Le Sirasco, service de renseignement criminel de la police nationale française vient de terminer la rédaction d’un rapport destiné à ses « clients » sur l’état de la criminalité organisée. Un document exhaustif qui fait le point sur l’évolution de la menace et des méthodes du crime. Plusieurs médias français (dont Le Figaro et Le Monde) y ont eu accès. Principal constat : le trafic de stupéfiants est en forte augmentation et devient une « matrice criminelle » irrigant d’autres activités délictueuses.
La France devient une plateforme européenne de la criminalité transnationale sur laquelle collaborent ou s’affrontent des bandes venues de tous les horizons. Ces réseaux mondialisés rivalisent d’imagination et d’audace pour se faire une place sur un « marché » qui a longtemps été dominé par des groupes criminels nationaux. Et ils s’adaptent en permanence aux progrès des nouvelles technologies.
Le Sirasco (Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée) n’est pas un service de police comme les autres Dépendant de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), il est en charge de la collecte – tant auprès des administrations françaises qu’étrangères, mais également auprès des centrales de coordination de l’activité policière que sont Interpol ou Europol - de toutes les données pertinentes permettant de mieux cerner et analyser le monde criminel.
Il ne s’agit ni d’un service d’enquête ni d’une unité d’intervention mais bien d’une cellule d’experts au sein de laquelle coopèrent gendarmes et policiers.
Une forte augmentation des saisies de drogue
Dans son rapport annuel (qui vient d’être envoyé à différentes autorités mais n’a pas vocation à être rendu public), il définit, sans réelle surprise, le trafic de stupéfiants comme étant non seulement la principale menace criminelle mais également la « matrice criminelle » autour de laquelle s’articulent d’autres activités délictueuses. Ce trafic arrive ainsi devant 8 autres menaces prioritaires (traite des êtres humains, pédocriminalité, criminalité financière, cybercriminalité, atteintes aux biens (les différentes formes de vol), contrefaçons, jeux illégaux et délinquance environnementale).
Les Balkans, un immense supermarché d’armes de guerre à ciel ouvert (...) depuis trente ans
Ce constat repose non seulement sur les règlements de compte liés à la lutte entre bandes pour le contrôle de points de deal (ils sont, par exemple presque quotidiens à Marseille), mais également sur l’importance des saisies opérées. En 2022, les prises d’héroïne ont augmenté de 8%, (un peu moins de 1,5 tonne), celles de cocaïne de 5% (27 tonnes), celles de cannabis de 15% (128,6 tonnes), celle d’Ecstasy et MDMA (un puissant psychostimulant) de 6% (1,5 millions de comprimés) et celles d'amphétamines et de méthamphétamines de 21% (300 kilos).
Un quart des armes saisies sont liées aux stupéfiants
La centralité du trafic des stupéfiants dans la criminalité organisée se traduit, entre autres, par le fait qu’un quart des armes saisies en France en 2022 (8027 pièces, soit une augmentation de 9,5%), ont été découvertes dans le cadre d’enquêtes sur les stups.
Le directeur du Sirasco, William Hippert, affirme au « Figaro » que « tous les gros réseaux de trafiquants sont désormais équipés d'armes de guerre ». Parmi ces armes, des fusils d'assaut Kalachnikov, particulièrement prisés des jeunes voyous du fait de leur image iconique et de leur puissance de feu et fréquemment utilisées dans les règlements de compte de la cité phocéenne que nous évoquions plus haut.
Si la majorité de ces armes proviennent encore des Balkans, devenus un immense supermarché d’armes de guerre à ciel ouvert depuis les guerres qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie il y a trente ans, une nouvelle tendance apparaît : la vente d’armes en pièces détachée sur Internet. Envoyées par la poste, ces pièces permettent ensuite de reconstituer des armes fonctionnelles. Et on ne peut passer sous silence l’achat de pistolet d’alarmes (la marque turque Zoracki fait un malheur) sensés tirer à blanc mais qui sont adaptés dans des ateliers clandestins pour tirer à balles.
Spécialisation et réseaux de tueurs
Si ces armes peuvent être utilisées dans des braquages, on les retrouve également souvent dans des règlements de comptes (67 agressions pour 41 morts, 30% des victimes n’ayant pas 25 ans). Nouvelle tendance également : ces dernières années, ces expéditions punitives étaient souvent le fait des dealers eux-mêmes, qui les confiait parfois aux plus jeunes membres de leurs bandes (pour lesquels il pouvait s’agir d’une sorte de « rite d’initiation », ouvrant la voie à une ascension rapide dans le groupe), mais on assiste désormais à l’éclosion de petits réseaux de « tueurs à gage » sous-traitant les éliminations pour les grands réseaux de trafiquants.
Le plus inquiétant est sans doute l’augmentation du recours à la corruption.
Jeunes et branchés sur les nouvelles technologies (ils utilisent entre autres des balises électroniques ou des drones pour repérer et suivre les cibles qui leur sont désignées), ces jeunes « nettoyeurs » sont particulièrement efficaces. Ils ne tuent pas toujours mais peuvent également pratiquer le kidnapping pour imposer leur volonté aux bandes rivales ou la mutilation afin de punir un concurrent ou de le neutraliser.
Depuis le Covid, le trafic « s’Ubérise » : on livre à domicile, même en prison
Autre nouveauté : l’ubérisation, apparue avec les confinements liés au Covid et qui limitaient drastiquement les déplacements des dealers et leurs capacités de contacts. Aujourd’hui, la drogue peut être commandée via une messagerie cryptée, ou sur un, fil ou une page Internet et livrées par la poste, par messagerie de courrier ou même par drones…