Coupe du monde de rugby : du pain, des jeux, des huées et après ?

Journaliste / Secrétaire de rédaction

Au lendemain de la cérémonie d’ouverture de la 10ème Coupe du monde de rugby qui se tient en France jusqu’au 28 octobre prochain, on ne sait que penser de ce show à l’américaine bleu blanc rouge planté au cœur de la France des années 50. Certes, le spectacle était appréciable et, à l’heure du 20h qui distille habituellement son lot de faits divers sinistres, on ne peut que dire « merci » pour le spectacle d’une vingtaine de minutes emmené par un Jean Dujardin à l’aise dans la peau d’un Belmondo de son temps.
Néanmoins, l’image d’Epinal de cette France d’avant-hier défendue à l’international, est bien loin de la France actuelle de Macron qui elle, osons-le dire, ne faire guère rêver. Pourquoi s’inspirer de l’image d’une France qui n’est plus vraiment pour lancer l’événement sportif qui entendait célébrer les 200 ans du rugby ?
Nombreux sont ceux qui, sur les réseaux, y ont perdu leur latin. « Manque d’énergie et d’emballement, un homme déguisé en coq, c’est quoi ça ? Une course effrénée derrière le béret volant d’Adriana Karembeu ? ». Le rapport à l’événement n’était pas immédiat. Les symboles, eux, y étaient, qu’importe.
Le pays imaginaire et tendre d’Ovalie
Le spectacle proposé par le directeur artistique Olivier Ferracci et la metteuse en scène Nora Matthey de l’Endroit, auquel le héros de The Artist a collaboré était probablement plus appréciable depuis son salon qu’en direct de la Seine Saint-Denis.
Qu’on se le dise, leur objectif était de célébrer le savoir-faire, le savoir-vivre et les traditions françaises, quitte à tomber dans les clichés, et ce, sur fond d’une rencontre amoureuse entre un gentil boulanger en tricycle (qui distribue des pains de forme ovale), avec une véritable danseuse étoile, en la personne de la gracieuse Alice Renavand. Le décor est planté dans le village imaginaire d’Ovalie.
Après, tout s’enchaîne et se disperse. Pas certain que les spectateurs y ont compris ou vu grand-chose de précis en dehors des projections sur écrans géants. A côté du talent des 244 bénévoles issus d’Ile-de-France et amateurs de rugby, de la participation de nombreux grands Chefs (44 personnalités au total) et des acrobates fous, c’est l’apparition d’une Tour Eiffel immense que Jean Dujardin ira titiller en son sommet, volant à travers les airs avant de dévoiler le trophée du champion, qui emballa véritablement la foule.
Enfin, en guise de final festif, retentira le célèbre hymne populaire de l’Aviron Bayonnais Rugby, la Pena Baiona. Alors le stade de France s’est emballé, le savoir-vivre à la française version sud-ouest, c’est ça aussi !
Il faut bien faire rêver un peu les foules et offrir (…) une pause de nostalgie populaire.
Le show chorégraphié sans aucune spontanéité laissa ensuite la place, sur le terrain, au premier match opposant le Quinze français aux All blacks néo-zélandais dont le capitaine fut le grand absent de dernière minute et qui explique peut-être, ne soyons pas trop mauvaise langue, l’une des raisons de la victoire des Bleus 27 à 13.
Mais juste avant cela, il y eut le discours sobre et bref du patron du rugby, Bill Beaumont ponctué d’un « Allons-y ! » en français dans le texte. Puis, autre savoir-vivre français, il y eut les huées contre le Président Macron, monté à la tribune pour conclure. Et c’est en faisant référence au Quinze bleu blanc rouge qu’il parvint à faire taire les cris: « Amis du rugby, pour nous tous, nous Français, c’est une immense fierté d’accueillir sur notre sol toutes les équipes de la Coupe du monde de rugby et nos Bleus. (…) Place au jeu, je déclare ouverte la 10ème Coupe du monde de rugby ».
Une pause pour faire oublier le reste
Alors évidemment, il y eut du spectacle, et même une parade de la Patrouille de France et un feu d’artifice spectaculaire qui fit jaillir l’émotion. Mais à quel coût !? Car à un an des J.O. de Paris, la France en crise y va de sa poche pour séduire, distraire et parfois dérouter à travers du pain et des jeux, à tout va.
Selon l’étude d’Impact Deloitte, les dépenses liées à l’organisation de cette Coupe du Monde de rugby avoisineraient les 400 millions d’euros. Pour cette 10ème édition, la Fédération française de rugby (FFR) a mis les petits plats dans les grands. Des milliers de visiteurs étrangers sont attendus dans tout le pays afin de suivre les 48 matchs dans les neuf stades qui accueilleront ce Mondial. A l’instar des petits marchés français, autant de « Villages rugby » et fans zones ont été créés pour l’occasion.
Les retombées économiques directes pourraient atteindre les 1,2 milliard d’euros. Selon, Jacques Rivoal, chargé de l’organisation de la Coupe du monde, l’inflation en cours a fait grimper l’addition finale. Le coût des choses en 2023, n’est plus celui estimé en 2017 lors du dépôt du dossier de candidature. Dans les faits, le budget réel de cette Coupe du monde avoisinerait les 800 millions d’euros de recettes.
Près de 200 000 billets ont été mis à la vente, entre 10 €, pour les matchs de poules et à partir de 40 € pour les phases finales. Néanmoins, pour un France-Nouvelle-Zélande, comme celui d’hier soir, il fallait plutôt compter entre 100 et 550 € selon la place acquise dans le Stade de France. Ah, oui, le coût des places pour la finale à Paris varie entre 100 et 950 €.
La France de Macron n’est pas la France bucolique et tranquille dévoilée hier soir aux amateurs de rugby du monde. Elle n’est pas non plus aussi riche et à l’aise qu’il n’y parait. Mais il faut bien faire rêver un peu les foules et leur offrir, le temps d’un événement sportif majeur, une pause de nostalgie populaire qui fera oublier tout le reste, sauf le rugby.