FLANDRE

Le combat politique entre la N-VA et le CD&V dans le dossier de l’azote: tous perdants au profit du Vlaams Belang

Le Gouvernement flamand a du mal à accorder son violon dans sa volonté de limiter les émissions d'azote de l'industrie et du secteur agricole. BELGA

La Flandre traverse une « crise de l’azote ». Elle trahit principalement un intense rapport de force entre le CD&V et la N-VA, avec en point de mire : le secteur agricole (défendu par le CD&V) et l’industrie (N-VA). Le Vlaams Belang est le troisième qui compte les points et monte en Flandre profonde. En Wallonie, le débat est à peine effleuré. En Flandre il se déroule comme un drame. Un drame qui divise profondément le Gouvernement régional. Au mieux, ce dernier traînera jusqu’en 2024 avec une profonde méfiance entre la N-VA et le CD&V. Il se passera très peu de choses politiquement en Flandre d’ici là dans ce scénario. Dans le scenario du pire, le CD&V sera chassé de la majorité gouvernementale avec Vooruit ou Groen comme parti de remplacement. Mais il y aura peu d’unité en termes de contenu entre un N-VA qui se veut centre-droit, un Open VLD bobo-cosmopolite et les gauchistes de Vooruit ou Groen. De quoi s’agit-il, cette crise de l’azote? Décryptage

Natura 2000

L’Union européenne donne carte blanche aux États membres européens pour délimiter des zones naturelles, les zones dits « Natura 2000 ». Ces zones doivent maintenir une certaine diversité écologique sous peine de perdre leur statut. Cependant, la Flandre est une zone densément peuplée avec une agriculture intensive. L’élevage de poulets, de vaches et de porcs en Flandre occidentale, dans le nord de la province d’Anvers et dans le Limbourg sont connus au-delà des frontières nationales. La Flandre exporte beaucoup de viande hors de ses frontières. Mais ce que cette agriculture intensive « exporte » aussi, c’est de l’azote.

L’azote est dans le fumier et fait donc pousser les plantes. Le problème est qu’il ne fait pas nécéssairement pousser les plantes les plus rares, telles que les plantes de bruyère ou de tourbière. Avant que la Flandre ne devienne une zone agricole moderne, une grande partie de son territoire était constituée de landes ou de marécages. De nombreuses zones  « Natura 2000 » en Flandre s’efforcent de récupérer cette flore rare et la faune associée. Mais cela n’est pas possible avec de fortes émissions d’azote. Au contraire : l’azote conduit en fait au reboisement, avec des plantes et des arbres comme les orties, les mûrs, le bouleau, le saule et le peuplier.

41 agriculteurs  en « zones rouges »

Début 2022, le Gouvernement flamand a décidé d’essayer de trouver un accord sur la politique de l’azote à suivre. Le ministre flamand de l’Environnement, Zuhal Demir (N-VA) met principalement l’accent sur la conservation de la nature et la réglementation stricte encadrant l’agriculture.

Les partenaires de la coalition dont le CD&V souhaitent avant tout une solution humaine et économiquement vivable pour les agriculteurs concernés. Une solution qui permettra d’assurer la pérennité de leur entreprise agricole. La dernière base du pouvoir des chrétiens-démocrates flamands (CD&V) se situe toujours exclusivement dans les provinces agricoles de Flandre occidentale et du Limbourg. Mais un an plus tard, aucun accord n’est dégagé. L’autre partenaire, l’Open VLD, ne prend pas forcément une position robuste dans ce dossier.

L’histoire se complique. Depuis 2014, certaines entreprises agricoles en Flandre, proches d’une zone « Natura 2000 » ont été informées qu’elles se trouvaient en « zone rouge ». Au départ, personne ne comprenait vraiment ce que cela signifiait réellement. Cela s’est progressivement précisé en 2022: 41 entreprises en zone rouge émettent trop d’azote et ne recevront plus d’autorisation d’exploitation sans changement majeur. Elles doivent donc adapter fortement leurs activités agricoles d’ici quelques années, voire les arrêter.

La ministre Zuhal Demir (N-VA) considère cette liste comme un minimum minimorum. Selon elle, si la Flandre veut vraiment faire quelque chose contre les fortes émissions d’azote, elle doit absolument commencer par la liste rouge. Mais le CD&V et les agriculteurs flamands considèrent la liste principalement comme une pente glissante. Parce que de nombreuses réserves naturelles ont été ajoutées en Flandre au cours des dernières décennies et qu’il y en a d’autres en préparation, qui sont également protégées par des règles strictes. Par conséquent, toute ferme pourrait se retrouver sur cette liste rouge du jour au lendemain.

