OPINION

Fermeture du corridor de Latchine au Karabakh : dialogue de sourds entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan

Images d'archives de représentants de la diaspora azerbaïdjanaise exigeant le retour du Karabakh au sein dans le giron de l'Azerbaïdjan. BELGAIMAGE

La déclaration trilatérale (Arménie-Azerbaïdjan-Russie), qui a mis fin le 10 novembre 2020 à près de trente ans d’occupation du Karabakh par l’Arménie et les forces pro-arméniennes, a permis le retour des 20% du territoire azerbaïdjanais annexés par Erevan dans le giron de Bakou. Depuis plus de deux ans, la paix entre les deux pays se construit, malgré les tensions avec des rencontres régulières entre le président d’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev et le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, mais aussi sur le terrain. Si les rounds de négociations pour faire avancer le processus de normalisation entre les deux pays se font pour la plupart en Europe, la réalité de ce que vivent les sociétés sur le terrain est souvent méconnue des préoccupations européennes. Mais la tension est de retour avec la fermeture du corridor de Latchine au Karabath, l’Arménie accuse l’Azerbaïdjan pendant que ce dernier cible plutôt les forces russes de maintien de la paix.

Pendant tout le temps de l’occupation arménienne du Karabakh, beaucoup de villages de la région ont été détruits ou laissés à l’abandon. Des centaines de milliers d’habitants en ont été expulsés. Nombre de lieux de vie sont devenus des lieux de morts ou transformés : des mosquées sont devenus des étables et des bibliothèques ont été pillées. Quant à la nature, elle a parfois été saccagée. Parmi les premières priorités du gouvernement d’Azerbaïdjan qui visait le désenclavement de la région,  il a fallu construire de nouvelles routes pour relier les principales villes libérées et permettre de faire revenir progressivement les populations.

Le cessez-le-feu n’a pas tout réglé

Signé sous l’égide des Russes, le cessez-le-feu n’avait pas pour autant tout résolu : les Arméniens ont longuement traîné pour fournir à l’Azerbaïdjan la carte des mines qu’ils avaient posées avant de se retirer. Régulièrement, l’avancée sur le terrain de la paix connaît de nouveaux problèmes.

Il a fallu aussi sécuriser des couloirs de circulation, dont le fameux corridor de Latchine, reliant l’Arménie au Karabakh. Avant 2022, c’était la seule voie entre les deux pays. Demeuré officiellement azerbaïdjanais après l’indépendance du pays en 1991, il a été intégré par la suite après la conquête arménienne du Karabakh à ce dernier. Reliant l’Arménie à Khankendi[1] sur une longueur de 65 kilomètres, le territoire comprend les trois villages de Latchine. Au début de la guerre de 2020, ce couloir de 5 km de long a permis d’évacuer la population arménienne du Karabakh vers l’Arménie. Depuis la signature du cessez-le-feu, c’est la Russie qui est chargée d’assurer la sécurité et la liberté de circulation.

Il était prévu la construction par Bakou d’une route pour Latchine, qui permette de rendre définitivement le corridor par la suite à l’Azerbaïdjan. Suite aux différentes tensions survenues depuis l’été dernier, l’Arménie a remis en cause cette disposition de l’accord de paix, le considérant comme illégal et parce que l’Arménie voulait avoir son mot à dire sur le plan de construction de la dite-route. Erevan, dans la foulée, s’est engagée à construire d’ici le printemps 2023 sa propre voie et demandait en août dernier aux derniers habitants arméniens de quitter les trois villages formant Latchine afin qu’ils soient rendus à l’Azerbaïdjan. Bakou, ayant fini sa propre route de contournement, demandait à Erevan de réaliser le raccordement à son territoire.

Hiver rude pour la population

Depuis plusieurs jours, l’Arménie accuse l’Azerbaïdjan d’avoir mis des entraves à la circulation sur le corridor, mettant  en plein hiver dans la difficulté la population notamment vivant dans la ville de Khankendi. Le ministère arménien des Affaires étrangères avertissait Bakou des conséquences humanitaires graves à venir pour la population locale. Conformément à la déclaration trilatérale du 10 novembre 2020, l’Azerbaïdjan s’est engagé à pouvoir garantir la sécurité des déplacements des personnes, des marchandises et des véhicules le long du corridor. Et c’est là que les arguments du ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères divergent d’Erevan pour accuser la Russie : ce serait l’Arménie qui viole les dispositions de la déclaration, en refusant de retirer ses troupes armées du territoire azerbaïdjanais de Latchine, en multipliant les provocations, et en obstruant l’ouverture de toutes les voies de communication dans la région. Ce faisant, l’Arménie violerait clairement le paragraphe 9 de l’accord trilatéral.

Or, concernant la fermeture du corridor de Latchine, pour Bakou, ce sont bien les forces de maintien de la paix russes, alliés d’Erevan, qui en sont les responsables. Depuis le 3 décembre, des représentants des autorités azerbaïdjanaises ont mené des discussions avec les forces russes sur place afin de dénoncer cette situation et surtout l’exploitation économique illégale menée par les Arméniens dans la région, à commencer par l’extraction illégale et polluante des ressources minières locales.

Sébastien BOUSSOIS

Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient  relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)

[1] Appelée Stepanakert par les Arméniens