ATTENTAT TERRORISTE EN TUNISIE

L’attentat de la synagogue de Djerba signe la persistance du terrorisme en Tunisie

Les forces tunisiennes sécurisent une zone près de la synagogue Ghriba à la suite d'une fusillade sur l'île balnéaire de Djerba le 10 mai 2023. (AFP)

Un peu plus de deux ans après le dernier attentat djihadiste significatif dans le pays, et 21 ans après une première attaque qui avait fait près de vingt morts dans les mêmes lieux, la synagogue de la Ghriba – le plus ancien lieu de culte juif en activité en Afrique – a été le théâtre d’une fusillade qui a fait cinq morts et une dizaine de blessés. Tant la cible choisie que le profil de l’agresseur, un membre des services de sécurité, inquiètent quant à la capacité de l’Etat à combattre la menace terroriste. Le tout dans un contexte politique extrêmement tendu.

La soirée de mardi s’annonçait festive à Djerba, où plusieurs milliers de pèlerins juifs s’étaient rassemblés pour fêter « Lag Ba’omer » – une célébration religieuse de moyenne importance axée sur la symbolique du feu et des lumières : la synagogue de La Ghriba, la plus ancienne d’Afrique, est l’un des lieux traditionnels vers lesquels convergent des juifs croyants venus du monde entier à cette occasion.

Mais il n’a fallu que quelques secondes pour que la joie fasse place au drame : vers 20 heures, un individu a ouvert le feu sur les pèlerins et les forces de sécurité, faisant quatre morts et une dizaine de blessés avant d’être neutralisé. L’un des blessés est décédé dans la journée de mercredi, portant le nombre des victimes à cinq.

Une synagogue sous haute protection, déjà frappée en avril 2002

Outre le fait que La Ghriba est un lieu sacré pour les juifs sépharades, l’attaque est d’autant plus traumatisante qu’il y a vingt-et-un ans, le 11 avril 2002, un premier attentat y avait fait dix-neuf morts et des dizaines de blessés. Ce jour-là, deux sympathisants d’al-Qaïda faisaient exploser un camion-citerne bourré d’explosifs devant l’édifice.

L’attaque est d’autant plus traumatisante qu’il y a vingt-et-un ans, le 11 avril 2002, un premier attentat y avait fait dix-neuf morts et des dizaines de blessés.

Les lieux étaient pourtant sous haute protection. Mais l’attaquant a pu passer plusieurs barrages de police avant d’être arrêté au dernier poste de contrôle, au niveau du parking de la synagogue. Et ce pour une raison bien simple : il portait l’uniforme de la Garde nationale maritime (un équivalent de la gendarmerie nationale en France). Ce n’est qu’in extremis que les membres de la brigade anti-terroriste présents autour de La Ghriba se sont étonnés de voir un garde maritime si loin des côtes. Alors qu’il était contrôlé, l’homme a sorti une arme et ouvert le feu, tuant deux policiers et deux pèlerins et en blessant plusieurs autres. Les deux pèlerins tués sont l’Israélo-Tunisien Aviez Haddad (30 ans), un militant associatif et son cousin franco-tunisien, Benjamin Haddad, un Marseillais de 42 ans père de quatre enfants.

Les premières heures de l’enquête ont révélé que l’homme avait été suspendu de ses fonctions et était l’objet d’une enquête pour avoir manifesté des tendances radicales. Peu avant l’attaque, il avait égorgé un ancien collègue pour lui voler armes et munitions et s’emparer de son quad pour parcourir la vingtaine de kilomètres qui le séparait des lieux de la tuerie.

Du côté des autorités, le service minimal

A Tunis, passé le premier temps de la stupeur et de l’émotion, nombreux sont ceux qui s’étonnent des réactions timorés des autorités : les mots « terrorisme » et « attentat » sont absents du communiqué officiel du ministère des Affaires étrangères, c’est le ministre du Tourisme qui a été dépêché sur place pour coordonner la cellule de crise, et non son collègue de l’Intérieur ou un haut responsable sécuritaire et, mercredi après-midi, la Première ministre Najla Bouden et le Président de la République étaient toujours aux abonnés absents.

Il faut dire que cet attentat tombe particulièrement mal pour le Président Kaïs Saïed et son équipe. Depuis deux ans, Saïed s’est signalé par un positionnement de plus en plus autoritaire, faisant craindre aux observateurs un retour aux heures sombres de la dictature : après avoir suspendu le parlement en juillet 2021, il l’a dissout le 30 mars 2022 et, depuis, les arrestations de membres des partis d’opposition se sont multipliées. Le tout justement au nom de la « lutte contre le terrorisme ». Très contesté par les milieux libéraux et de gauche comme par l’opposition islamiste modérée, Kaïs Saïed vient d’administrer la preuve que s’il est prompt à réprimer toute dissidence politique, il se montre, en revanche, incapable d’assurer la sécurité. Pour lui, l’attentat de La Ghriba est une véritable gifle.

Des résidents juifs se rassemblent devant un magasin à Hara Kebira, le principal quartier juif de l'île balnéaire de Djerba, près de la synagogue Ghriba à la suite d'une fusillade par un policier dans le sud de l'île tunisienne le 10 mai 2023. AFP

Des résidents juifs se rassemblent devant un magasin à Hara Kebira, le principal quartier juif de l’île balnéaire de Djerba, près de la synagogue Ghriba à la suite d’une fusillade par un policier dans le sud de l’île tunisienne le 10 mai 2023. (AFP)

Un acte isolé ?

Autre motif d’inquiétude : le drame de mardi soir démontre que le terrorisme djihadiste est toujours présent dans le pays et peut frapper où il souhaite, même des cibles bénéficiant d’une protection maximale. Après des attentats spectaculaires en 2015 – attaque du musée du Bardo, à Tunis, le 18 mars (22 morts, 50 blessés), massacre de la plage de Sousse le 26 juin (38 morts, 38 blessés) et attaque suicide contre la garde présidentielle, à Tunis, le 25 novembre (13 morts et 16 blessés) – la menace avait baissé en intensité les années suivantes. Les dernières attaques significatives s’étaient déroulées le 28 juin 2019 (2 morts et 8 blessés près de l’ambassade de France), le 6 mars 2020 (1 mort et 6 blessés près de l’ambassade américaine) et enfin le 3 février 2021 (4 militaires tués par une mine dans une opération en zone montagneuse).

On pouvait donc croire que le risque terroriste appartenait au passé. L’attaque de la Ghriba vient de rappeler qu’il ne faut jamais se réjouir trop vite. Et, bien entendu, le profil du tueur est particulièrement interpellant, s’agissant d’un membre des services de sécurité.

Mercredi en début de soirée, l’attentat n’avait pas été revendiqué. On peut donc espérer qu’il ne s’agisse que d’un acte isolé. Si, toutefois, d’autres incidents graves devaient survenir dans les semaines à venir, leur effet serait catastrophique pour la saison touristique qui s’ouvre.

Avec un stupéfiant manque d’empathie pour les victimes, le ministre du Tourisme se félicitait, mercredi, du fait qu’on n’enregistrait encore aucune annulation de réservation (« un indicateur positif », selon ses dires) et vantait le traitement « rapide et efficace de l’incident ».

Certes, mais il aurait sans doute été plus « positif », et pas seulement pour les victimes, de prévenir l’attentat et meilleur « indicateur » eût été que le terroriste ne soit pas un militaire.

Hugues Krasner