SCRUTIN DU 14 MAI EN TURQUIE

Elections en Turquie : le chant du cygne pour Recep Tayyip Erdogan ?

L'issue des élections présidentielles du 14 mai est incertaine pour le président sortant, Recep Tayyip Erdogan. AFP

Le week-end dernier, deux grands meetings se tenaient à Istanbul avant le prochain à Ankara dans une semaine à la veille des élections les plus tendues de l’histoire récente de la Turquie : d’un côté, l’actuel président Recep Tayyip Erdogan attirait près de 1,7 million de sympathisants sur l’ancien aéroport Atatürk d’Istanbul, pendant que son concurrent l’opposant Kemal Kilicdaroglu donnait rendez-vous à ses partisans dans un grand parc de la ville, attirant des dizaines de milliers de supporters. Tout était bien huilé du côté du pouvoir pour ce rendez-vous historique, qui pourrait-être le dernier avec son peuple pour le président sortant.

Dernière ligne droite donc cette semaine pour la campagne présidentielle turque du 14 mai, et qui verra s’affronter l’actuel président Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans avec le parti islamiste de l’AKP, et le leader du parti républicain du peuple, Kemal Kilicdaroglu, à la tête d’une grande coalition de 6 partis. C’est la première fois, au vu des derniers sondages, que les Turcs ont l’espoir de tourner la page Erdogan. La semaine à venir promet rebondissements et derniers coups d’éclats pour deux adversaires qui ont deux visions totalement différentes de la Turquie de demain.

Bilan plutôt négatif pour Erdogan

Demain commence aujourd’hui, et le bilan d’Erdogan est sur le gril. Il s’en défend habilement même si l’opinion comme les experts internationaux le considèrent comme plutôt négatif. Force est de lui reconnaître sa capacité d’avoir replacé la Turquie au cœur de tous les enjeux moyen-orientaux et nord-africains. Par une politique tous azimuts d’influence et d’ingérence, il a pris aussi le risque de se fâcher avec tous ses voisins ou presque, avant d’entamer, depuis un an, une opération de reconquête, parvenant à se réconcilier avec Israël, l’Egypte, et à se rapprocher de Bachar-al-Assad sans parvenir toutefois à ce stade à un véritable accord durable.

Mais le bilan est plus problématique au niveau national : la gestion du tremblement de terre qui a révélé la corruption locale et l’incapacité des autorités locales de faire appliquer la loi pour moderniser des habitations devenues dangereuses dans tout le sud du pays au cœur d’une région sismique ; une crise économique qui n’a fait que s’aggraver avec une inflation historique ; une dérive de plus en plus autoritaire qui pourrait se retourner contre Erdogan le 14 mai prochain.

L’espoir se nomme Kemal Kilicdaroglu

Face à lui et mis en scelle par une certaine forme d’érosion du pouvoir actuel, l’opposant Kemal Kilicdaroglu n’était pas au début le candidat idéal pressenti par les détracteurs du Président sortant. Il y a quelques mois encore, beaucoup fondaient leurs espoirs sur le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu et celui d’Ankara, Mansur Yavas, pour faire tomber l’indéboulonnable « raïs » à ce jour. Mais des affaires les ont empêchés et poussés à se rallier à Kemal Kilicdaroglu.

Le chef du parti IYI Meral Aksener (à gauche sur la photo) et le chef du Parti républicain du peuple (CHP) et candidat à la présidentielle Kemal Kilicdaroglu (à droite) réagissent sur scène lors d'un rassemblement à Kocaeli, le 28 avril 2023. AFP

L’opposition main dans la main pour espérer battre le président sortant turque: sur la photo, Le chef du parti IYI Meral Aksener (à gauche sur la photo) et le chef du Parti républicain du peuple (CHP) et candidat à la présidentielle Kemal Kilicdaroglu (à droite). (AFP)

Cet homme de 74 ans, député à la grande Assemblée Nationale turque, se rêve en sauveur de la démocratie et souhaite rompre définitivement avec l’islamisme, l’erdoganisme, et l’akpisme. Homme de gauche, rassurant, voire fade, promettant droit et justice à son pays, il est président du CHP[1], membre associé du Parti Socialiste Européen. Il est connu pour avoir joué le rôle de Robin des Bois, ayant dénoncé des scandales de corruption au sein de l’AKP qu’il combat depuis des années.

Chiite, de la minorité alévi, Kilicdaroglu tranche net avec Erdogan et ses partisans qui ont toujours marginalisé et discriminé la communauté dont il est issu. Depuis, une coalition s’est formée autour de lui avec six partis courant de la droite nationaliste, aux Kurdes, jusqu’à la gauche. Pour les 100 ans de la République turque, à laquelle tenait tant Erdogan, c’est une fameuse épine dans son pied que de voir son principal opposant revendiquer l’héritage kémaliste encore plus fort que lui. Et cela ne trompe pas le peuple : les Turcs veulent de la croissance, un rapprochement avec l’Occident, moins de défiance à l’égard des voisins.

Rapprochement avec l’Union européenne

Pour autant, Kilicdaroglu n’est pas aussi excité de la réconciliation avec Israël que son opposant. Il n’est pas non plus déterminé à se rapprocher de l’Arabie Saoudite, et a évoqué une potentielle intervention armée contre la Grèce, au sujet de la question chypriote. Son objectif avoué en revanche, c’est un rapprochement clair avec les Etats-Unis, l’OTAN, et l’Union Européenne. Cela changerait les chancelleries européennes, qui voyaient d’un mauvais œil le rapprochement d’Ankara avec Moscou en particulier depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022. La première étape pour clore le chapitre agité d’Erdogan avec ses partenaires historiques de la communauté internationale. D’ailleurs, Kilicdaroglu a déjà promis que s’il est élu, il mettra un terme à la politique des visas à l’égard des citoyens européens. La seconde étape : se rendre à Washington, à Londres, et à Berlin.

Sébastien Boussois

[1] Parti Républicain du Peuple, fondé par Mustafa Kemal, le parti du père de la nation.