ADOLESCENT TUE PAR UN POLICIER

France : quatre caractéristiques nouvelles (et inquiétantes) des violences urbaines

Des policiers municipaux se tiennent devant le domicile endommagé du maire de l'Hay-les-Roses Vincent Jeanbrun, à l'Hay-les-Roses, en banlieue parisienne, le 2 juillet 2023, après que des émeutiers aient attaqué la maison avec une voiture-bélier avant d’y bouter le feu. AFP

Alors que la France a connu une cinquième nuit d’émeutes, qui a touché tout le pays avec, à certains endroits, des pointes paroxystiques de violences, 45.000 policiers et gendarmes seront à nouveau engagés ce dimanche soir 2 juillet, pour tenter de maintenir ou de restaurer l’ordre public. Les dégâts sont énormes et se chiffrent déjà en centaines de millions d’euros (sans compter les coûts induits tels que le chômage et les éventuelles faillites de petits commerces). Mais si l’on compare ces émeutes à celles qui avaient enflammé les banlieues en 2005, on peut également constater quelques tendances plus ou moins « nouvelles » qui s’avèrent particulièrement inquiétantes.

Premier constat : la grande jeunesse de nombre d’émeutiers. Si beaucoup sont dans la vingtaine, environ 30% des arrestations concernent des adolescents entre 12 et 17 ans. Tout à la fois, cette donnée est significative d’un problème social, elle entraîne un fort risque de récidive et/ou d’escalade dans la violence et elle pose un problème de répression et donc d’application de la loi.

Masculinité toxique

Du point de vue social (ou sociologique) il est évident à (presque) tout le monde qu’il n’est pas normal qu’un enfant de 13 ou 14 ans se trouve dehors, seul ou en bande, en pleine nuit. C’est donc qu’il y a un déficit d’éducation ou que l’autorité parentale ne s’exerce plus et que le mineur est livré à lui-même. Dans certaines familles, ce délitement de l’autorité parentale s’explique également par le fait que c’est l’activité délictueuse récurrente du mineur (trafic de drogue, vols, etc.) qui permet de boucler les fins de mois. On ne peut donc qu’être dubitatif sur les mesures qui peuvent être prises par l’autorité publique. Il peut y avoir un « rappel à la loi », certes, mais qui surveillera l’effet de ce rappel ?

Du point de vue sociologique il est évident à (presque) tout le monde qu’il n’est pas normal qu’un enfant de 13 ou 14 ans se trouve dehors, seul ou en bande, en pleine nuit.

Le jeune mineur, par définition plus influençable qu’un adulte, sera également davantage la victime de l’effet d’entraînement de la « meute » : il fera « comme ses copains » (sous peine d’être ostracisé et chassé de la bande qui n’est en définitive qu’une famille de substitution) et pourra, pour les mêmes raisons, être poussé à des violences extrêmes : l’adolescence, surtout chez les garçons, est l’âge des défis et des transgressions. Non seulement on veut faire « comme les autres », mais on veut faire « mieux et plus » et montrer qu’on est un «homme ». Voici un cas de figure dans lequel on peut réellement parler de « masculinité toxique ».

AFP

Des manifestants passent devant une poubelle incendiée lors d’affrontements avec la police à Marseille, dans le sud de la France, le 1er juillet 2023, après une quatrième nuit consécutive d’émeutes en France à la suite du meurtre d’un adolescent par la police. (Photo AFP).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Travaux d’intérêt général 

Du point de vue répressif, enfin, un mineur de moins est treize ans est « irresponsable » pénalement et ne peut donc être sanctionné pour des faits délictueux ou criminels. Entre 13 et 16 ans, il peut être poursuivi devant des tribunaux pour la jeunesse, mais ces poursuites ne peuvent être qu’exceptionnelles. Entre 16 et 18 ans, les tribunaux pour la jeunesse restent très généralement compétents, mais en cas de récidive, l’adolescent peut être traduit devant une cour correctionnelle pour les mineurs et en cas de crime grave, devant une cour d’assise des mineurs. Ces deux cas de figure sont rarissimes et la plupart du temps, les mesures prises par les tribunaux pour la jeunesse consisteront en « travaux d’intérêt général » qui ne seront jamais exécutés faute d’encadrement.

Le caractère « éducatif » de la punition qui devrait permettre à l’enfant de prendre conscience qu’il a eu un comportement déviant qui met son propre avenir en danger est donc inexistant. C’est d’ailleurs cette absence de réelle sanction qui amène les bandes de trafic de stupéfiants à employer de très jeunes mineurs, pour surveiller les points de deals ou acheminer de petites quantités de drogues : arrêté, l’adolescent sera libéré quelques heures plus tard et pourra recommencer l’activité délictueuse. Idem pour les violences urbaines.

