L’Africa Museum de Tervuren fait son mea culpa sur le racisme et veut recréer l’association des amis du musée

Journaliste – Rédacteur en chef.

L’Africa Museum a inauguré samedi 13 mai à 14h à Tervuren « Let’s talk about racism », son nouvel espace « éducatif et de sensibilisation » sur la question du racisme. Bart Ouvry, le nouveau directeur général de l’institution, qui a pris ses fonctions le 2 mai, concède que le musée n’a pas toujours porté le message de la lutte contre le racisme. Aujourd’hui, dit-il, « les temps ont changé et nous devons porter ce message clair et sans ambiguïté sur la lutte contre le racisme qui est une valeur universelle ». Il veut recréer une association des amis du musée et bâtir une relation structurée, basée sur un partenariat avec la diaspora africaine en Belgique. Il veut positionner le musée comme un acteur international et augmenter le nombre de visiteurs. A cet effet, une enquête sera menée en septembre prochain pour mieux appréhender les attentes des clients. Dans le cadre de son programme 125/5 ans, illustrant les 125 ans du musée en 2023 et sa réouverture, il y a 5 ans, après une rénovation, l’institution a également organisé samedi une conférence-débat sur sa contribution au racisme et à l’anti-racisme. Durant le débat, la question de la présence des Afro-descendants dans les organes de gestion du musée a été posée.
Africa Museum, le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), installé à Tervuren (non loin de Bruxelles) fête cette année ses 125 ans d’existence et 2023 marque aussi les 5 ans de la réouverture après des travaux de rénovation (ils ont pris fin en 2018). Dans le cadre de ce double anniversaire, l’institution a mis en place un programme spécial baptisé 125/5 ans avec différentes activités prévues entre mai et décembre 2023 tant à Bruxelles (à Tervuren) qu’en Flandre et en Wallonie. A cet effet, les responsables du musée ont organisé le premier évènement du programme 125/5 ans samedi 13 mai à 14h. Il s’agit de l’inauguration du nouvel espace du musée consacré au racisme couplé à une conférence-débat.
Espace éducatif et de sensibilisation
Passage obligé pour tout visiteur du musée, car situé juste avant la partie où il faut exhiber son ticket d’entrée payant, le nouvel espace présente, écrites sur mur, onze phrases à connotation raciste déclinées en français, en néerlandais, en anglais et en allemand. Sur une table sont posées des copies de définitions de thèmes liés au phénomène du racisme. En ce samedi après-midi, les invités découvrent le nouvel espace qui interpelle le visiteur. « C’est un espace éducatif et de sensibilisation sur le phénomène du racisme. La lutte contre le racisme est une valeur universelle et il est vrai que le musée n’a pas toujours porté ce message. Nous devons avoir un regard critique sur nous-mêmes en tant que musée et poser la question de comment nous devons évoluer. Aujourd’hui, les temps ont changé et nous devons porter le message de la lutte contre le racisme de façon claire et sans ambiguïté », nous a confié Bart Ouvry, ancien ambassadeur de Belgique et chef de la délégation de l’Union européenne au Mali (après la République démocratique du Congo/RDC). Il est désormais le directeur général du le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), aussi appelé Africa Museum (RDC, Rwanda, Burundi).
La lutte contre le racisme est une valeur universelle et il est vrai que le musée n’a pas toujours porté ce message.
Bart Ouvry, qui a pris ses fonctions le 2 mai, entend ouvrir une nouvelle ère avec les parties prenantes liées au musée. « Nous devons aussi porter le message de la diversité. Mon ambition est de faire de l’Africa Museum un musée international qui dépasse le cadre de Bruxelles et du Brabant wallon. Je veux aussi nouer une relation structurée et de partenariat avec la diaspora africaine et recréer l’association des amis du musée », poursuit-il. Il tend la main à Unia, l’institution publique de lutte contre la discrimination et pour l’égalité des chances en Belgique. « Unia a sa place à nos côtés », assène-t-il.

