REMANIEMENT MINISTERIEL

Israël: le Premier ministre Benjamin Netanyahou licencie Aryé Dery, ministre de l’Intérieur et fraudeur

Un manifestant israélien porte une pancarte et une torche lors d'un rassemblement contre le nouveau gouvernement d'extrême droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu dans la ville côtière de Tel Aviv le 21 janvier 2023. AFP

En Israël, le nouveau Premier ministre, nommé à la suite des élections législatives du 1er novembre, Benjamin Netanyahou, alias Bibi, fait face à sa première crise. Aryé Dery, celui qui avait été désigné vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Santé, vient d’être remercié. Condamné pour fraude fiscale, il s’était engagé à se retirer de la vie politique. Depuis sa nomination par Netanyahou, la Cour suprême s’était penchée sur son cas. Dix juges sur onze ont invalidé mercredi 18 janvier sa nomination, provoquant la première crise d’ampleur majeure pour Bibi.

Il faut tout de même rappeler que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, est revenu en force au pouvoir en s’acoquinant avec tous les partis d’extrême droite, nationalistes, religieux du pays. Sans eux, ça ne marche pas et il aurait été incapable dernièrement de former une coalition solide. Et cela commence mal car Aryé Dery est le principal bras « extrême-droite » du Premier ministre avec un parti Shas, le parti orthodoxe séfarade, qui avait obtenu 11 députés sur 120 à la Knesset lors du scrutin du 1er novembre. Fort de ce résultat, Bibi en a fait son allié en le nommant vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Santé.

Quant au Likoud, il avait obtenu 32 sièges, mais ne pouvait rien faire sans les 14 sièges pour le Parti national religieux, les 11 du Shas, 7 pour le Judaïsme unifié de la torah. C’était une liste très forte face à une gauche totalement désunie et un Yair Lapid, le dernier Premier ministre centriste, qui basculait dans l’opposition avec ses 32 sièges et sans réserves de voix. Donc, s’il y a crise demain, et que le Shas se retire de la coalition pour protester contre l’éviction de son poulain, ce sera à nouveau la crise majeure dans l’Etat hébreu. L’histoire sans fin.

Refus de démissionner

Mais pour autant Aryé Dery a annoncé dernièrement qu’il ne démissionnerait pas. Or, la Cour suprême a invalidé mercredi 18 janvier sa nomination estimant que la présence d’une personnalité condamnée par la justice portait atteinte à « l’image et à la réputation du système judiciaire du pays et contredisait les principes de conduite et de légalité ». Il a été condamné pour fraude fiscale en 2021 et n’a pas respecté son engagement de quitter la vie politique.

Mais en démocratie israélienne, c’est un peu comme ça et l’intéressé dit ne pas vouloir décevoir ses électeurs. Criant au complot, il demande à Benyamin Netanyahou de résoudre le problème : « S’ils nous claquent la porte au nez, nous reviendrons par la fenêtre, a-t-il prévenu mercredi soir. S’ils ferment la fenêtre, nous passerons par le toit. »[1] Benaymin Netanyahou vient de régler le problème. Reste à savoir ce que fera l’extrême-droite, qui a mis tant de temps pour atteindre les sommets. Comme une prédiction que ce n’est que le début. Ils sont là, prêts à y rester. Et cela sera encore plus facile que l’opposition est devenue plus faible que jamais dans le pays.

Quelle alternative pour Bibi ?

Le Premier ministre ne pouvait pas faire autrement que de se séparer du ministre condamné pour fraude. Car le sauver et ignorer la décision de la Cour suprême serait illégal. Rappelons que lui-même est en procès pour corruption et fraude. Alors l’écarter pour éviter les remous supplémentaires ? Plus probablement, quitte à envisager un poste de premier ministre tournant comme ça a été le cas auparavant avec lui.

Mais cela va mener au cœur de la vie politique israélienne à un combat plus large au sein des institutions, mettant un peu plus en danger encore les fondements de sa démocratie.

Un certain nombre de nouveaux ministres posent déjà problème : Itamar Ben-Gvir, le nouveau ministre de la Sécurité nationale avait été poursuivi de nombreuses fois par la justice israélienne pour émeutes, discours incendiaires et obstruction au travail de la police. Ou citons encore le cas de Bezalel Smotrich, ministre des Finances, qui déclarait hier « Mes électeurs se moquent que je sois homophobe ou fasciste ». Lui qui assume pleinement d’être les deux à la fois. Et qui veut prendre des mesures maintenant contre la communauté LGBTQ dont il dit n’avoir rien à faire.

La coalition d’extrême-droite menée par Bibi a déjà annoncé son intention d’annexer les colonies en territoire palestinien à Israël et veut clairement saper les fondements de la démocratie israélienne par le biais de ses instituions. Elle veut donner à la Knesset, le Parlement, qui lui est favorable, les moyens de faire taire les juges de la Cour suprême qui s’en sont pris à Aryé Dery. Citons enfin le Dernier ministre qui va dans le sens du déni démocratique : Yariv Levin, qui a traité la décision de la Cour suprême à ce sujet d’absurde, et contraire à la décision du peuple. Il est vice-Premier ministre et ministre de la justice.

En résumé, le gouvernement Netanyahou VI, c’est : populisme, loi divine, rejet des lois humaines, déni des fondements démocratiques. Tout ça en moins d’un mois, à en faire passer Bibi désormais pour le plus grand des modérés ! Il est peut-être à ce stade le dernier barrage avant le grand raz-de-marée fascisant dans le pays.

Sébastien BOUSSOIS

Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient  relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)

[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/19/en-israel-le-gouvernement-netanyahou-defie-par-la-cour-supreme_6158477_3210.html