OPPOSITION A LA REFORME DES RETRAITES

Grève des éboueurs en France : l’arme de la réquisition d’agents brandie et un ultimatum pour le 20 mars

bePress Photo Agency /KELLY LINS

Opposés à la réforme des retraites, les éboueurs se croisent les bras depuis plusieurs jours et n’envisagent pas de baisser les bras tant que le gouvernement français n’aura pas renoncé à son projet. Les rues de plusieurs villes sont jonchées de montagnes d’ordures et pris d’assaut par des rats. Les médecins attirent l’attention sur le risque sanitaire que représente la situation. Le préfet de Paris, Laurent Nuňez, a décidé de réquisitionner des agents, mais il est confronté à l’opposition de la Maire de Paris, Anne Hidalgo. Il a donné un ultimatum à la Ville de Paris pour enlever toutes les ordures d’ici le 20 mars. Et à défaut, l’Etat entrera en piste. Les employés qui refuseraient leur réquisition s’exposent à six mois d’emprisonnement et une amende de 10.000 euros.

Paris… mais aussi Le Havre, Brest, Bordeaux, Toulouse… Le même spectacle dans les rues. Des « murs » d’ordures. A Paris, ça dure depuis maintenant plus de dix jours, conséquence de la grève des éboueurs et des employé.e.s d’un centre d’incinération d’ordures en proche banlieue parisienne. Le week-end passé dans la capitale, on a pu voir des touristes faire des selfies devant des poubelles débordantes, et selon une estimation, ce serait pas moins de 7.600 tonnes d’ordures qui jonchent les trottoirs et même une partie de certaines rues… Evidemment, dans ce genre de situation, nombre de médecins ont rappelé qu’il y a un grand risque sanitaire. Et certains, maniant l’humour, assurent qu’on a trouvé la mascotte des Jeux olympiques et paralympiques que Paris accueillera durant l’été 2024 : sur les réseaux sociaux, ils ont diffusé une image avec le logo Paris 2024, les anneaux olympiques et la silhouette d’un rat… Des chaînes télé, elles aussi, ont présenté des sujets en zoomant sur les rongeurs et d’insister que, depuis les municipales de 2020 et la réélection d’Anne Hidalgo avec l’aide des écologistes, Paris n’a jamais aussi sale…

Risque de désertion des touristes

Le 12 mars dernier, Clément Beaune, ministre des Transports, écrivait sur Twitter : « 7ème jour sans ramassage des poubelles. Puanteur et pourrissement. Aucune mesure d’urgence, même partielle, décidée par la Ville de Paris. Enième exemple d’inaction et de mépris des Parisiens ». Un journaliste de l’AFP a rencontré une touriste canadienne- laquelle témoigne : « J’ai jamais vu ça au Canada… Ça va faire partir les touristes, et ils ne vont pas revenir ! ».

Un écrivain qui vit depuis de longues années dans le Quartier Latin raconte : « Des commerçants ont commencé à faire appel à des sociétés privées pour le retrait des poubelles… Dans les rues, ce sont de réelles montagnes malodorantes et insalubres ».

Depuis 1976 et l’élection de Jacques Chirac au poste de maire de Paris, le ramassage des ordures dans la capitale n’est pas le même dans tous les arrondissements, chaque mairie d’arrondissement pouvant choisir entre des fonctionnaires municipaux ou des sociétés privées. Et aujourd’hui, ce sont les fonctionnaires municipaux en charge du ramassage des ordures qui font grève pour protester contre le projet de loi des retraites présenté ce 16 mars au Sénat et à l’Assemblée nationale. Commentaire du président de l’Office du tourisme et des congrès de Paris : « Evidemment, cette situation, ce n’est pas optimal pour les visiteurs étrangers… Même deux semaines sans ramassage des ordures n’avaient pas nui à l’image de Naples. L’épisode actuel n’aura pas d’impact sur la fréquentation touristique à Paris ». La capitale française est la ville la plus visitée au monde, avec 34,5 millions de touristes en 2022.

Anne Hidalgo, maire de Paris, opposée à la réquisition des agents

Devant ce qui est tenu pour de l’entêtement dans le manque de dialogue entre les éboueurs parisiens et leur employeur (la Mairie de Paris), le préfet de police de Paris, Laurent Nuňez, a donc décidé de réquisitionner des personnes parmi les éboueurs, et fait part de sa décision le 15 mars à Anne Hidalgo. Laquelle, en sa qualité de Maire de Paris, lui a, dans la foulée, adressé une lettre. Extraits : « J’ai conscience, comme de nombreux maires, des désagréments causés par la crise actuelle aux habitants, aux commerçants et aux visiteurs de nos villes. La situation que vous évoquez est entièrement imputable à la volonté du gouvernement de légiférer pour reculer l’âge légal de départ à la retraite. Ce texte, rédigé sans avoir associé les organisations syndicales, est particulièrement injuste pour les travailleurs qui assurent les tâches les plus pénibles. La revendication des éboueurs de la Ville de Paris, qui souhaitent légitimement ne pas travailler deux ans de plus, et qui se mobilisent pour s’y opposer, est juste. La seule réponse susceptible d’apaiser le climat actuel est d’engager le dialogue social plutôt que de livrer une épreuve de force en procédant aux réquisitions que vous appelez de vos vœux. Il est paradoxal que l’Etat demande aux collectivités territoriales de régler un problème qu’il a lui-même créé alors que la réquisition est, de droit, une compétence de l’Etat. Dès lors, je vous informe que je ne donnerai pas suite à votre sollicitation (…) ».

Ultimatum du 20 mars

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a confié qu’il s’agissait, dans cette affaire, d’une « question de salubrité publique ». Conséquence : le préfet de police de Paris, Laurent Nuňez, a demandé ce 16 mars à la Mairie de Paris de réquisitionner les éboueurs de la ville, et si la Mairie ne le fait pas, ce sera alors l’Etat qui le fera. Avec un objectif bien défini : que toutes les ordures jonchant les rues parisiennes soient ramassées d’ici le 20 mars prochain. Commentaire de Mathilde Panot, présidente du groupe NUPES (Nouvelle Union Populaire écologique et sociale) à l’Assemblée nationale : « Je dis au gouvernement que réquisitionner du personnel serait une déclaration de guerre sociale… Les éboueurs iront ramasser les poubelles quand il y aura la réforme des retraites dedans ». Ultime précision : les employés qui refuseraient leur réquisition s’exposent à six mois d’emprisonnement et une amende de 10.000 euros…

Serge Bressan (à Paris)