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Irak, vingt ans après : Episode 1, la Manipulation

AP

L’Irak célébrait ce lundi 20 mars le vingtième anniversaire de l’invasion menée en 2003 par une coalition internationale dirigée et largement dominée par les Etats-Unis qui aboutit au renversement de Saddam Hussein. Pour autant, il est probable que la majorité des Irakiens n’avaient pas vraiment envie de faire la fête. Certes, Bagdad a été débarrassée d’un dictateur particulièrement cruel, mais c’était pour le remplacer par le chaos, les rivalités communautaires, l’influence iranienne, le terrorisme et la corruption. Quant aux Américains, la majorité d’entre eux préfèrent sans doute oublier un conflit qui, des mensonges qui l’ont « justifié » au sacrifice de ses soldats (4 614 morts, 47 514 blessés), n’a en définitive jamais amené les résultats promis. Retour, en trois épisodes, sur une erreur stratégique dont les effets se feront encore longtemps sentir. Dans cette première partie, nous verrons comment un trio de comploteurs alimentés par un escroc ont précipité l’Irak vers la guerre.

Un déclencheur

Si l’invasion de l’Irak a été déclenchée en mars 2003, l’idée de s’en prendre à Saddam Hussein circulait depuis longtemps à Washington. Mais c’est après les attentats du 11 septembre, que trois des hommes les plus influents de l’entourage du locataire de la Maison Blanche - le vice-président Dick Cheney, le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et son adjoint, Paul Wolfowitz - croiront leur moment arrivé et pousseront le président Georges W. Bush, fraichement élu, à attaquer l’Irak.

Ce fait a été, depuis, clairement établi par les témoignages de plusieurs hauts responsables américains, dont l’ancien coordinateur de la lutte anti-terroriste, Richard Clarke, et l’ex directeur de la CIA, George Tenet : dès les premières réunions d’évaluation suivant les attentats, l’option irakienne était bel et bien sur la table. Malheureusement pour notre trio, rien ne relie le dictateur irakien aux attentats et, au sommet de l’administration, on sait bien que les alliés, prêts pourtant à soutenir toute riposte américaine aux attentats, n’accepteront pas de prendre le chemin de Bagdad sans de solides preuves de l’implication du régime baasiste dans le soutien à al-Qaïda. Le dossier n’est pas « mûr » juge-t-on dans les allées du pouvoir.

C’est donc l’Afghanistan qui sera la cible choisie. Non sans raison : c’est bien au pays des Taliban que Ben Laden et ses complices ont conçu et préparé les attentats du 11 septembre. Et les Taliban refusent de livrer Ben Laden. La cause est entendue. Pour autant, l’Irak continue à obséder Washington. Les motivations des principaux dirigeants américains sont diverses.

Pour justifier la guerre, des motivations diverses

Pour George Bush, il s’agit, en partie du moins, de venger son père que Saddam Hussein avait voulu faire assassiner après la première guerre du Golfe, en 1991. Le complot est avéré : le dictateur irakien a bien conçu un attentat contre Georges H. Bush à l’occasion d’un déplacement de ce dernier au Koweït, en avril 1993.
Les preuves sont tellement lourdes - le 13 avril 1993, 16 terroristes avaient été arrêtés à Koweït City, alors qu’ils se préparaient à acheminer un véhicule piégé à l’université où George H. W. Bush (qui avait quitté la Maison Blanche moins de trois mois plus tôt) devait prononcer un discours et l’enquête fit apparaître qu’ils travaillaient pour le compte de la 14ème Direction des services secrets irakiens, spécialisée dans les opérations spéciales à l’étranger - que Bill Clinton décidera de faire bombarder le siège des services secrets irakiens à Bagdad, le 28 juin 1993.

L'enjeu est politique

Pour d’autres, il faut « finir  le travail » entamé en 1990: nombre de membres de la haute hiérarchie militaire estimaient que l’opération « Tempête du désert », après l’invasion du Koweït par Saddam, en 1990, avait manqué son but en n’allant pas jusqu’à son issue logique et en ne se terminant pas par le renversement du régime en place. Celui-ci restait, aux yeux de nombreux décideurs américains, une menace de déstabilisation pour toute la région du Golfe et, au-delà, pour l’ensemble du Moyen-Orient. D’autres encore agitent la menace des armes de destruction massive (ADM) que le régime irakien continuerait secrètement à fabriquer et qu’il pourrait offrir à des groupes terroristes.

Mais pour les néo-conservateurs qui entourent Georges Bush et dont Cheney, Rumsfeld et Wolfowitz sont très proches, l’enjeu est politique.

Pour les néo-conservateurs, l’Irak est un laboratoire…

L’analyse des néo-conservateurs – trop souvent caricaturés et incompris en Europe – est loin d’être stupide. Pour eux, le terrorisme islamiste n’est rien d’autre que le produit de la frustration politique générée par l’absence de démocratie au Moyen-Orient. Ne pouvant faire évoluer via une activité politique normale les pays sclérosés dans lesquels ils vivent, les opposants se tourneraient vers l’islam radical comme ultime recours pour renverser ces régimes. Et en définitive, donc, les pays occidentaux ne seraient que les victimes collatérales de cet affrontement entre les islamistes et leurs gouvernements. Donc, pensent-ils, si une vraie démocratie, robuste, voyait le jour au Moyen-Orient, elle pourrait changer la donne dans l’ensemble de la région et faire baisser les tensions et donc diminuer l’intensité de la menace terroriste.

Et l’Irak, outre les vieux comptes à régler que nous venons d’évoquer, semble offrir un « laboratoire » parfait pour appliquer cette idée et développer une stratégie : le pays est un acteur politique important et influent de la région ; il est laïque et dispose d’une administration très centralisée qui facilitera la mise en place des réformes. Il est très alphabétisé, ancré dans une culture ancienne et, donc, « structurante » ; il est, de plus, doté d’une importante classe moyenne et les femmes y jouent un rôle important, contrairement à ce qui peut se constater dans d’autres pays arabes. Autant d’éléments qui semblent prometteurs de réussite. Enfin, cerise sur le gâteau, l’Irak est dirigé par un dictateur cruel que personne ne regrettera, à commencer par son propre peuple.

Mais si les néo-conservateurs veulent la guerre, ils doivent la « vendre » à l’opinion américaine et, ensuite aux alliés de Washington. Il leur faut donc un dossier solide. Et ce dossier n’existe pas. Alors on va le fabriquer…

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