Culture

La pianiste belge Eliane Reyes rend hommage au violoncelliste Aleksandr Khramouchin, son mari, parti trop tôt


Eliane Reyes présente ce mercredi 13 septembre un disque posthume en hommage à son mari Aleksandr Khramouchin, décédé le 13 mai 2023 des suites d’un choc septique à l’âge de 43 ans. La date n’est pas choisie au hasard : c’est la journée mondiale de la septicémie, une infection bactérienne méconnue, mais qui fait énormément de victimes. Environ 11 millions en meurent chaque année dans le monde. En 2017, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé la septicémie comme une priorité de santé publique. Eliane Reyes veut mettre le projecteur sur cette infection qui a emporté son « sascha ». Rencontre avec l’artiste qui nous explique les raisons qui l’ont poussée à sortir un disque posthume et comment elle fait pour tenir debout. Nous en avons profité pour retracer avec elle son art. « Je tiens debout pour Adèle, notre petite fille. Pour elle, je n’ai pas le droit de sombrer. Elle dort avec le disque de son père contre son cœur », avoue Eliane Reyes. 

Vous avez traversé une tragédie l’an dernier. Pourquoi ce disque en hommage à Aleksandr Khramouchin, votre compagnon ?

Sascha et moi étions des âmes sœurs, deux enfants prodiges qui se rencontrent. On pouvait se comprendre sans se parler. Sacha était un génie musical, il pouvait tout apprendre en un jour, même un concerto. J’ai toujours été attirée par la culture russe, les églises orthodoxes, les romans comme Anna Karénine, la musique russe. C’est une culture profondément musicale, c’est ancré dans l’être. En tant qu’enfant prodige, j’ai toujours été en inspirée par ce lien entre l’humain et la musique. Nous étions deux âmes sœurs, nous avons eu le même parcours à savoir pas d’école, la musique depuis l’âge de trois ans, l’excellence. Nous nous sommes reconnus.

Et votre fille…

Je tiens debout pour Adèle, notre petite fille. Pour elle, Je n’ai pas le droit de sombrer. Elle dort avec le disque de son père contre son cœur. Je sais que pour elle c’est un témoignage, il y a une trace de son père. En un an, tous nos concerts ont été enregistrés dans des conditions de qualité radio, c’est incroyable. C’est ce qui a permis de créer ce disque. Cela devait se faire.

Ce 13 septembre sortira notre disque pour piano violoncelle. Ces enregistrements brassent un large paysage de musique : Schumann, Ysaÿe, Rachmaninov, Prokofiev, Lysight, Fauré, Debussy, Bach, Saint-Saëns. Comme pour dire non à l’absence.

Je tiens debout pour Adèle, notre petite fille. Pour elle, Je n’ai pas le droit de sombrer. Elle dort avec le disque de son père contre son cœur.

Nous organiserons un évènement ce jour où se mêlera une intervention sur la recherche médicale. Le plus grand hôpital de Belgique Érasme sera présent pour expliquer pourquoi nous n’avons pas pu sauver Sascha, pourquoi nous n’avons pas eu d’antibiotiques, ce qu’il manque. Il y aura tout un débat sur le choc septique qui a emporté Sascha. Nous voulons des questions et sensibiliser le public sur le phénomène mal connu du choc septique. Le disque sort le 13 septembre car c’est la journée mondiale de la septicémie.

Qu’est-ce qui vous a poussé vers la musique ?

Ma mère était professeure de piano. Quand elle a compris que j’avais des prédispositions, elle m’a poussé à en faire. Elle a réalisé que j’avais l’oreille absolue car je chantais juste. Ce qui m’a amené à commencer la musique au cœur de mon plus jeune âge. Elle croyait. C’est elle qui s’occupait de moi. J’étais vraisemblablement plus attirée par le piano que par d’autres instruments. Je ne le regrette pas. J’éprouve encore ce besoin.

Quel est votre rapport au métier aujourd’hui ?

Il y a eu une grande période de changements après le Covid. Le confinement a cassé une dynamique. Les artistes avaient de nombreux projets qui ont été brisés. La musique est devenue un hobby aux yeux du monde, alors que c’est un art. Ce qui me frappe, c’est le nombre de personnes qui font des vidéos pendant un concert. Alors que la musique requiert une façon spécifique de se concentrer, des silences. C’est presque philosophique.

Si on ne se concentre pas, la musique se transforme en bruit.

La place n’est plus à la concentration. On va au concert comme on écoute la radio. Non seulement le public n’est pas concentré, mais nous, on est déconcentrés. C’est pour cela qu’il y a de plus en plus de concepts qui naissent. Ils se veulent plus accessibles, comme nous ne sommes pas concentrés. La musique ne se suffit plus à elle-même.

Pourtant, les notes ont des sens, des harmonies, des codes. Tout ce qui se veut règle nécessite une concentration. Si on ne se concentre pas, la musique se transforme en bruit. Le public offre sa concentration pour porter l’artiste. L’artiste sublime la partition du compositeur. C’est un vase communicant. Ce système atteint son paroxysme quand le public et l’artiste s’engagent de concert dans la communion de l’artiste qui rend l’âme du compositeur. Tout fonctionne par trois, l’artiste, le public, le concert.

Entretien : Léonore Queffelec

Music for cello and piano, Aleksandr Khramouchin et Eliane Reyes Etcetera records distributed by Quintessence


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  • Emouvant. La musique, source d’echange et d’emotions, ne saurait être ramenée à un bruit. Elle se veut la rencontre des âmes de l’auditeur, de l’interprète et du compositeur.

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