 1 ou 2 sièges en Wallonie. Avec une bonne dynamique, on pourrait obtenir 4 ou 5 sièges aux élections, on deviendrait ainsi crédible numériquement pour pouvoir renforcer un bloc de partis démocratiques raisonnables qui souhaiteraient gouverner sans le VB et la N-VA en y apportant des éléments de notre programme, entre autres, une fiscalité plus juste, pas de réforme de l’Etat sauf si c’est pour réparer les erreurs de la 6ème réforme de l’Etat, la laïcité politique, etc.

Nous gouvernons à Bruxelles et j’ai bien envie de continuer pour poursuivre le travail qu’on fait notamment sur la diminution du chômage.

Nous gouvernons à Bruxelles et j’ai bien envie de continuer pour poursuivre le travail qu’on fait notamment sur la diminution du chômage. On pourrait gagner un premier député régional en Wallonie ou encore un premier député fédéral en Wallonie. Modestement, on sait bien qu’il est impossible pour Défi de participer à un gouvernement en Wallonie. Dans cette atmosphère un peu populo où certains partis démocratiques se mettent à imiter les partis les plus populistes sur les réseaux sociaux, la simplification du message, cet amour inconsidéré pour ce que les tripes envoient plutôt que la raison, nous avons un rôle à jouer. Je sens qu’on attire des profils et des électeurs qui ont envie d’un discours nuancé et raisonnable.

Défi est-il candidat à participer à un gouvernement ?

Bien sûr. Si on se présente aux élections, c’est toujours pour participer à un gouvernement, ce n’est pas complètement dingue, le FDF a déjà participé à des gouvernements.