NOUVEL ORDRE MONDIAL

Opinion. Il est temps de penser à l’après G7

Une réunion de ministres de Finances de grands pays et de patrons de banques centrales dont la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde (au premier rang, 2ème à partir de la gauche sur la photo). AFP

Le multilatéralisme issu de la fin de la seconde Guerre Mondiale, au nom du « plus jamais ça », montre clairement depuis des décennies qu’il n’est plus adapté à la nouvelle réalité du concert post-moderne des nations. Les pays occidentaux cherchent à maintenir leur influence, envers et contre tout, alors que le monde a déjà largement glissé vers l’Est. Comment imaginer que les Etats-Unis en tête, avec leurs alliés européens, puissent continuer à dicter la marche du monde, alors que jamais leur système, leurs valeurs, leur idéologie, leur fonctionnement, n’ont été aussi contestés ? Alors que depuis la constitution du G7, leur poids a fameusement fondu en matière de PIB mondial.

Un nouveau sommet du G7 va avoir lieu en mai. Ce rassemblement des 7 nations réputées les plus puissantes et les plus industrialisées du monde, se tiendra du 19 au 21 mai à Hiroshima, au Japon. À l’occasion de cette 49ème grand-messe, les chefs d’État et de gouvernement d’Allemagne, du Canada, des Etats-Unis, du Japon, d’Italie, de Grande-Bretagne et de France ainsi que la Présidente de la Commission Européenne et le Président du Conseil européen, vont se réunir pour discuter de l’avenir du monde.

Un club dont le poids à fondu avec le temps

Mais ce monde dont ils font partie se rétrécit à vue d’œil. Leur partie du monde est, en réalité, de plus en plus congrue, car si lors de la création de ce barnum annuel, les pays du G7 représentaient les deux tiers de l’économie mondiale, ils ne pèsent aujourd’hui plus que 30% du PIB mondial. Le G7, c’est donc la peau de chagrin occidentale repliée sur elle-même, sans les nouvelles puissances du monde comme la Chine ou l’Inde, et sans la Russie écartée depuis 2014 et l’annexion de la Crimée. Au-delà de la contestabilité des pays membres de ce club très américano-européen, on peut s’interroger sur la stratégie d’un groupe moribond qui se coupe du reste de l’économie mondiale et des BRICS notamment.

Si lors de la création de ce barnum annuel, les pays du G7 représentaient les deux tiers de l’économie mondiale, ils ne pèsent aujourd’hui plus que 30% du PIB mondial.

Le G7 a de nombreux détracteurs. Des critiques lui sont régulièrement adressées en effet, notamment de la part des franges altermondialistes, accusant le G7 de vouloir continuer à diriger le monde, comme ce fut longtemps le cas des pays qui le constituent. On l’attaque aussi pour son néolibéralisme à tout crin qui n’est pas du goût d’une part croissante de certaines puissances mondiales, critiques de l’Occident, de son modèle économique, et de l’affaiblissement de son modèle démocratique qu’il cherche à exporter encore un peu partout sur la planète.

Un club de moins en moins écouté

Économiquement, le G7 pour sa propre défense, et c’est de bonne guerre, cherche à mettre des bâtons dans les roues de certaines économies qui lui nuisent ou n’adhèrent pas à ses valeurs. Le G7 est donc également un outil de pression contre des pays comme la Russie ou ceux qui n’appliquent pas le régime de sanctions contre Moscou en profitant de son gaz bon marché. A l’automne dernier, les membres du Groupe avaient décidé de plafonner le prix du pétrole brut russe, afin d’affaiblir l’économie de la Russie. Ce qu’aucune des grandes puissances mondiales hors G7 comme la Chine et l’Inde n’ont respecté, donnant la priorité à leur souveraineté énergétique. Les pays occidentaux du G7 ne parviennent plus à imposer des règles « occidentalo-centrées » au reste du monde et même pas à des pays membres de leur propre club : preuve en est que le Japon a lui-même rejeté la proposition de plafonner les prix.

Depuis février 2022 et le début de la guerre en Ukraine, les Etats-Unis et la France ont cherché à faire pression sur leurs partenaires énergétiques traditionnels. Ils ont bien essayé de convaincre les pays de l’OPEP, à commencer par l’Arabie Saoudite, d’augmenter sa production, comme aux Emirats arabes unis d’ailleurs, pour leur propre intérêt. En vain, puisque cela aurait fait chuter les cours et donc priver Riyad et Abu Dhabi de recettes substantielles. L’alliance avec les pays occidentaux de certains pays du « sud Global », a ses limites : celle de la realpolitik et de l’intérêt propre de ces pays pour leur économie. On voit bien que dans un avenir proche, le « tout pour l’Occident » devrait s’effondrer, en même temps que l’influence occidentale sur ses « valets » énergétiques.

Menace pour l’occident

L’Occident a vécu : il lui faut un nouveau souffle ou il sera relégué au second rang de la scène mondiale dans les prochaines décennies. Toutes les organisations occidentales sont en perte de vitesse : l’ONU est paralysée par le veto russe, l’Union européenne voit régulièrement certains de ses États-membres (comme la Hongrie) faire le choix affectif de Moscou au détriment de Bruxelles. L’OPEP co-dirigée par l’Arabie Saoudite et, en sous-main par la Russie, ménage ses partenaires ; la Chine et l’Inde profitent d’un gaz et d’un pétrole bon marché pendant que les Européens, pour se désengager de leur dépendance russe, achètent, à plein pot, le gaz de schiste américain depuis l’année dernière. Comble du comble donc : la lutte pour l’environnement se casse les dents sur la guerre qui revient aux frontières de l’Europe, car le gaz de schiste est extrêmement polluant.

L’Occident a vécu : il lui faut un nouveau souffle ou il sera relégué au second rang de la scène mondiale dans les prochaines décennies.

Ces pays occidentaux veulent imposer leur agenda vert à ceux qui ne font pas partie du club : or, ils sont eux-mêmes les plus industrialisés et parmi les plus polluants. Quid donc du gaz de schiste américain ou de la pollution qu’engendre le Japon dans le pacifique en déversant les eaux usées de l’usine de Fukushima (1,25 million de tonnes d’eau) sans aucun complexe tout en faisant la morale à la Chine qui polluerait plus que tout le monde ?

Système international des Occidentaux à bout de souffle

1945 est loin au regard de l’histoire contemporaine et de la transformation de relations internationales en 80 ans. Nous sommes au XXIe siècle et l’on voit bien que le système international créé par les Occidentaux pour les Occidentaux, et pour mettre sous coupe le reste du monde en 1945, s’est largement essoufflé et a, à priori, peu de chances de retrouver son panache. La guerre en Ukraine a poussé les grandes puissances à faire des choix de raison, d’autres des choix de cœur.

La majorité du monde qui a glissé à l’est, vers l’Asie, a fait le choix de la raison : celui de la défiance vis-à-vis d’un Occident dominateur. La plupart des pays du monde font le choix de leurs propres intérêts, ils continuent d’acheter les ressources énergétiques russes et se rapprochent considérablement de la Chine, accélérant ainsi le processus de « sinisation du monde » et le recul progressif de l’influence américaine.

Par Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques et expert en géopolitique