France : nouvelle veillée d’armes après des nuits d’émeutes et des dégâts considérables
Un employé entre dans un magasin pillé à la suite d'une quatrième nuit consécutive d'émeutes en France déclenchées par la mort du conducteur adolescent Nahel par une balle de la police, à Lyon, dans le sud-est de la France, le 1er juillet 2023. AFP Si les violences ont été territorialement moins étendues, dans la nuit de vendredi à samedi, elles sont restées d’une intensité exceptionnelle. Avec, entre autres, le pillage d’une armurerie à Marseille. Ce samedi après-midi, alors que le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti martelait que les parents « doivent tenir leurs gosses », et que le président de la République, Emmanuel Macron, annulait une visite d’Etat en Allemagne (dont le clinquant des aspects protocolaires, forcément spectaculaires, auraient été mal compris alors que la France brûle), le jeune Nahel était inhumé au cimetière du Mont-Valérien. Et chacun retenait son souffle dans l’attente d’un week-end jugé par beaucoup comme décisif. En attendant, les chiffres donnent un aperçu de l’intensité des violences et du climat tendu qui règne dans l’Hexagone.
Le bilan était mitigé samedi matin, après une nouvelle nuit d’émeutes : si peu d’incidents ont été signalés dans certaines régions (comme dans le Nord ou en région parisienne, moins touchées que les nuits précédentes), ils ont été d’une extrême violence là où ils se sont produits. Quelques chiffres donneront la mesure des choses : plus de 1.311 interpellations (dont 406 à Paris), 79 policiers et gendarmes blessés, 1.350 véhicules brûlés, 234 bâtiments totalement ou partiellement incendiés et 2.560 feux sur la voie publique (poubelles, mobilier urbain, barricades).
Le ministre de la Justice s’en prend aux parents des émeutiers
Chaque nuit, depuis mardi dernier, a apporté son lot d’images choquantes. Dans la nuit de mercredi à jeudi, la prison de Fresnes a été attaquée, jeudi, un véhicule blindé de la BRI (unité d’élite de la police nationale) a foncé sur des barricades en feu à Nanterre. Pour la nuit dernière, on ne sait laquelle choisir tant elles sont innombrables : pillage d’une armurerie en plein cœur de Marseille, bureau de poste touché par une explosion à Lyon, ou encore, dans la même ville, un émeutier tirant à la kalachnikov. Selon plusieurs témoins, des individus ont en effet tiré (en l’air heureusement) au fusil d’assaut, non seulement à Marseille mais également à Nîmes.
AFP Une photo prise le 1er juillet 2023 montre une voiture incendiée dans une rue à la suite d’une quatrième nuit consécutive d’émeutes en France déclenchées par la mort de l’adolescent conducteur Nahel par une balle de la police, à Talence, dans le sud-ouest de la France. (AFP)
A Nîmes, un autre tireur (portant un gilet pare-balles !) a tiré au fusil à pompe sur des caméras de vidéosurveillance. Certains disent avoir reconnu des AK47, mais rien n’est confirmé. C’est possible, toutefois : on sait qu’à Marseille, la « Kalash » est l’une des armes de prédilection des gangs de jeunes dealers qui s’entretuent pour le contrôle des points de deal.
Un peu partout, des mairies et autres établissements publics ont été pris pour cible et, parfois, détruits, tandis que des élus locaux étaient physiquement visés par des émeutiers (entre autres à Charleville-Mézières et à Pontoise).
Les parents qui ne s’intéressent pas à leurs gamins et qui les laissent traîner la nuit en sachant où ils vont aller (…) ils encourent deux ans de prison ferme et 30.000 euros d’amende.
Des dizaines, voire des centaines d’incidents ont eu lieu à travers la France au cours d’une quatrième nuit d’émeutes, principalement commises par des individus âgés de 14 à 18 ans, selon les 471 interpellations de la journée. L’extrême jeunesse des émeutiers a amené le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, à insister pour que soit systématiquement rappelé aux parents leur responsabilité légale : « Il faut redire aux parents qu’ils tiennent leurs gosses », a-t-il lancé depuis le tribunal de Créteil, « Les parents qui ne s’intéressent pas à leurs gamins et qui les laissent traîner la nuit en sachant où ils vont aller (…) ils encourent deux ans de prison ferme et 30.000 euros d’amende».
Bibliothèque publique renfermant des trésors a été détruite par le feu
A Marseille, en début de soirée, plusieurs centaines de personnes ont investi le centre-ville pour piller des magasins comme Armand Thierry, Sephora ou Lancel. Des renforts de police, demandés « immédiatement » par le maire Benoît Payan, ont dû être déployés. Des pillages ont également été signalés à Lyon, Grenoble ou Saint-Etienne, alors que, dans certaines villes, la Gendarmerie avait déployé des véhicules blindés sur roue dont elle est dotée.
