DECES D'UNE DJIHADISTE

Malika El Aroud : décès d’une « icone » féminine du djihad

Malika El Aroud photographiée le lundi 08 mars 2010, lors du procès devant le tribunal correctionnel de Bruxelles de neuf personnes pour terrorisme, suspectées d'appartenir à un éventuel réseau belge d'Al-Qaïda. BELGA

Condamnée en Belgique pour ses activités terroristes, Malika El Aroud, une figure unique de la mouvance du djihad au début des années 2000 est décédée il y a quelques jours. Ayant épousé successivement deux terroristes (dont l’un devait devenir l’assassin d’Ahmed Shah Massoud, le « Lion du Panshir », elle fut, pendant quelques années l’une des principales « cyber-djihadiste » d’al-Qaïda. Sa mort est l’occasion de revenir sur un parcours sinistre, mais hors du commun….

Malika El Aroud, qui se fera un jour appeler « Oum Obeyda » est née en 1959, à Tanger. Lorsque ses parents émigrent vers la Belgique, en 1964, elle les accompagne. Coincée entre deux cultures, elle aura une jeunesse mouvementée et instable marquée par une vie sentimentale pour le moins déstructurée. Elle passe d’un garçon à un autre et ses échecs affectifs successifs l’amènent à se poser des questions existentielles et à chercher à mieux se connaître pour tenter de trouver sa place dans le monde et donner un sens à son existence. Ses interrogations la pousseront, malheureusement à frapper à la mauvaise porte, celle de «Cheikh » Bassam Ayachi, un Franco-Syrien installé de longue date à Bruxelles où il était  l’un des responsables du Centre islamique belge (CIB). Ce dernier sera dissout en 2012 pour avoir facilité l’envoi de volontaires du djihad en Afghanistan puis en Irak.

Cheikh Bassam, organisateur de mariages illégaux

C’est la rencontre du prédicateur extrémiste (mais également, comme cela a été établi depuis, informateur occasionnel des services de renseignement belges et français) qui fera basculer la vie de Malika. Souvent suspecté, mais jamais condamné avant 2022 (il écopera alors, à Paris, de cinq ans de prison pour « association de malfaiteurs terroristes »), Cheikh Bassam était considéré, au tournant du millénaire, par plusieurs services de renseignement européens comme une figure importante de la scène djihadiste internationale.  Ou plus exactement de ses coulisses. Sa silhouette était apparue en filigrane, dès la dernière décennie du vingtième siècle, derrière certains réseaux algériens ou bosniaques. L’une de ses spécialités était de pratiquer des mariages religieux pour des couples refusant le détour par la mairie. En Belgique, bien entendu, non seulement ces mariages n’ont aucune valeur, mais ils sont, de plus, totalement illégaux. Si nous nous arrêtons à cette pratique courante (et revendiquée) de Cheikh Bassam, c’est que, précisément, il devait « marier » Malika El Aroud. En 1999, il l’unit à un Tunisien, Abdessatar Dahmane. Celui-ci, issu de la bonne bourgeoisie tunisienne, est venu en Europe pour y poursuivre ses études universitaires, mais il est devenu un islamiste convaincu. Le couple ne tarde d’ailleurs pas à rejoindre l’Afghanistan. Dahmane y suit, dans les camps d’al-Qaïda, une formation spéciale en vue d’une « action de martyr » très particulière : avec un autre Tunisien, Rachid Bouraoui el-Ouaer, il a été choisi pour assassiner Ahmed Shah Massoud, le chef de « l’Alliance du Nord » qui lutte contre les Talibans.

Malika de retour en Belgique

L’assassinat de Massoud, le plus fervent adversaire du pouvoir extrémiste en place à Kaboul, c’est un peu « le cadeau » fait par Oussama Ben Laden au régime intégriste qui l’abrite depuis plusieurs années. Par ce geste, il conforte sa position dans le pays et s’assure que les Talibans continueront à le protéger après les attentats massifs qu’il prépare aux Etats-Unis.

L’action a lieu le 9 septembre 2001. Dahmane et el-Ouaer approchent Massoud en se faisant passer pour des journalistes belges, munis d’une caméra de France 3 volée à Strasbourg et bourrée d’explosifs. Les deux terroristes sont tués. Deux jours plus tard, le 11 septembre, les avions pilotés par les membres de la cellule dirigée par Mohamed Atta sont propulsés sur les deux tours du World Trade Center, à New York, et sur le Pentagone, à Washington.
On connaît la suite : en octobre 2001, le régime taliban est renversé et une coalition internationale menée par les Etats-Unis (et agissant sous mandat de l’ONU) s’installe en Afghanistan.

Dès les premières semaines de la guerre, Malika El Aroud se présente en victime. Cachant ses idées extrémistes et manipulant habilement quelques journalistes et politiciens belges, elle obtient d’être rapatriée à Bruxelles. Les enquêteurs pensent qu’en remerciement, elle collaborera à l’enquête. Il n’en est rien. En 2003, elle est acquittée par le tribunal correctionnel qui juge les complices et instigateurs belges de l’attentat contre Massoud. En dépit du fait qu’elle prend fait et cause pour les « moudjahidines » et les défend bec et ongles, les juges n’ont pu prouver son implication matérielle dans le complot. Mais en tant que veuve d’un « martyr », elle est désormais considérée par certains comme une icône.

Remariage en 2003

Elle se remarie en décembre 2003, à nouveau avec un Tunisien extrémiste, Moez Garsallaoui et s’installe en Suisse. Depuis ce pays, le couple administre « Minbar », un site islamiste virulent, qui propage des discours de haine et justifie, entre autres, les attentats suicides. Parallèlement à cette activité, Malika écrit un petit livre, « Les Soldats de Lumière », qui se veut un plaidoyer pour l’action de son mari, mais aussi pour les autres moudjahidines et même pour Oussama Ben Laden, « cet homme qui a aidé l’islam bafoué par les mécréants à relever la tête ».

