Hommage à Jane Birkin : souvenir d’une humaine icône de liberté
C’était au joli mois de mai 2002, à Paris. Je revenais de l’élégante rue de Verneuil, en plein quartier de Saint-Germain-Des-Prés, où je m’étais rendu, comme en pèlerinage, sur les mythiques lieux de l’ultime demeure de Serge Gainsbourg, ce dandy tout en clair-obscur, paré d’ombre et de lumière, que j’ai beaucoup aimé et sur lequel j’ai tant écrit, allant même jusqu’à insérer, dans un de mes livres illustrés à ce sujet, « Le dandysme – La création de soi[1] », une superbe photo de lui.
Rencontre à Saint-Germain-des-Prés
Mais c’est lorsque, ce jour-là toujours, je me suis quelque peu éloigné de ce lieu devenu aujourd’hui mythique – la dernière maison, donc, de ce personnage magnifiquement double qu’était ce très complexe mais fascinant Gainsbourg/Gainsbarre – que la véritable surprise advint pour moi : ma rencontre impromptue et pourtant bienvenue, à la terrasse ensoleillée d’un restaurant de ce quartier hanté par quelques-uns des meilleurs artistes et écrivains de la capitale française, avec le grand amour, irremplaçable muse, de ce même Gainsbourg : Jane Birkin, précisément, qui, atteinte depuis quelques temps d’une douloureuse et incurable leucémie, vient, hélas, de nous quitter, à l’âge encore relativement jeune de 76 ans, en cet estival, et pourtant triste comme un terne matin d’hiver, dimanche 16 juillet 2023 !
Jane Birkin, icône du cinéma était aussi, et peut-être avant tout, une femme engagée, tant sur le plan politique que social.
Je me souviens. Jane, qui déjeunait donc, étrangement seule en cet après-midi printanier (elle y attendait, en réalité, une de ses filles, Charlotte Gainsbourg, encore et toujours), à la table de ce bon mais simple restaurant de la rue de l’Ancienne-Comédie, me sourit très gentiment, de ce sourire à la fois aimable et radieux, lorsqu’elle me vit et, peut-être, me reconnut.
L’engagement d’une icône du cinéma et de la chanson
Nous nous étions longuement parlé, en effet, quelques années auparavant, en 1995, où nous avions participé ensemble à l’intéressant mais tumultueux débat d’une célèbre émission télévisée, « Le Cercle de Minuit » sur « Antenne 2 » (l’ancienne « France 2 »), alors animée par l’excellente Laure Adler et consacrée ce soir-là, en compagnie de quelques-uns des intellectuels les plus en vue de l’Hexagone (Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann, Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, Olivier Rolin, Jean-François Kahn, Paul-Marie de La Gorce), à la guerre en ex-Yougoslavie[2].
Car, oui, Jane Birkin, icône du cinéma (voir, notamment, l’électrique et sulfureux « Blow Up » de Michelangelo Antonioni ou la splendide mais dramatique « Piscine » de Jacques Deray, immortalisée par des acteurs de la trempe d’Alain Delon, Romy Schneider et Maurice Ronet) tout autant que de la chanson (et pas seulement pour les emblématiques mais surtout sensuelles, transgressives et nostalgiques à la fois, « 69 année érotique », « Je t’aime moi non plus », « Ex-fan des Sixties », « La décadanse » et autre « Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve), était aussi, et peut-être avant tout, une femme engagée, tant sur le plan politique que social.
Humanisme, charme et liberté
Engagée, de fait, et cependant libre, sans jamais s’être inféodée à aucun parti politique ou courant idéologique, dans les nombreuses causes qu’elle a défendues sans compter ; immanquablement soucieuse, toujours pourvue d’une immense et sincère générosité, du bien-être des autres ; authentiquement tolérante, sincèrement désintéressée, dans ses multiples combats en faveur d’autrui, des plus démunis comme des plus opprimés.
