LA CRISE PERDURE AU GOUVERNEMENT FEDERAL

Visagate: malgré son mea culpa, la ministre Hadja Lahbib demeure sur la sellette

Malgré ses explications en commission lundi 26 juin, la ministre des Affaires Hadja Lahbib peine à convaincre de sa bonne foi. BELGA

La ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR) passait un nouvel examen devant la commission des Relations extérieures, ce lundi après-midi 26 juin. Beaucoup estimaient que c’était l’audition de la « dernière chance » pour elle. Autrement dit, cela passait ou cela cassait. Le moins que l’on puisse dire est que la séance fut peu concluante. Entre demi-excuses et réponses imprécises aux questions posées, la ministre n’a évidemment pas convaincu l’opposition et à peine la majorité. Si les deux formations libérales (MR et Open VLD) font toujours bloc derrière Hadja Lahbib, socialistes et écologistes, eux, continuent à l’attaquer. Ces derniers et l’opposition sont toujours vent debout contre elle et tout semble indiquer qu’ils ne sont pas près de lâcher le dossier tant qu’elle sera aux affaires…

Avant même le début de la séance, les choses avaient mal commencé : selon des sources proches du parti socialiste, Mme Lahbib (MR) aurait téléphoné à des membres du PS pour quémander leur appui ou, à minima, leur neutralité. Des responsables socialistes ont déclaré « Nous avons trouvé ça totalement déplacé, ça affaiblit encore plus sa position. Après avoir massacré Smet (secrétaire d’Etat socialiste bruxellois poussé à la démission dans le dossier des visas, ndlr), c’est d’une indécence totale… ».

Des demi-excuses

Prenant la parole, Hadja Lahbib a débuté par de timides excuses (elles étaient réclamées par la totalité des partis à l’exception de l’Open VLD et du MR, Georges-Louis Bouchez les excluant même purement et simplement puisqu’il estime que sa ministre n’a commis « aucune faute ») si ce n’est des demi-excuses : « Je suis désolée que les choses se soient passées ainsi. J’avoue que nous aurions pu gérer les choses différemment et j’aurais dû mieux communiquer », a-t-elle confessé. Elle a également regretté que certaines personnes (entre autres les opposants iraniens en Belgique filmés par un membre de la délégation) se soient senties « mises en danger par la présence de la délégation iranienne ». Je tiens à présenter mes excuses si j’ai donné l’impression de ne pas avoir intégré le vécu intime de ceux qui ont trouvé refuge en Belgique. »

Je n’aurais pas dû réagir de manière aussi véhémente en rejetant la faute sur d’autres niveaux de pouvoir.

Et elle ajoute : « Je n’aurais pas dû réagir de manière aussi véhémente en rejetant la faute sur d’autres niveaux de pouvoir. Je vous prie de bien vouloir m’excuser pour mon manque de clarté, je n’ai jamais réfléchi en termes de calculs politiques, mais en termes de conséquences diplomatiques ».

Dont acte, mais on remarquera que Mme Lahbib reste assez vague dans la formulation de ses regrets.

Elle a ensuite admis des « confusions » entre les deux premières séances au cours desquelles elle s’était déjà expliquée (une première fois en commission et une deuxième fois, la semaine dernière, en séance plénière), entre autres au sujet de l’avis rendu par l’OCAM (Organe de coordination pour l’analyse de la menace) dont elle avait d’abord affirmé qu’il avait précédé la délivrance des visas, alors que l’on sait depuis plusieurs jours qu’il était arrivé plus de douze heures après cette délivrance.

Un avis de l’Ocam qui pose problème

Ce fameux avis de l’OCAM, du reste, pose un problème. Il n’avait été demandé, en fait, que pour savoir s’il existait un risque pour… la sécurité du maire de Téhéran, mais pas pour les Belges ou pour les opposants iraniens résidant dans le pays. Au passage, du reste, l’Office de coordination pour l’analyse de la menace, rappelait « l’implication probable » dans la sanglante répression de la révolte des étudiants de l’université de Téhéran, en juin 2009. Or, dans ses réponses précédentes, Hadja Lahbib sous-entendait que cette note d’analyse portait bien sur le risque de sécurité pour la Belgique et ses résidents. Une nouvelle confusion, donc. Certains pourraient dire « un nouveau mensonge ».

Malaise, à nouveau, lorsque l’on entend la ministre (qui vient de regretter « d’avoir rejeté la faute sur d’autres niveaux de pouvoir »), évoquer Pascal Smet en insistant, à nouveau, sur le fait qu’il avait demandé de ne pas bloquer les visas et concluant : « Ce n’était pas opportun d’envoyer les invitations, et je m’en tiens à cela ».

C’est vous qui avez mis le feu. Vous n’avez pas la confiance de la majorité.