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Les agriculteurs flamands emmènent leurs tracteurs dans le centre-ville de Bruxelles, pour protester contre les nouvelles règles proposées pour réduire les émissions d’azote, le vendredi 3 mars 2023. (BELGA PHOTO)

Exemple du dossier Broeklin

La discussion sur le dossier de l’azote se poursuit intensément au sein du Gouvernement flamand depuis plus d’un an maintenant. C’est la raison de l’impressionnante démonstration de tracteurs à Bruxelles le 3 mars. Plus l’exécutif flamand tarde à conclure un accord, plus l’incertitude juridique pour l’agriculteur flamand devient grande. De plus, les règles flamandes sur l’azote sont déjà si strictes qu’il existe une menace d’arrêt de licence. Déjà, si le gouvernement flamand décidait d’appliquer toute sa législation en la matière, peu de fermes recevraient une autorisation d’exploitation. Mais Zuhal Demir ne veut plus délivrer de permis d’exploiter à long terme aux entreprises agricoles.

Le problème est que ce ne sont pas seulement les entreprises agricoles concernées par le dossier de l’azote qui sont dans la ligne de mire. L’industrie et le transport émettent également de l’azote, même si leurs émissions représentent moins de la moitié du total. L’agriculture est la principale contributrice à cause de la production de fumier. Mais comme l’industrie flamande émet également de l’azote, elle peut tout aussi bien être victime d’un arrêt de permis. Fiction? Non. Prenons l’exemple de « Broeklin », l’ancien centre commercial « Uplace », qui n’a pas eu son permis d’exploitation dans la péripherie flamande de Bruxelles à cause de ce problème.

La N-VA plus soucieuse de l’industrie pétrochimique

Président de la N-VA et bourgmestre d’Anvers, Bart De Wever, dirige une ville avec l’un des plus grands clusters pétrochimiques d’Europe et du monde. Il insiste notamment sur le fait que l’industrie n’est pas la principale coupable dans le dossier de l’azote et qu’elle ne doit donc pas devenir la victime collatérale d’un dossier qui concerne principalement le secteur agricole. Mais on peut y voir aussi un calcul électoral: un géant de la pétrochimie qui doit quitter la Flandre à cause d’un arrêt de permis est pire pour le bourgmestre De Wever qu’une entreprise agricole flamande de taille moyenne qui ne reçoit pas de permis.

Mais la N-VA gouverne la Flandre avec le CD&V. Ce dernier peut co-gouverner avec la grande N-VA, mais il n’est aujourd’hui que l’ombre de l’ancien parti au pouvoir qu’il était. Les agriculteurs, ainsi que l’un de leurs principaux groupes de pression – le Boerenbond – sont les derniers électeurs fidèles au CD&V. De Wever y voit – c’est son interprétation du nationalisme flamand – sa mission historique de ramener la Belgique et ses partis classiques au royaume de l’histoire. Si le CD&V doit avaler l’accord sur l’azote, ce sera probablement la fin de ce parti. De Wever n’a donc pas caché le fait que son objectif était de « détruire le CD&V ». Chouette l’ambiance au gouvernement flamand.

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Le ministre flamand de l’environnement, de l’énergie, du tourisme et de la justice Zuhal Demir photographiée lors d’une session plénière du parlement flamand sur le dossier des émissions d’azote à Bruxelles ce mardi 7 mars 2023. (BELGA PHOTO)

Le Vlaams Belang compte les points

Que la N-VA en soit consciente ou pas, le pari de président De Wever trace une ligne de faille profonde à travers la Flandre. Le CD&V peut difficilement gagner dans ce dossier, car même si son ministre de l’Agriculture, Jo Brouns, arrive à arracher un accord plus favorable sur l’azote, le parti n’a fait que gagner du temps aux yeux des agriculteurs. Le problème de l’azote ne va pas simplement disparaître. Certainement pas avec Zuhal Demir comme ministre, qui parfois semble être plus proche des partis dans l’opposition comme Vooruit ou Groen, partis qui n’ont aucun rapport avec le monde agricole. Le seul soutien tacite du CD&V dans ce dossier provient de l’autre parti d’opposition, le Vlaams Belang. Le Belang joue 100% la carte des agriculteurs, pour « garantir l’approvisionnement flamand ».

Mais le mécontentement gronde aussi au sein de la N-VA même. Après tout, Zuhal Demir ne représente qu’une faction au sein du parti, celle plutôt étato-écologiste. Le fait que le centre-droit De Wever favorise ce groupe ne suscite pas l’adhésion de tous les membres et électeurs de la N-VA. La forte implication de De Wever dans le dossier de l’azote peut donc coûter des voix au CD&V, mais certainement aussi à son propre parti.

Le président de la N-VA répète souvent que la Belgique est ingouvernable. La même chose menace désormais de se produire en Flandre. La ligne de fracture ville-périphérie joue également un rôle à cet égard: le fait que la N-VA se révèle principalement comme un parti anversois qui donne la priorité à la grande industrie, plutôt qu’aux intérêts économiques flamands locaux, est une pilule amère à avaler pour les Flamands occidentaux et les Limbourgeois. La sympathie pour le Vlaams Belang y grandit, aussi parce que la N-VA, tant au niveau belge (2014-2018) qu’au niveau flamand, ne semble pas pouvoir faire mieux que ce qu’elle reproche aux partis belges traditionnels. Qu’il s’agisse du dossier de l’azote, de l’énergie nucléaire, de l’asile ou encore de l’immigration.

Christophe Degreef