SCANDALE AUI PARLEMENT EUROPEEN

« Qatargate » : le juge d’instruction belge Michel Claise quitte l’enquête

L'avocat de Marc Tarabella, Me Maxim Töller (à gauche sur la photo) et son client l'Eurodéputé belge (à droite) lors d'une conférence de presse le 10 mai dernier à Liège. BELGA

C’est un véritable coup de tonnerre qui a retenti lundi soir au Palais de justice de Bruxelles. On apprenait que le juge Michel Claise avait décidé de quitter la direction de l’enquête sur le Qatargate, cette affaire de corruption qui secoue le Parlement européen. En cause des liens indirects avec Maria Arena, dont le nom apparaît à de nombreuses reprises dans le dossier. Le juge n’avait guère le choix : s’il n’avait pas pris cette décision, une nouvelle requête en suspicion légitime aurait certainement été déposée, avec, cette fois, des chances réelles d’aboutir. C’est désormais la juge Aurélie Dejaiffe, qui a déjà eu à connaître à plusieurs reprises du dossier est désormais en charge de la poursuite de l’enquête.

On se souviendra que, le 16 février dernier, Maître Maxim Töller, avocat de Marc Tarabella avait déposé une première requête en suspicion légitime contre le juge Claise. Cette démarche, basée sur une rédaction jugée tendancieuse d’un document d’instruction, avait fait long feu : à la mi-mars, la Cour d’Appel de Bruxelles la rejetait. Mais l’avocat n’avait manifestement pas dit son dernier mot.

Un fils du juge associé à celui de Maria Arena…

Bis repetita, c’est en effet à nouveau Maître Töller qui est passé à l’attaque, lundi après-midi, en envoyant à Michel Claise une lettre l’informant qu’il avait découvert que le fils ainé du juge d’instruction et le fils de la députée Maria Arena étaient associés au sein de « BRC & Co », une société commerciale spécialisée dans la distribution de CBD, le cannabis légal. Cette fois, le juge Claise n’a pas attendu que Maxim Töller dépose une nouvelle demande de récusation, cette fois avec toutes les chances d’aboutir.

Lundi soir, le parquet fédéral publiait donc un communiqué actant que « des éléments sont apparus récemment. Ils pourraient susciter certaines questions quant au fonctionnement objectif de l’enquête. Par mesure de précaution et afin de permettre à la justice de poursuivre son travail dans la sérénité et maintenir une nécessaire séparation entre la vie privée et familiale et les responsabilités professionnelles, le juge d’instruction Michel Claise nous communique qu’il a décidé ce soir de se déporter du dossier ».

La juge Aurélie Dejaiffe, qui a déjà eu à connaître à plusieurs reprises du dossier est désormais en charge de la poursuite de l’enquête.

Exit, donc Michel Claise qui quitte, sans doute avec une certaine amertume, la direction de ce qui était sinon la plus grosse enquête de sa carrière (il a instruit certains des plus importants dossiers de corruption et de fraude des dernières années) certainement la plus médiatique. Et sans nul doute l’une des dernières : à 66 ans, le magistrat n’est plus qu’à un doigt de la retraite.

L’impartialité et l’apparence de l’impartialité

Précisons-le, l’élément qui a amené Michel Claise à faire un pas de côté n’a strictement rien à voir avec le dossier. Mais il est évident que la chose est bien de nature à créer un doute raisonnable : un lien, certes indirect, mais bien réel existe bel et bien entre le magistrat instructeur et l’une des personnes dont le nom apparaît depuis le début, au dossier.  Or, les principes du droit veulent que l’enquête soit menée en toute impartialité, mais aussi avec l’apparence de cette impartialité. La bonne administration de la justice ne souffre aucune exception.

Les principes du droit veulent que l’enquête soit menée en toute impartialité, mais aussi avec l’apparence de cette impartialité.

