IMMIGRATION VERS LE ROYAUME-UNI

Royaume-Uni : la Cour d’appel juge illégale l’expulsion de migrants vers le Rwanda

Le ministre britannique de l'Intérieur, Priti Patel (à gauche sur la photo, aujourd’hui remplacée par Suella Braverman), et le ministre rwandais des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Vincent Biruta (à gauche), se serrent la main après la signature de l’accord de partenariat sur la migration et l'économie au Centre des congrès de Kigali, Kigali, Rwanda, le 14 avril 2022. AFP

Retournement de situation dans le dossier des migrants au Royaume-Uni. Ce mercredi 28 juin, la Cour d’appel britannique a rejeté le projet de loi très controversé du gouvernement d’envoyer les migrants arrivés sur le territoire illégalement vers le Rwanda. Cette décision a été prise suite à l’appel introduit notamment par d’anciens migrants illégaux contre le projet de loi. Pour la Cour, le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr et il y a « un risque réel que les personnes envoyées au Rwanda soient renvoyées dans leur pays d’origine ». Le Rwanda a réagi à l’arrêt de la Cour. Ses autorités rappellent que « le Rwanda est l’un des pays les plus sûrs au monde, nous avons été reconnus par le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés, ndlr) et d’autres institutions internationales pour le traitement exemplaire que nous offrons aux réfugiés ». Elles affirment que le pays apporte une contribution majeure à la gestion de la crise migratoire. « Le Rwanda reste pleinement engagé pour garantir le bon fonctionnement de ce partenariat », concluent-elles dans un communiqué. 

La justice britannique a infligé un sérieux camouflet au Gouvernement britannique dans le cadre de son projet d’expulser les migrants arrivés illégalement sur le territoire vers le Rwanda. La Cour d’appel a estimé que la démarche est illégale, dans un arrêt rendu ce mercredi 28 juin. Ce projet de loi, qui avait émergé en avril 2022 sous Boris Johnson lors de l’annonce du partenariat avec le Rwanda, avait immédiatement fait l’objet d’une indignation générale et d’une levée de boucliers des associations pour les droits de l’Homme. Le 19 décembre 2022, la Haute Cour de justice pour l’Angleterre et le Pays de Galles avait conclu que  que la décision de Londres d’expulser les demandeurs d’asile vers le Rwanda était légale. Le texte de loi est emblématique de la ligne dure de la ministre de l’Intérieur britannique Suella Braverman en matière d’immigration. Il a pour but de freiner l’immigration illégale au Royaume-Uni, notamment celle venant de la France. En 2022, Londres a enregistré le plus haut taux de traversée de la Manche avec 45.700 personnes arrivées sur le territoire britannique à bord de petites embarcations.

Le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr et il y a un risque réel que les personnes envoyées au Rwanda soient renvoyées dans leur pays d’origine.

Plusieurs associations humanitaires avaient alors pointé du doigt que même les migrants qui empruntaient une route sûre et légale voyaient leurs demandes de visa ou de regroupement familial refusées. D’après l’association Refugee and Migrant Forum, 66 % des demandes de regroupement familial sont refusées alors que la personne qui en fait la demande est arrivée sur le territoire légalement.

Coût de l’expulsion: 200.000 euros par demandeur d’asile

Au-delà de l’aspect humanitaire, le projet de loi était une catastrophe budgétaire. En effet, en juin 2022, le Gouvernement britannique avait déjà versé 140 millions de livres au Gouvernement rwandais lors de la signature de l’accord entre les deux pays, alors que le projet de loi n’avait pas encore été pré-approuvé par la Cour suprême. Depuis, le Gouvernement conservateur a aussi dépensé 1,3 million de livres en bataille juridique pour défendre le projet. Enfin, il a été estimé par le ministère de l’Intérieur que le coût de déportation au Rwanda serait de près de 200.000 euros par personne. Tout cela, aux frais des contribuables britanniques. Mais le ministère indique qu’il pourrait réaliser une économie d’environ 123.000 euros pour chaque demandeur d’asile notamment sur les frais d’hébergement.

La Cour d’Appel a examiné deux éléments principaux : si la sécurité des migrants serait garantie s’ils étaient expulsés vers le Rwanda et si la Convention des droits de l’Homme est respectée.

