OPINION

Qatargate ou EUgate ? Le début d’une longue enquête qui révèle les failles éthiques du Parlement européen

L'ancien député européen Pier-Antonio Panzeri, l'homme par qui est arrivé le scandale qui éclabousse aujourd'hui le Parlement européen. BELGAIMAGE

Il faudrait désormais renommer le dossier sulfureux du « Qatargate » en un véritable  « EUgate », tant les ramifications de cette affaire semblent déjà montrer l’existence d’une structure et les agissements d’individus peu scrupuleux liés au Parlement européen mis à disposition de nombreux pays en quête d’influence. Dans cette histoire de la poule et de l’œuf, il y a fort à parier que l’ONG Fighting Impunity, dirigée par l’ancien députée européen Pier Antonio Panzeri, soit devenue une organisation de consultance privée au cœur des institutions. 

Dès le début du scandale, les médias ont visé « le Qatar », comme entité politique, et l’ont accusé d’arroser copieusement le Parlement européen, après que plus d’un million et demi d’euros aient été retrouvés aux domiciles des deux principaux personnages suspectés de corruption pour le moment : Eva Kaïli, ancienne présentatrice phare de la télévision grecque et promue vice-présidente socialiste du Parlement européen (parmi 14 autres) ; et Pier Antonio Panzeri, ancien député européen socialiste, homme de réseaux, pilier de l’institution pendant deux décennies et spécialisé sur les questions du Moyen-Orient et en particulier du Golfe.

Autour d’eux, les fils d’une toile plus vaste, qui ont vu plusieurs perquisitions menées par le juge belge Michel Claise, docteur es délinquants financiers, aux bureaux ou domicile de Marie Arena, députée européenne belge et socialiste, ainsi que chez Marc Tarabella, également député socialiste belge au Parlement européen. Il faut y ajouter la mise à l’écrou du conjoint d’Eva Kaïli, Francesco Giorgi, passé aux aveux depuis. Le fait que la majeure partie des suspects soit italiens ou d’origine, et socialiste, n’est peut-être pas un hasard. Une toile d’araignée, de confiance, d’amitié, de sympathie, d’intérêts communs pourrait s’être créée autour d’un homme. Quelques jours après, on découvrait que le Maroc aurait profité aussi de la filière interne du Parlement pour peser auprès des institutions dans la reconnaissance du Sahara Marocain contre le Polisario[1]. Mais pas seulement, puisqu’un ancien oligarque kazakh[2],  Mokhtar Ablyazov, actuellement poursuivi pour le détournement de plusieurs milliards de dollars, se serait acheté également les services de Panzeri, selon le journal L-Post.

Il n’y a pas que le Qatar et le Maroc…

D’autres soupçons se sont portés cette fois sur l’ancien Commissaire européen à la Migration, Dimitri Avramopoulos de corruption qui figurait dans le « board » de l’organisation au nom cynique de « Fight Impunity » de Panzeri. Une enquête a d’ailleurs été lancée récemment par Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne[3].

L’association de Panzeri aurait servi de caisse enregistreuse dans cette affaire. Cela voudrait dire que cette structure serait devenue, au sein du Parlement, d’où les éléments graves suspectés de corruption, une quasi-boîte de consultance interne qui aurait proposé ses services en externe. Il paraît peu probable que le Qatar soit allé, comme le Maroc, au hasard, dans ce magma et cet océan des institutions européennes sans que des personnes ne leur aient proposé leur pouvoir et leur capacité d’influence. Et il y a fort à parier que la Chine, les Emirats arabes Unis et la Russie aient agi de même par le biais d’autres canaux occultes.

Cette photo d'archive fournie par le ministère du Travail du Qatar montre le ministre du Travail de l'émirat du Golfe Ali bin Samikh al-Marri lors d'une réunion avec la vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili à Doha le 31 octobre 2022. AFP

La désormais ex-vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaïli en discussion avec le ministre qatari du Travail. (AFP)

Perception négative du lobbying en Europe

L’influence comme le lobbying sont perçus en Europe très négativement comparativement aux pays anglo-saxons, à commencer par les Etats-Unis. Mais même en Europe, il y a du lobbying légal à travers des sociétés de communication et fait par des privés, et du lobbying totalement illégal mené par quelques personnes, en pleine infraction des institutions.

En effet, être élu et représentant du peuple en faisant du « lobbying » lucratif est évidemment interdit par l’Union européenne. On saura à l’avenir qui dans ces pays ont été en contact avec la structure de Panzeri, par l’entremise d’intermédiaires français et notamment marocains[4]. Une question demeure : quelle est l’utilité de corrompre quatre ou cinq personnes dans cet océan institutionnel qu’est l’Europe ? Il est quasi impossible que si peu de personnes puissent faire basculer une décision. Quand bien même les décisions ou les résolutions votées par le Parlement européen étaient déterminantes et suffisamment contraignantes pour ces Etats.

Il y a toujours des corrupteurs et des corrompus. Cela pose aujourd’hui, plus que jamais la question de l’intégrité de l’Union certes, mais plus particulièrement la politique de lobbying active qui est pratiquée à son égard au cœur même du système. Rappelons que selon des chiffres du Parlement européen lui-même, l’impact de la corruption à l’échelle européenne de tous les Etats-membres, s’élèverait à près de 1.000 milliards d’euros, soit 6,3% de son PIB total. Ceci prouve que le problème n’est pas tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du fruit. Plus de 12.500 organisations sont désormais enregistrées auprès du Parlement, représentant plus de 50.000 personnes. Parmi celles-ci, « Fight Impunity » de Panzeri, comme tant d’autres ONG, associations d’entreprises, entreprises, syndicats ou encore think-tanks. Si le lobbying est plus strict côté européen qu’américain, il reste encore extraordinairement laxiste. D’ailleurs, un article de l’Express le qualifiait même cette année encore de « passoire face aux risques de corruption »[5]. On en a eu récemment la preuve.

Sébastien BOUSSOIS

Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient  relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)

[1] https://www.lesoir.be/484091/article/2022-12-20/au-maroc-la-famille-de-panzeri-recuperait-les-produits

[2] https://lpost.be/2022/12/13/qatargate-pier-antonio-panzeri-defendait-egalement-un-oligarque-dasie-centrale/

[3] https://www.politico.eu/article/qatar-scandal-ursula-von-der-leyen-officials-met-ex-eu-commissioner-dimitris-avramopoulos-eva-kaili/

[4] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/17/corruption-au-parlement-europeen-un-mysterieux-espion-marocain-au-c-ur-de-l-enquete_6154798_3210.html

[5] https://www.lexpress.fr/monde/europe/qatargate-le-parlement-europeen-une-passoire-face-aux-risques-de-corruption-XHYK6JPABVDDJJ2D4SMXTI3PFU/