Oui : Jane Birkin, pour qui l’inaliénable sens de l’humain – à l’image de cette même humanité qui auréolait sa personne – avait l’imprescriptible valeur de la grandeur d’âme, était, au sens plein et noble du terme, une vraie humaniste, le respect des autres aussi bien que la liberté de soi chevillés, avec passion et délicatesse tout à la fois, au cœur comme à son être le plus profond, par-delà même l’irrésistible charisme – ce je ne sais quoi d’attrayant raffinement mêlé d’érotisme naturel – qui en émanait. Le charme discret d’un irrésistible sex appeal !
Et puis, le son, merveilleusement assorti à son inimitable accent anglais, très british, manifestement de bonne éducation et haute distinction, de sa voix : aussi doux, sinon fragile, que l’indestructible, quoique toujours bienveillante, force de ses combats !
L’histoire d’une photo : pour la postérité
Ainsi, afin de boucler ici la boucle en ce modeste mais sincère hommage, est-ce empli de cette admiration que j’ai toujours nourrie pour elle, que, par un heureux hasard au détour de mes promenades quotidiennes au cœur de ce quartier de Saint-Germain-des-Prés, je la rencontrai donc à nouveau, mais inopinément cette fois-ci, déjeunant à la terrasse de ce fameux restaurant parisien de la rue de l’Ancienne-Comédie, en ce beau jour de mai 2002.
A mon tour ravi, tout autant que ces deux sublimes femmes, je pris donc cet immortel cliché, que je livre ici pour la première fois, sinon pour l’Histoire, à la postérité.
Aussi, est-ce tout naturellement, le plus simplement et même humblement du monde, que Jane, aimable comme à son habitude, mais peut-être plus éblouissante encore que jamais, accepta alors de très bon gré, réjouie même, que mon épouse, la peintre et photographe Nadine Dewit, qui m’accompagnait justement ce jour-là, se fit photographier avec elle, toutes deux complices, presque coquines, de ce moment comme suspendu ainsi, pour l’éternité, dans l’air du temps.
A mon tour ravi, tout autant que ces deux sublimes femmes (Nadine fut toujours secrètement amoureuse, me confia-t-elle un jour, de Jane), je pris donc cet immortel cliché, que je livre ici pour la première fois, sinon pour l’Histoire, à la postérité.
Le deuil d’une époque
Adieu, donc, très chère Jane, humaine icône d’inégalable et souveraine liberté !
Davantage : par-delà ce deuil personnel, comme celui que porte également à présent toute une génération, c’est aussi une époque bénie entre toutes, mais aujourd’hui révolue, celle de ma jeunesse, qui disparaît avec toi !
Daniel Salvatore Schiffer*
*Philosophe, écrivain, auteur, notamment, de « Philosophie du dandysme – Une esthétique de l’âme et du corps » et « Le dandysme, dernier éclat d’héroïsme » (Publiés tous deux aux Presses Universitaires de France), « Oscar Wilde » et « Lord Byron » (publiés tous deux chez Gallimard – Folio Biographies », « Le dandysme – La création de soi » et « Manifeste Dandy » (publiés tous deux aux Editions François Bourin/Les Pérégrines), « Traité de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate à David Bowie » (Editions Alma/Nuvis), directeur des ouvrages collectifs « Penser Salman Rushdie » (Editions de l’Aube/Fondation Jean Jaurès) et « Repenser le rôle de l’intellectuel (Editions de l’Aube).
[1] Cf. Daniel Salvatore Schiffer, Le dandysme – La création de soi, Editions François Bourin/Les Pérégrines, Paris, 2011.
[2] Je venais moi-même de publier alors un livre critique, « Les Intellos, ou la Dérive d’une caste – De Dreyfus à Sarajevo » (Editions L’Âge d’Homme, Lausanne-Paris, 1995), centré, entre autres thématiques, à la question des intellectuels et leur rapport à la guerre en Bosnie.