AFP

L’actuelle ministre britannique de l’Intérieur, Suella Braverman, défend l’expulsion des demandeurs d’asile vers le Rwanda. (AFP).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr

La Cour a jugé que le Rwanda n’était pas en mesure d’accueillir des migrants en toute sécurité en raison d’un système d’asile « qui présente de sérieuses carences en matière de droits de l’Homme ». Pour la Cour, le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr et il y a « un risque réel que les personnes envoyées au Rwanda soient renvoyées dans leur pays d’origine ». Les opposants au projet de loi craignent en effet que beaucoup de demandeurs d’asile soient directement renvoyés par le Rwanda dans leurs pays d’origine sans examiner leurs demandes, les exposant ainsi à des risques de persécution.

Enfin, la Cour a jugé  aussi que le Gouvernement britannique violait l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui interdit les actes de torture et les traitements inhumains.

D’après la Cour d’appel, le Gouvernement britannique n’avait pas suffisamment examiné les risques que les migrants pourraient encourir en les envoyant au Rwanda. Elle a donc annulé le projet de loi, qui fait partie d’une loi d’ensemble sur l’immigration portée avec difficulté par le Gouvernement conservateur de
Rishi Sunak.

Le Gouvernement conteste l’arrêt de la Cour

La ministre de l’Intérieur Suella Bravermann a réagi ce jeudi après-midi au Parlement britannique. « Le peuple britannique ne tolérera plus la fiction policée selon laquelle nous avons le devoir ou la capacité infinie de soutenir tous ceux dans le monde qui fuient la persécution », a-t-elle déclaré. « C’est injuste pour ceux qui jouent selon les règles et qui veulent voir un système d’asile qui fonctionne correctement », a-t-il poursuivi. Le Premier ministre, Rishi Sunak, a, annoncé son intention de faire appel de la décision de la Cour d’appel auprès de la Cour suprême, ce qui suppose une nouvelle bataille juridique. Ce jugement en tout cas fragilise une nouvelle fois le gouvernement conservateur, qui n’est pas sûr de voir aboutir son projet phare sur l’immigration.

AFP

Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak a annoncé son intention de faire appel de l’arrêt de la Cour d’appel devant la Cour suprême.  (AFP photo).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Riposte du Rwanda à l’arrêt de la Cour d’appel

Le Rwanda a aussi réagi. « Nous contestons le jugement selon lequel le Rwanda ne serait pas un pays sûr pour les demandeurs d’asile et les réfugiés. Le Rwanda est l’un des pays les plus sûrs au monde, et nous avons été reconnus par le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés, ndlr) et d’autres institutions internationales pour le traitement exemplaire que nous offrons aux réfugiés », ont réagi les autorités rwandaises. Elles rappellent qu’elles apportent « une contribution majeure à la gestion de la crise migratoire ».

Le Rwanda est l’un des pays les plus sûrs au monde, nous avons été reconnus par le HCR et d’autres institutions internationales pour le traitement exemplaire que nous offrons aux réfugiés

Elles font allusion à l’exil des Tutsi rwandais dans les pays voisins dans le passé (Ouganda, Burundi, RDC, Tanzanie) et mettent en avant le sens de l’accueil du pays. « Les Rwandais savent ce que cela signifie d’être contraint de fuir son pays, et de se construire une nouvelle vie ailleurs. Nous avons bâti, en tant que société et en tant que gouvernement, un environnement sûr, stable et digne dans lequel les migrants et les réfugiés jouissent des mêmes droits et des mêmes opportunités que les Rwandais. Toutes les personnes relocalisées chez nous dans le cadre de ce partenariat en bénéficieront. Le Rwanda reste pleinement engagé pour garantir le bon fonctionnement de ce partenariat. Le système migratoire international, défaillant, ne parvient pas à protéger les personnes vulnérables, donnant ainsi libre champ à des bandes criminelles de passeurs, ce qui a un coût humain considérable. Lorsque les migrants arriveront, nous les accueillerons et nous leur apporterons le soutien dont ils auront besoin pour se construire une nouvelle vie au Rwanda », concluent-elles.

Léna Job (à Londres)