BELGA

Georges Dallemagne (Les Engagés) charge la ministre de Hadja Lahbib (MR): “Vous n’avez pas la confiance de la majorité “. (BELGA PHOTO)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les partenaires de majorité ne sont pas convaincus

Mais dès que l’on est passé aux questions, il a été clair qu’une fois de plus, Hadja Lahbib n’avait pas convaincu.

Pas de surprise, bien entendu, du côté de l’opposition. Pour la NVA : « Aujourd’hui, vous regrettez des malentendus, mais pas des dysfonctionnements. Vous continuez à défendre le processus. Mais cela signifie donc que vous referiez la même chose à l’avenir. Or des personnes auraient pu être mises en danger. Le problème qui se pose aujourd’hui, cela va au-delà d’un problème de communication et je ne suis pas sûr que vous en soyez consciente…Voulez-vous enfin prendre vos responsabilités et démissionner ? »

Mais le discours est quasiment identique chez les partenaires de majorité du MR et du VLD :

l’Ecolo Samuel Cogolati a dénoncé les « nombreuses contradictions » de la ministre. En tant que parlementaire, il a évoqué son malaise par rapport à la situation tandis que son homologue flamand, Wouter de Vriendt (Groen) avouait n’être pas encore « rassuré et assuré qu’à l’avenir vous ne délivreriez pas ce visa au boucher de Téhéran ».

« On peut convenir que vous avez menti »

Mais au-delà des questions de principes (fallait-il délivrer des visas à une délégation iranienne, pléthorique de surcroît, et ce, quelles que soient les « pressions » de la Région de Bruxelles-Capitale) et de procédures (a-t-on posé les bonnes questions à la Sûreté de l’Etat, à l’office des étrangers et à l’Ocam ?), l’un des reproches les plus graves que l’ont fait, tous partis confondus (à l’exception, à nouveau des deux formations libérales) à Hadja Lahbib, c’est d’avoir menti au Parlement. Celui-ci ayant, entre autres, pour rôle de contrôler l’action du Gouvernement, c’est évidemment inacceptable. Et là non plus, les explications de la ministre n’ont pas été entendues. « On peut convenir que vous avez menti à la Chambre », a lancé Malik Ben Achour, député PS, qui regrettait au passage que les parlementaires n’aient pas reçu tous les documents indispensables à la bonne compréhension de l’affaire. Et il enfonce le clou : « Ce Parlement n’est ni un confessionnal, ni une église et je ne suis pas curé ! Vos excuses pour pas cher –  sans jamais évoquer vos propres responsabilités dans la procédure – ne m’intéressent pas après tous ces parapluies ouverts et tous ces mensonges. Le 15 juin, vous avez menti à la Chambre et c’est définitivement et irrémédiablement à inscrire à votre passif. Et l’argument diplomatique agité récemment est un alibi, un emballage qui ne tient pas. La question qui se pose est donc de savoir si vous êtes encore suffisamment fiable au vu de toutes vos contradictions qui ensevelissent votre responsabilité ».

BELGA

Pour Samuel Cogolati (Ecolo), “on n’aime pas découvrir que la réponse que nous donne la ministre ne correspond pas avec la réalité”. (BELGA PHOTO)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour Samuel Cogolati : « Quand on fait son job, on n’aime pas découvrir que la réponse que nous donne la ministre ne correspond pas avec la réalité. J’ai tenté de recoller les pièces du puzzle, mais je ne comprends toujours pas votre feu vert après l’opposition, notamment, de notre ambassadeur en Iran. Il ne s’agit pas de l’ONU ici, mais d’une Conférence de maires : vous n’étiez pas obligée de mener cette procédure expéditive. Que vous fallait-il de plus pour dire « stop» ? Reconnaissez-vous votre “Responsabilité Politique” dans l’octroi des visas ? »

J’ai tenté de recoller les pièces du puzzle, mais je ne comprends toujours pas votre feu vert après l’opposition, notamment, de notre ambassadeur en Iran.

Hadja Lahbib toujours sur la sellette

Face à de telles charges, l’opposition n’avait plus grand-chose à dire. Georges Dallemagne (Les Engagés) a d’ailleurs été bref mais, incisif : « Vous avez une grande responsabilité dans cette crise. C’est vous qui avez mis le feu ». Et de conclure : « Vous n’avez pas la confiance de la majorité ».

Lundi soir, la position d’Hadja Lahbib semblait moins assurée que jamais. Et, après les attaques des partis de gauche de la coalition, la question de son maintien au gouvernement était clairement posée. Sauf retournement de situation (mais en Belgique, on le sait, tout est possible…), les jours de la ministre sont comptés. Reste la grande inconnue : si les choses en arrivaient là, le MR et l’Open VLD (dans une moindre mesure) resteraient-ils sur leur position maximaliste (si Hadja Lahbib est poussée vers la porte, c’est tout le gouvernement qui saute) ?

Peut-être les ténors libéraux devraient-ils admettre que, dans une démocratie, un (e) ministre qui ment à la représentation nationale doit faire ses bagages. Il n’est pas trop tard, mais le temps va commencer à manquer.

Hugues Krasner