MRAC, une institution en déficit
Bart Ouvry nourrit de grandes ambitions pour l’institution qui affiche un budget d’environ 21 millions d’euros, alimenté par des contributions du Fédéral, de la Coopération belge, quelques sponsorings et les entrées des quelque 120.000 visiteurs annuels. Il veut redresser les comptes de l’Africa Museum qui sont en déficit et augmenter le nombre de visiteurs. A cet effet, il annonce la réalisation d’une enquête en septembre prochain pour mieux appréhender les attentes des visiteurs. Rappelant que le musée est aussi une institution scientifique, il précise que ce personnel scientifique doit intervenir sur des débats comme le réchauffement climatique, la préservation des forêts et la problématique du bois.
Il répètera son message de lutte contre le racisme à la conférence-débat qui a suivi, dans la foulée, l’inauguration du nouvel espace, et au cours duquel les questions et les exposés n’ont pas épargné le musée. Dans sa présentation, Georgine Dibua, co-fondatrice et coordinatrice de l’asbl Bakushinta a développé comment le Musée royal de l’Afrique centrale a contribué à la diffusion des stéréotypes racistes depuis sa création en 1898. Elle a révélé que la création du nouvel espace sur le racisme n’a pas été un long fleuve tranquille, remerciant, au passage, les autrices du projet (dont Marie-Reine Lyumva et Salomé Ysebaert) « d’avoir tenu bon » et le musée de l’avoir finalement accepté.
Diversité dans les organes de gestion du musée
Guido Gryseels, qui a dirigé le musée de 2001 à 2021 a décliné l’évolution du musée qui, depuis sa création, a servi de propagande à la colonisation. Il se rappelle de sa prise de fonction en 2001 en découvrant que le musée n’a pas changé depuis 1956 lorsqu’il était venu le visiter cette année-là avec ses parents. « Il y avait toujours, exposés, les éléments qui renforçaient les stéréotypes et les préjugés présentant les Congolais comme des hommes sauvages et sans culture. Dès 2001, nous avons entamé une rénovation profonde en organisant notamment la première exposition en Europe sur le passé colonial. A l’époque, une enquête indiquait que 95% des Belges avaient encore une opinion positive de la colonisation. On ne peut pas nier le passé, mais il nous faut bâtir un avenir meilleur », a témoigné Guido Gryseels, l’ancien directeur de l’Africa Museum.

Il a plaidé pour un partenariat avec les organisations de la diaspora en Belgique, un partage du pouvoir au sein du musée et une politique de co-création. Il défend aussi la mise en place d’un nouveau narratif sur le passé colonial qui intègre les violences et les violations imposées aux populations colonisées et la mise en place d’une « politique de diversité pour nos organes de gestion ».
On ne peut pas nier le passé, mais il nous faut bâtir un avenir meilleur.
Une transformation à 180° qui a prend du temps
Sur ce dernier point, il rejoint ainsi le constat posé par la jeune doctorante Amina Odofin (Université de Gand) qui, en forçant un peu le trait, a rappelé que la diversité est, pour l’instant, surtout visible dans le personnel de la sécurité et du nettoyage du musée. Quid au niveau de la direction ? Participant au débat, Mireille-Tsheusi Robert espère que la démarche entamée par le musée en faveur de la lutte contre le racisme ne sera pas juste une opération de marketing. « On verra à quel point vous avez envie de faire un travail sur le racisme », a ironisé la présidente de l’asbl Bamko-CRAN, un comité de de femmes pour l’égalité, la justice et l’équité raciale.
Répondant à la question de savoir pourquoi il a fallu autant d’années pour le MRAC pour mettre en place un espace consacré au racisme, Tine Geunis qui travaille au service Education, Culture et accueil du MRAC ne s’est pas débinée. « C’est une transformation à 180 degrés et pour une institution qui était un outil de propagande (de la colonisation), ça prend du temps », a-t-elle concédé. Une évaluation externe du projet est demandée.
C’est une transformation à 180 degrés et pour une institution qui était un outil de propagande (de la colonisation), ça prend du temps.
La question de la restitution notamment à la République démocratique du Congo (RDC), d’œuvres se trouvant au musée est revenue sur le tapis, de même qu’une réorganisation de la salle Afropéa, dédiée à la diaspora. « Sur la question de la restitution des œuvres, je pense que le débat se situe au Congo, c’est aux dirigeants de les réclamer », nous a confié Maddy Tiembé, présidente de l’association AFEDE (Action des femmes pour le développement) qui lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes à l’est de la RDC.
D’autres évènements sont prévus à l’agenda dans le cadre du programme, notamment des visites guidées du musée et le nouveau spectacle de l’humoriste Belgo-congolaise, Cécile Djunga (https://www.africamuseum.be/fr/see_do/agenda).