HOMMAGE A GEORGES SIMENON (120 ANS)

Le réalisateur Patrice Leconte : « Simenon est un philosophe intemporel »

Le réalisateur français, Patrice Leconte sur Georges Simenon à l'occasion de la publication des 12 volumes des « Romans durs ». Photo Térèze Wysocki

Auteur belge le plus lu (550 millions d’exemplaires vendus) et le plus traduit dans le monde (3.500 traductions en 47 langues), Georges Simenon (13 février 1903-4 septembre 1959) a écrit 193 romans, 158 nouvelles, des œuvres autobiographiques ou encore des articles publiés sous son nom, et aussi 176 romans, des dizaines de nouvelles, contes galants et articles parus sous 27 pseudonymes… A l’occasion du 120ème anniversaire de sa naissance, les éditions Omnibus viennent de rééditer ses 117 « romans durs », réunis en 12 volumes, alors que récemment a été organisé à Liège le premier Printemps Simenon. L’an dernier, le réalisateur français Patrice Leconte présentait « Maigret » avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre. Il signait là sa deuxième adaptation d’un Simenon après « Monsieur Hire » en 1988 avec Michel Blanc et Sandrine Bonnaire. Et en cette fin d’hiver, il signe la préface du volume 1 des « Romans durs ». Il nous raconte « son » Simenon. 

L-Post.be Votre premier « Simenon », vous vous en souvenez ?

Patrice Leconte. J’avais 14 ans, mais je ne me rappelle plus du titre du livre… Avec mes parents, on habitait alors à Tours, en Indre-et-Loire, et quand ils partaient, ma grand-mère venait à la maison pour nous garder. Elle apportait des livres, qu’elle laissait en partant, et parmi ces livres, il y avait des Simenon. Je les lisais, moi qui ne comprenais pas qu’on puisse être captivé par Chateaubriand… et là, soudain, j’étais attrapé par les livres de Simenon, ça me parlait même si on les rangeait dans la catégorie « romans de gare » avec un soupçon de dédain, voire de mépris.

Justement, qu’est-ce qui vous a attrapé chez Simenon ?

J’ai commencé par des Maigret. Mais je ne le disais pas aux autres. J’éprouvais comme un sentiment de honte à lire de tels livres. Et puis, au lycée, on a eu un professeur de philosophie. Au début du premier cours de l’année, il nous lance que oui, on va étudier Nietzche et Kierkegaard, mais que, pour lui, le plus grand philosophe c’est Georges Simenon ! Autant dire que, là, ma honte de lire du Simenon et d’y prendre du plaisir s’est immédiatement envolée…

On ne peut pas dire que Georges Simenon laissait paraître un optimisme scintillant.

Sérieusement, vous aussi, vous tenez Simenon pour un philosophe ?

Bien sûr… Dans tous ses livres, que ce soit dans les Maigret, les « romans durs » ou tous les autres, il se tient au plus près de la nature humaine. Comme personne, il observe les gens. Quand il avait terminé un livre, il sortait, il se promenait, ils regardaient les gens. Ce sont des sources d’imagination formidables. Quand il était à Paris, il adorait prendre le métro parce que là, on a le temps de regarder les gens qui, eux, ne regardent personne… De ses livres se dégage un certain pessimiste sur la nature humaine. On ne peut pas dire qu’il laissait paraître un optimisme scintillant. Pourtant, dans la vie de tous les jours, Simenon était un type assez jovial, un bon vivant, doté d’une puissance de travail hors du commun…

De nombreux spécialistes de l’œuvre de Georges Simenon affirment qu’avec tous ses livres, il a mis sur papier une tragédie humaine…

… et c’est bien la preuve qu’il a été et est toujours de la lignée des grands auteurs, à l’exemple d’un Honoré de Balzac. Et cela pour une simple raison : les livres de Simenon sont intemporels. Mieux : Simenon est intemporel.

Patrice Leconte admire un des livres de Georges Simenon. Photo Térèze Wysocki

Certains expliquent doctement que l’écriture de Simenon est plate, sans relief, ni aspérités…

Faux ! Il y a un style Simenon, tout en économie de mots. Par exemple, dans un Maigret, il écrit : « Il fait un temps de cochon, Maigret était trempé ». C’est tout simplement génial, lecteur, on imagine Maigret et son chapeau qui dégouline… Cette économie de mots chez Simenon, ce n’est pas un don, c’est simplement le respect du lecteur !

Mais quand même, le meilleur des meilleurs, c’est bien Gérard Depardieu !

En 2022, vous avez réalisé « Maigret », avec Gérard Depardieu dans le rôle du commissaire…

On avait envie de faire « notre Maigret à nous ». Mais pas question d’adapter au cinéma une autre aventure de Maigret. Je crois que j’ai tout dit dans ce film sur le personnage, j’aurais trop peur de me répéter et de m’ennuyer. Toutefois, je ne m’interdis pas, un jour, de mettre en images sur grand écran un « roman dur ».

Et parmi tous les acteurs qui ont incarné Maigret, quel est votre préféré ?

Même si, de 1991 à 2005, Bruno Cremer a été pour la télé un Maigret très crédible, le meilleur qu’on ait eu, c’était Jean Gabin qui a interprété le commissaire dans trois films : « Maigret tend un piège » (1958) et « Maigret et l’Affaire Saint-Fiacre » (1959), deux longs-métrages de Jean Delannoy, et « Maigret voit rouge » (Gilles Grangier, 1963). Mais quand même, le meilleur des meilleurs, c’est bien Gérard Depardieu !

Entretien: Serge Bressan (à Paris)

>A lire :

-« Les romans durs » de Georges Simenon. Editions Omnibus. 12 volumes, de 31 à 34 €, chacun.