INTERNATIONAL

Irak, vingt ans après: épisode 3, un pays détruit, une région déstabilisée

AFP

Dans les deux premiers épisodes de cette série, nous avons vu la manipulation qui devait mener au déclanchement de la guerre en Irak se mettre en place, puis nous avons assisté aux opérations militaires sur le terrain et nous avons été témoins de l’irruption d’al-Qaïda dans la partie. Le temps est venu de dresser le bilan d’une guerre qui, non seulement, ne produisit jamais les effets escomptés mais, de plus entraîna une totale déstabilisation de tout le Moyen-Orient. Et paradoxalement, ce n’est pas à Bagdad que se firent sentir les premiers effets négatifs de l’aventure irakienne, mais à 2500 kilomètres de là, à vol d’oiseau. 

En Afghanistan, la première phase des opérations déclenchées par la coalition internationale en octobre 2001 à la suite des attentats du 11 septembre avait été rapide et s’était conclue de manière positive. Le régime Taleb avait été écrasé, ses dirigeants et ceux d’Al-Qaida étaient en fuite. Le Pakistan, même s’il manifestait sa nervosité n’était pas encore, au début de 2002, la poudrière qu’il devait devenir. Le moment se prêtait donc à une intensification de l’effort : il fallait plus de troupes pour consolider ces succès, plus de moyens pour reconstruire le pays et, d’autre part, pour aider le Pakistan.

Mais Washington, obsédé, on l’a vu, par l’Irak, fit tout le contraire. Estimant que la situation à Kabul était « sous contrôle » et que la capture ou l’élimination de Ben Laden et de ses principaux complices – qui restait quand même l’objectif numéro 1 de la guerre – n’était plus qu’une question de temps, l’entourage du président Bush décida de porter l’effort ailleurs.

Un choix catastrophique, pour l’Irak mais aussi pour l’Afghanistan

C’est au printemps 2002 que l’attention du premier cercle commença, lentement mais sûrement, à dériver des montagnes d’Asie du Sud-Ouest vers les déserts d’Arabie. Des ressources essentielles à la poursuite de l’effort en Afghanistan furent retirées du terrain et redéployées dans des missions ciblant l’Irak. Ce fut, entre autres, le cas pour des officiers de l’armée ou de la CIA parlant l’arabe (une ressource pourtant assez limitée). Puis pour les forces spéciales que l’on renvoya au pays pour y reprendre des forces et s’entraîner en vue d’une future opération au Moyen-Orient.
Pourtant, la participation des uns et des autres à la chasse aux volontaires moyen-orientaux entourant Ben Laden était essentielle. Certains à la CIA voyaient cette évolution avec inquiétude et répétaient inlassablement à George Tenet, leur patron, qu’une invasion de l’Irak tournerait non seulement au cauchemar mais qu’elle risquait, de plus, de briser les reins à la stratégie anti-terroriste des États-Unis.

L'obsession Ben Laden

L’armée américaine alla jusqu’à fournir un plan alternatif à l’Exécutif, prévoyant des frappes aériennes contre le camp d’entraînement irakien d’Abu Mussab al-Zarqawi, un chef terroriste d’origine jordanienne qui allait bientôt devenir le chef local d’al-Qaïda. Cette tactique aurait eu pour avantage d’éliminer un allié potentiel d’Al-Qaida (à l’époque, al-Zarqawi n’avait pas encore officiellement rejoint la mouvance Ben Laden) sans engager de forces sur le terrain et, donc, sans dégarnir le front afghan. On choisit de ne pas les écouter.

Le résultat de cette décision fut que les opérations en Afghanistan baissèrent en intensité, donnant le temps aux Talibans et à leurs alliés terroristes de se restructurer et de reprendre des forces. Le « momentum stratégique» qui aurait (peut-être) permis de remporter une vraie victoire ne fut pas exploité. La guerre allait traîner en longueur, coûter au moins 200 000 vies (afghanes et alliées) et se terminer honteusement, vingt ans plus tard, par le retrait précipité de l’été 2021.

On pourrait s’en consoler si ce retournement américain avait, au moins, permis de construire en Irak, – puisque tel était le but – , un Etat démocratique et moderne pouvant servir d’exemple à la région. Il n’en fut rien.

La prise de contrôle de l’Irak par les mollahs de Téhéran

A l’été 2011, plus de huit ans après le début des opérations en Irak, le bilan que l’on pouvait en dresser était en demi-teinte. Il fallait être borné ou de particulière mauvaise foi pour prétendre que la guerre et ses suites avaient accouché du succès qu’on en attendait.
Certes, le dictateur avait été chassé. Une certaine forme de démocratie existait et les institutions irakiennes, même si elles peinaient à y arriver, tentaient au moins de fonctionner à peu près normalement. Et une région au moins, le Kurdistan irakien, était préservée des désordres et se développait.

En mars 2023, on estime à  300 000  le nombre de morts (civils et combattants).

Mais d’un autre côté, le renversement de Saddam Hussein avait débouché sur la prise de contrôle du pays par les chiites, et la forte minorité sunnite qui l’avait longtemps dirigé en étaient réduits à la portion congrue. Plus grave, l’Iran avait placé ses pions et son influence sur l’exécutif de Bagdad était évidente et n’a cessé depuis de se renforcer, faisant de l’Irak une quasi-colonie de Téhéran. Le général Qassem Suleimani, l’un des principaux responsables des Gardiens de la Révolution, passait pour être l’homme qui, depuis la capitale iranienne, tirait les ficelles de la politique irakienne. Il le resta jusqu’à ce que les Américains finissent par l’éliminer, le 3 janvier 2020, par une frappe à proximité de l’aéroport de Bagdad.

Au moment où le gros des troupes américaines se retirèrent, en 2011, la guerre avait coûté la vie à plus de 100 000 civils irakiens (selon le groupe « Iraq Body Count), tandis que les pertes américaines s'élevaient à près de 4 500. En mars 2023, on en est à un total estimé de 300 000 morts (civils et combattants).
Mais le retrait américain et l’incapacité des forces armées et de sécurité irakiennes allaient donner naissance à un monstre.

Al-Zarqawi, le sanguinaire

A l’origine de tout, un homme : Ahmad Fadeel al-Nazal al-Khalayleh, né en Jordanie, dans une famille palestinienne pauvre, en 1966. Il avait grandi dans la sinistre ville industrielle et minière de Zarqa, à  vingt-cinq kilomètres au nord-est d’Amman.  Dès son adolescence, le jeune homme s’était fait remarquer par sa violence : c’était un voyou, sans foi ni loi, qui totalisera rapidement près de quarante arrestations et traînait une réputation d’alcoolique.
En 1989, après avoir, semble-t-il, été « ré-islamisé » dans des cercles salafistes, il décidait de changer de vie et gagna l’Afghanistan. Las, la guerre contre les chouravis (« les Russes »), vient de se terminer. Il traîne son désœuvrement, ses rêves de grandeur et sa soif d’action dans les camps des moudjahidin arabes et y rencontre Oussama Ben Laden, qui n’est son aîné que de quelques années.

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