Emprisonnement de Rached Ghannouchi : le président Kaïs Saïed resserre encore un peu plus l’étau en Tunisie
Le chef du mouvement islamiste tunisien Ennahdha Rached Ghannouchi accueille des partisans à son arrivée dans un commissariat de Tunis, le 21 février 2023, conformément à la convocation d'un juge d'instruction. AFP La Tunisie, laboratoire de la transition démocratique en Méditerranée, s’est évanouie. Elle a renoué avec les régimes autoritaires classiques depuis plusieurs mois et surtout depuis l’arrivée au pouvoir du président Kaïs Saïed en octobre 2019. Depuis qu’il s’est octroyé les pleins pouvoirs en 2021, rappelant les heures sombres de la Tunisie d’avant-révolution, le Président tunisien continue à tuer un à un tous les acquis de la révolution, qui était devenue un modèle dans tout le monde arabe. Aujourd’hui, la situation est à l’autoritarisme : fin des activités du Parlement, concentration des pouvoirs, emprisonnement d’opposants, révision de la constitution, régime hyperprésidentialisé.
Cette révolution qui avait même inspiré d’autres nations du monde musulman n’est plus. L’ arrestation à son domicile de Rached Ghannouchi, 81 ans, leader du parti islamiste Ennahda, un des plus puissants encore du pays et qui dominait l’Assemblée, a été décidé lundi par président Kaïs Saïed sur des accusations assez typiques des dictatures qui se reconstruisent : atteinte à l’ordre public. La veille, le dirigeant politique craignait une « guerre civile » en Tunisie si son parti était écarté du jeu politique. Le parti Ennahda, occupait le devant de la scène depuis la révolution de 2010 et les élections successives qui ont animé la démocratie tunisienne. Depuis, tous les bureaux du parti ont été fermés sur l’ensemble du territoire. Il n’y a qu’un pas vers l’interdiction comme ce fut le cas avec les Frères musulmans dans d’autres pays arabes.
Un précédent avec l’arrestation de Chaïma Issa
Le Président salue depuis des semaines les services de sécurité tunisiens, sans qui son opération de bâillonnement de tout un peuple ne serait pas possible. Une vingtaine d’opposants est sous les verrous depuis février. Cette arrestation rappelle la triste arrestation de Chaïma Issa, universitaire, militante des droits de l’homme et du Front de Salut National. Égérie de l’opposition, elle est accusée de complot contre la sûreté de l’État. Depuis un mois, la résistance s’est organisée, notamment à Paris grâce à son fils Jaza Cherif, qui a lancé une grande pétition[1] et alerté les autorités publiques françaises sur l’emprisonnement de sa mère. Un comité de soutien s’est également mis en place[2]. Amnesty International s’est aussi alerté de la situation[3].
Évidemment la contestation pour le sort réservé au leader islamiste, Rached Ghannouchi ne serait sûrement pas aussi émotionnel, mais des voix se sont élevées en Tunisie alertant sur les dérives terribles que vit la Tunisie sous Kaïs Saïed. Car le parti Ennahda compte énormément dans l’opinion et dans les urnes. Mais l’on voit bien que depuis les Printemps arabes, l’ensemble de ces groupes politiques ont été balayés de l’arène publique, soit par la force, comme en Egypte en 2013 avec le renversement du Président Sissi, soit par la voie des élections comme au Maroc avec le départ du PJD en 2021 après presque 10 ans de règne. En Europe, Bruxelles a appelé la Tunisie à respecter les droits de l’homme, de la défense et à offrir à Rached Ghannouchi un procès équitable, ainsi que le pluralisme. Tout ça n’est qu’un vœu pieu car rien ne laisse présager d’un retour prochain à la démocratie en Tunisie.
S.B.
[1] https://www.change.org/p/free-chaima-issa
[2] https://www.businessnews.com.tn/Comité-de-soutien-de-Chaima-Issa–stop-au-harcèlement-juridictionnel-et-martial-des-opposants-!,520,126283,3
[3] https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/tunisie-faut-liberer-arretees-cadre-vague-repressive
