CONTESTATION SANS PRECEDENT EN ISRAEL

Israël : Netanyahou tout puissant se sépare de son ministre de la Défense contestataire

Des manifestants scandent et agitent des drapeaux nationaux lors d'un rassemblement contre les réformes judiciaires du gouvernement israélien devant la résidence du Premier ministre Benjamin Netanyahu à Jérusalem, le 27 mars 2023. AFP

Rarement nouvelle loi en Israël aura suscité autant le rejet de la population et celle du gouvernement de Benjamin Netanyahou, fragile coalition menée par l’extrême droite nationaliste et religieuse. Le nouveau Premier ministre n’imaginait sûrement pas un tel vent de fronde quand il a tout fait pour reprendre le pouvoir et monter un gouvernement le plus radical que le pays ait connu depuis sa création, devenant prisonnier de ses alliés sulfureux. Voilà que son ministre de la Défense, Yoav Galant, demande au chef du gouvernement de faire une pause d’un mois dans la procédure de réforme judiciaire qui fait scandale et ce, officiellement avant tout, pour des raisons de sécurité. Car le pays s’embrase. Yohav Galant n’était pas un nationaliste extrémiste, mais membre du Likoud, celui du Premier ministre Netanyahou…

Aujourd’hui, face aux pires démonstrations populaires que l’Etat hébreu ait connues, le Premier ministre Benjamin Netanyahou aura de toute façon bien du mal à imposer sa réforme de la justice dans le pays. Cherchant à satisfaire ses partenaires qui rêvent d’un Israël judéo-juif, il souhaitait faire passer une réforme de la Cour suprême, institution garante de la démocratie en Israël et éternel poil à gratter pour les courants juifs les plus extrêmes qui rêvent de se débarrasser des Palestiniens en particulier, des Arabes en général, dans le pays. Le but : accroître le pouvoir des élus sur celui des magistrats. Depuis des semaines, le pays connaît les plus grandes manifestations de son histoire, la résurrection de la gauche, la contestation des Juifs américains sur le devenir d’Israël. En France, la venue de Bezalel Smotrich, le ministre des Finances, a fait polémique avant tout pour ses propos tenus lors d’une conférence où il niait l’existence du peuple palestinien, de la culture, de la langue, et de son identité.

Plus rien ne va en Isarël

Une fois n’est pas coutume en Israël, le gouvernement est sur la sellette. Habitué aux scrutins législatifs à répétition, le pays est sur la pente glissante : colons décomplexés menant des opérations punitives contre les Palestiniens, attentats visant des synagogues commis par des Arabes, « pogrom » dans le village de Huwara le 26 février dernier[1], recrudescence de la violence en Cisjordanie, multiplication des actes de terrorisme des extrémistes juifs en Palestine et qui jettent de l’huile sur le feu maintenant que leurs partis sont au pouvoir, attentat à Tel Aviv mené par un membre du Hamas. Un engrenage qui semble pour le moment sans fin. Depuis le début de l’année, plus de cent Palestiniens sont morts et 13 Israéliens de cette violence inédite depuis des années.

Le ministre israélien de la Défense Yoav Galant (photo), limogé par le Premier ministre. AFP

Le ministre israélien de la Défense Yoav Galant limogé parce qu’il demandait une pause dans la réforme judiciaire invoquant des raisons de sécurité. (AFP)

Les manifestations dans le pays sont désormais quotidiennes depuis plusieurs semaines. Le 12 février dernier, des dizaines de milliers d’Israéliens sont descendus dans les rues pour protester contre l’extrême droite, en brandissant des drapeaux arc en ciel et palestiniens. Un mois plus tard, le jeudi dernier, a été décrété journée de la résistance contre la réforme de la justice. Plus de 65.000 personnes ont cherché à bloquer le départ du Premier ministre israélien vers l’Italie. Depuis deux mois et demi, ce sont des dizaines de milliers d’Israéliens qui défilent dans les rues du pays. A Haïfa et Beer Sheeba comme à Tel Aviv, des records historiques d’affluence depuis la création de l’Etat hébreu ont été enregistrés : sur près de dix millions d’habitants, une manifestation de 10.000 personnes est du jamais vu à Beer Sheeba. Des milliers de manifestants sont aussi descendus à Tel Aviv samedi soir pour protester contre le limogeage pur et simple du ministre Galant.

Se maintenir au pouvoir à tout prix

« Bibi », qui a toujours ménagé ces courants d’extrême-droite, a en réalité tout fait depuis des années pour faciliter progressivement leur entrée au gouvernement, rêvant de toute façon de tout faire pour se maintenir en place. Ce qu’il se passe aujourd’hui en Israël est significatif de deux faits inédits : un fait inquiétant, c’est la place qu’a pris cette extrême-droite juive décomplexée prête à tuer, dont on a longtemps refusé de voir la radicalité et la violence et qui n’est pas prête désormais de lâcher le pouvoir, et un fait rassurant, le sursaut démocratique des Israéliens qui, en s’opposant aux réformes en cours, rejettent massivement le programme raciste, discriminatoire, ségrégationniste, arabophobe et islamophobe des courants nationalistes et religieux de leur propre pays. Et ce que certains craignent, la fin de l’Etat démocratique et l’arrivée de la dictature des religieux ! A la Knesset, les jours à venir seront cruciaux, puisque rien n’est fait pour ralentir la loi en cours, afin de respecter un calendrier qui prévoit un vote le 2 avril prochain.

Il y a trois semaines, c’est le Président israélien, Isaac Herzog, qui avait appelé à abandonner purement et simplement la réforme judiciaire, grenade dégoupillée entre les mains de Netanyahou. Ceci afin d’éviter de porter encore plus atteinte aux fondements de la démocratie, et surtout d’éviter la guerre civile ! Comme aux Etats-Unis depuis des années, ces courants radicaux n’ont de cesse désormais de menacer un peu plus chaque jour l’unité nationale et la sécurité du pays.

Sébastien BOUSSOIS
Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient  relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)

[1] reconnu comme tel par un éminent général israélien, Yehuda Fuchs