Ce fichier photo datée du 20 juin 2007, montre le Tunisien Moez Garsallaou (à droite) et son épouse, le Belge Malika El Aroud, arrivent au Tribunal Pénal Fédéral de Bellinzone, Suisse, 20 juin 2007. BELGAIMAGE

(BELGA PHOTO)

Le 22 février 2005, El Aroud et Garsallaoui sont arrêtés par la police helvétique dans le cadre d’un vaste coup de filet contre la mouvance islamiste. Malika passe une dizaine de jours en prison avant d’être expulsée et de revenir s’installer à Bruxelles. Le 21 juin 2007, elle sera condamnée par le tribunal pénal fédéral suisse à six mois de prison avec sursis pour soutien à une organisation criminelle et pour sa complicité dans la diffusion d’images d’exécutions et de mutilations. Pour les mêmes motifs (aggravés d’incitation à la haine raciale et à la violence), Garsallaoui est condamné à deux ans dont 6 mois fermes.

« J’ai une arme, c’est d’écrire… »

Quelques mois plus tard, la section anti-terroriste de la police belge lance une série d’interpellations et de perquisitions dans le petit cercle « conspiratif » qui s’est regroupé autour de Malika, désormais surnommée « la Veuve noire ». Vingt-quatre heures plus tard, toutes les personnes interpellées sont relâchées, faute de preuves les impliquant dans des activités illégales. Malika El Aroud se croit tirée d’affaires et pavoise. Elle va alors déployer une courte, mais intense activité de propagandiste du djihad sur Internet. Au point d’être considérée comme l’une des principales cyberactiviste » de la guerre sainte.

Dans une interview donnée, en mai 2008, à Elaine Sciolino, correspondante du « New York Times » à Paris, elle déclare : « Ce n’est pas mon rôle de déclencher des bombes […] j’ai une arme, c’est d’écrire. C’est de parler. C’est mon djihad. Vous pouvez faire beaucoup de choses avec des mots. Ecrire, c’est aussi une bombe ». Elaine Sciolino ne s’y trompe pas. Pour elle, Malika « s’est transformée en l’une des plus importantes cyber-djihadistes en Europe ». Elle se considère elle-même comme une femme [menant la guerre sainte] pour al-Qaïda ».  N’a-t-elle pas déclaré à la journaliste américaine : « Normalement, dans l’islam, les hommes sont plus forts que les femmes, mais je suis la preuve qu’il est important de craindre Dieu. Et personne d’autre. Il est important que je sois une femme. Il y a des hommes qui ont peur de parler clairement parce qu’ils craignent de s’attirer des problèmes. Mais même quand je m’attire des problèmes, je parle clairement ».

Interrogée sur ce qu’était devenu son mari, disparu après sa libération des geôles suisses, Malika el-Aroud devenait toutefois moins prolixe : « Il est en voyage. En voyage… ». C’est précisément de ce « voyage » entrepris par son mari que naîtront de nouveaux ennuis pour Malika El Aroud. Moez Garsallaoui a, en fait, gagné le Pakistan où il s’est installé pour servir de point de contact pour les djihadistes européens et d’intermédiaire entre ceux-ci et les organisations armées pakistanaises et afghanes. A Bruxelles, fonctionne une petite cellule active à la fois sur la Belgique et sur la France et qui se charge de lui envoyer des « volontaires ». Derrière son activité de propagandiste, Malika El Aroud joue, en fait, un rôle clé dans ce réseau.

Photo prix sur le tournage du film « Massoud, l'Afghan » (au milieu de la photo) du journaliste, cinéaste et écrivain Christophe de Ponfilly (à droite). AFP

Le journaliste, cinéaste et écrivain Christophe de Ponfilly (à droite sur la photo), avec le commandant Massoud (au centre), est décédé le 16 mai 2006 à l’âge de 55 ans d’après l’agence Interscoop pour laquelle il travaillait. (AFP)

Une nouvelle arrestation, la prison, puis l’oubli….

Le 11 décembre 2008, Malika et ses amis sont arrêtés. Cette fois, contrairement à ce qui s’était passé un an plus tôt, lorsque les autorités avaient été forcées d’agir en catastrophe, les policiers spécialisés ont travaillé de longs mois de manière à bâtir un dossier solide. Condamnée en première instance le 10 mai 2010 pour avoir été l’une des dirigeantes du réseau belge, Malika El Aroud voit, quelque mois plus tard, son verdict confirmé en appel : huit ans de prison ferme.
Moez Garsallaoui, lui, aurait été tué, le 10 octobre 2012, par la frappe d’un drone américain sur le village de Mir Ali (province tribale du nord-ouest du Pakistan) où il « travaillait » et avait établi son quartier général.

Jugée « irrécupérable » et dangereuses par la justice (lors de son procès, le président Pierre Hendrickx avait mis en cause son « équilibre » et estimé qu’elle était « enfermée dans une logique maladive »), Malika El Aroud ira « à fond de peine ». Déchue de sa nationalité belge en 2017,  elle avait été placée en détention, l’année suivante, en vue de son expulsion vers le Maroc. Mais Rabat ayant refusé de lui délivrer les documents nécessaires, elle avait erré entre divers centre de rétention.

La Veuve noire, hébergée par sa sœur, a fini, il y a quelques jours, par rejoindre les deux terroristes auxquels elle avait choisi de lier sa vie. Elle avait 64 ans et, privée de toute possibilité d’écrire, elle avait sombré dans l’oubli depuis sa condamnation.

Hugues Krasner