A Metz (Lorraine), la bibliothèque publique a été incendiée. Elle contenait des livres anciens mais également des manuscrits d’auteurs modernes, comme Paul Verlaine. On ignore si ces trésors irremplaçables ont été protégés. Dans la même région, deux fast-foods ont été pillés et détruits par les flammes.
A Strasbourg (Bas-Rhin), c’est en plein jour que les dégradations et les pillages avaient commencé, un « Apple-Store » et des succursales de Zara et Bouchara étant notamment pris d’assaut, obligeant les autorités locales à demander aux magasins de baisser le rideau ce samedi après-midi.
AFP Un piéton utilise un smartphone pour filmer la façade d’un magasin endommagé avec un message indiquant « Justice pour Nahel » à Marseille, dans le sud de la France, le 1er juillet 2023, après une quatrième nuit consécutive d’émeutes en France suite au meurtre d’un adolescent par la police. (AFP)
A Villeurbanne (banlieue de Lyon, département du Rhône), des dizaines d’hommes ont investi une concession et dérobé une vingtaine de motos. A Vaulx-en-Velin, toujours en banlieue lyonnaise, au moins 7 policiers ont été blessés par un tir de fusil à pompe.
A Sevran, en Seine-Saint-Denis, des hommes vêtus de noir ont été aperçus sur la remorque d’un camion, manifestement volé et qu’ils utilisaient comme un « transport de troupes ».
Pratiquement militarisés, les émeutiers ont affronté la police et d’autres unités d’élite de la police nationale telles que la BRI, le GIGN et le Raid. Le matériel lourd de ces services, entre autres leurs véhicules blindés, n’a pas réussi à dissuader les émeutiers, qui les ont pris pour cible avec des feux d’artifice, comme à Marseille vers 1 heure du matin, ou dans la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes plus tard dans la nuit.
Comme les nuits précédentes, des symboles de l’État ont été attaqués. Plusieurs commissariats ont été visés, notamment à Saint-Denis (Seine Saint-Denis), Alès (Gard) et Vaulx-en-Velin (Rhône). La mairie de Persan (Val-d’Oise) a également été incendiée. A Cholet (Maine-et-Loire), c’est l’ancienne maison du maire qui a été envahie, saccagée et pillée.
Que se passera-t-il cette nuit ?
Les obsèques du jeune Nahel, cependant, se sont déroulées dans le calme et la dignité, si ce n’est quelques tensions avec les journalistes dont la présence n’était manifestement pas souhaitée.
Mais alors que la nuit allait bientôt tomber, l’inquiétude était perceptible dans de nombreuses villes où les autorités redoutent une nouvelle nuit de violences. « Ce week-end pourrait être décisif », nous confiait un commissaire du renseignement territorial (SRT) : « Soit les choses se calment nettement et l’on peut, alors, espérer aller vers un apaisement généralisé, soit les violences perdurent et ce sera l’escalade, avec, toujours, le risque d’un accident, ce qui rendait les choses encore plus difficiles à contrôler ».
AFP Une photographie prise le 1er juillet 2023 montre un bungalow incendié à l’entrée d’un parking à la suite d’une quatrième nuit consécutive d’émeutes en France déclenchées par la mort de l’adolescent conducteur Nahel par une balle de police, dans le quartier des Aubiers à Bordeaux, dans le sud-ouest. (AFP)
Autre crainte, celle de voir l’ultra-droite entrer dans la danse. Des vidéos montrant un groupe de jeunes militants d’extrême droite agressant des manifestants présumés à coups de barres de fer à Angers (Maine-et-Loire) circulaient samedi. Et l’on sait que certains courants extrémistes – dits « accélérationnistes » entretiennent le fantasme d’incidents graves débouchant sur une guerre civile qu’ils appellent de leurs vœux.
En tout cas, d’autres appels à des rassemblements ont été lancés pour ce samedi soir, notamment sur les Champs-Élysées à Paris. Dans un message diffusé sur Snapchat, on peut lire : « Appel à toutes les cités de France, rendez-vous à 23h samedi pour choquer l’État ».
De nouvelles mesures de sécurité ont été annoncées, avec une présence policière accrue (45.000 policiers et gendarmes déployés ce soir, soit 5.000 agents de plus qu’hier). Des couvre-feux ou des suspensions des services de transport en commun (en Île-de-France) sont prévus, ainsi que, localement, des interdictions de rassemblement. Avec un seul objectif : éteindre le feu avant qu’il ne continue à s’étendre.
Hugues Krasner