Certes, en l’occurrence, le juge Claise n’a rien à se reprocher (ni d’ailleurs les fondateurs de la société et dont l’association a provoqué sa chute), mais on peut regretter qu’il n’ait pas tiré plus tôt les conséquences inévitables d’une situation familiale qu’il ne pouvait ignorer. Maître Töller ne s’est d’ailleurs pas privé de faire remarquer qu’il était « choquant » que ce conflit d’intérêt « qu’il avait depuis le premier jour de l’enquête » n’ait pas été révélé plus tôt. En toute objectivité, quoique l’on pense du dossier et quelle que soit l’estime que l’on a pour Michel Claise, on ne peut pas vraiment lui donner tort.

Maria Arena, omniprésente mais jamais entendue…

C’est que, effectivement, le nom de Maria Arena est omniprésent dans le dossier du Qatargate depuis avant même qu’il soit passé dans sa phase judiciaire. Dans le rapport que la Sûreté de l’Etat avait transmis à la justice au printemps 2022 et qui avait entraîné l’ouverture de l’instruction, Maria Arena était citée comme l’une des « amies » de Pier-Antonio Panzeri, l’homme qui dirigeait la centrale de corruption, et la Sûreté soulignait sa « collaboration consciente » avec ce dernier (soulignons une fois de plus que Mme Arena nie toute malversation).

Bien que Mme Arena soit l’une des seules personnes dont le nom est cité dans le dossier et qui n’ait pas été entendue à ce jour (ni, à fortiori, inculpée), et bien que Panzeri nie toute corruption de l’Eurodéputée belge et que son associé, Francesco Giorgi dise ne pas être au courant d’une implication quelconque de sa part, les éléments troublants sont nombreux.

Non seulement Maria Arena a échangé, en 2022, plusieurs centaines de messages téléphoniques (vocaux et textos) avec Panzeri, qu’elle présente comme un ami proche et qui avait été son prédécesseur à la tête de la sous-commission DROI (droits de l’homme) du Parlement mais de plus, elle a bénéficié, à La Mamounia (un hôtel de luxe de Marrakech), d’un séjour de luxe payé par les Marocains (qui avaient recours aux services corruptifs de la centrale de Panzeri) et d’un autre au Qatar. Tout cela alors que sa position sur la protection des droits des travailleurs dans l’émirat (un dossier clé pour eux qui contestaient l’attribution du Mondial à Doha) opérait un virage à 180°. Rappelons encore que lorsque Panzeri fut arrêté, le 9 décembre 2022, c’est Maria Arena qui se chargea de lui trouver un avocat. Enfin, dans le mandat d’arrêt à charge du député italien Andrea Cozzolino, le juge Claise écrivait, le 10 février dernier que Madame Arena appartenait à un « quatuor » de parlementaires aux ordres de Panzeri et agissait, avec les autres membres du groupe, « sur instructions » de ce dernier.

Andrea Cozzolino extradé d’Italie vers la Belgique

Des écoutes de mai 2022 font également apparaître que Panzeri et Giorgi auraient proposé à Ugo, le fils de Madame Arena (donc l’associé du fils de Michel Claise) des places (frais de voyages inclus) pour assister à certains matches du Mondial. La progéniture de l’Eurodéputée nie catégoriquement ce fait. Ce que personne ne nie, en revanche, c’est que le même expert-comptable s’occupait à la fois des comptes de la société « BRC & Co » et des ASBL créées par Pier-Antonio Panzeri pour couvrir ses manœuvres délictueuses. Mais ceci ne signifie évidemment rien.

Quoi qu’il en soit, Maxime Töller a transformé l’essai de février dernier et est arrivé à écarter le juge Claise de l’enquête, ce qui était son objectif avoué depuis le premier jour. La journée de lundi avait pourtant bien commencé pour Michel Claise : l’Italie venait d’extrader Andrea Cozzolino, inculpé de corruption et qui, réfugié à Naples, avait fui les foudres du magistrat. Mais, ainsi va la vie, elle s’est mal terminée.

Hugues Krasner