Deuxième constat : on s’attaque aux centres-villes

Comparé aux émeutes de 2005 et à ce que l’on appelle, généralement, les violences « de quartiers », il est manifeste qu’il y a un déplacement géographique. Certes, on brûle toujours des voitures, du mobilier urbain et des symboles de l’Etat (mairies, écoles, etc.) dans les quartiers sensibles, mais on s’attaque également aux quartiers « bourgeois » généralement peu touchés par les émeutes, parce que bien protégés et éloignés des zones difficiles.

Comparé aux émeutes de 2005 et à ce que l’on appelle, généralement, les violences « de quartiers », il est manifeste qu’il y a un déplacement géographique.

Cela fut le cas, ce dernières nuits, à Paris, Lyon, Strasbourg, Lille, Grenoble ou dans des petites villes calmes qui n’avaient jamais, à ce jour, connu ce type de violences.  Deux explications à ce phénomène. D’abord, bien entendu, le pillage : il y a plus à voler « chez les riches » que dans « les quartiers » et il existe sans doute, chez les pilleurs un sentiment de revanche sur une société dont ils s’estiment à tort ou à raison être les exclus. Ensuite, l’influence des Gilets jaunes, il y a quelques années, ou des Black blocs dans les manifestations plus récentes contre la réforme des retraites est manifeste : les jeunes comprennent bien que s’ils attaquent dans les centres des grandes métropoles ou dans des villes et quartiers réputés calmes, le défi à l’autorité sera plus manifeste et l’effet de peur sera augmenté.

Troisième constat : l’utilisation des armes

Les forces de l’ordre sont habituées, lors des émeutes, à être confrontés à des armes primitives  (barres de fer, poings américains, etc.) ou à des armes « par destination » (pavés, mobilier urbain). Pour la première fois des armes « longues » (fusils et fusils d’assaut) ont fait leur apparition. Avec, qui plus est, une gradation dans la montée de la violence : les deux premiers soirs, on a tiré en l’air dans certains quartiers, ensuite on a visé les caméras de surveillance, et hier on a visé un policier qui, à Nîmes, n’a été que légèrement blessé grâce au gilet pare-balles qu’il avait endossé.

C’est totalement nouveau, répétons-le, et cela soulève une double inquiétude. D’abord à cause du risque évident de blessures graves (voire des décès). Ensuite parce que ces armes sont, en général, aux mains des bandes de trafiquants (qui les utilisent pour des règlements de compte ou des braquages) et que leur apparition dans les émeutes signifie que des membres de ces bandes y sont mêlés, alors qu’on tenait pour généralement acquis que les bandes souhaitaient le retour au calme rapide, le désordre et la présence policière massive qu’il induit étant mauvais pour le « business ».

AFP

Les manifestants réagissent alors que des cartouches de gaz lacrymogène sont lancées par la police anti-émeute française lors d’affrontements à Marseille, dans le sud de la France, le 1er juillet 2023, après une quatrième nuit consécutive d’émeutes en France suite au meurtre d’un adolescent par la police. (Photo AFP).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quatrième constat : on s’en prend physiquement aux élus et à leurs proches

Jusqu’à présent, c’est le policier ou le gendarme (des symboles de l’Etat et des membres de « bandes rivales dans l’imaginaire des jeunes émeutiers) qui étaient ciblés. On assiste ces derniers jours à la généralisation d’une violence physique s’en prenant aux élus (et aux journalistes, par ailleurs) qui avait déjà été constatée lors des manifestations contre la réforme des retraites.

La nuit dernière, la maison de Vincent Jeanbrun, maire de L’Haÿ-les-Roses a été attaquée à la voiture bélier, suivi d’une tentative d’incendie alors que le maire était absent, mais en revanche son épouse et deux jeunes enfants (5 et 7 ans) s’y trouvaient. Les émeutiers ont ensuite poursuivi cette femme et les enfants qui s’enfuyaient, tous trois ont été blessés, l’état de la maman nécessitant une intervention chirurgicale sous anesthésie générale. C’est l’agression la plus grave commise à ce jour (elle a d’ailleurs donné lieu à l’ouverture d’une instruction pour tentative d’assassinat), mais elle n’est pas unique : samedi soir également, des inconnus ont bouté le feu à la résidence du maire de La Riche (près de Tours). A Cholet (Maine-et-Loire), il y a deux jours, c’est l’ancienne maison du maire (qui venait de déménager) qui a été saccagée et pillée et la maire de Pontoise a également été agressée et légèrement blessée.

Bref, l’ensemble de ces éléments démontre que plusieurs tabous ont sauté et que l’on a atteint, ces derniers jours, un niveau de violence (et de risque) jamais connu à ce jour. C’est pourquoi, bien entendu, l’ordre républicain doit être rétabli dans les meilleurs délais (mais en évitant, chez les émeutiers des morts ou des blessés graves qui feraient dégénérer encore davantage la situation…)

Ce soir, pour la deuxième nuit consécutive, ce sont 45 000 policiers et gendarmes qui seront, à nouveau, déployés à travers toute la France. Et chacun croise les doigts….

Hugues Krasner