Politique

La révolution démocratique iranienne : les enjeux


Septembre 2022 a vu le déclenchement d’une révolte sans précédent qui a secoué l’Iran et fait trembler les fondements de la dictature religieuse. Le meurtre de la jeune Mahsa Jina Amini, par la police des mœurs, a été l’étincelle qui a ravivé les flammes de la colère populaire contre l’oppression et l’humiliation des femmes, mais aussi des hommes, depuis tant d’années. Le peuple s’est soulevé contre l’absence de libertés, mais également en réaction à une situation économique désastreuse, malgré les vastes ressources naturelles du pays. Selon des économistes de l’intérieur, près de la moitié de la population iranienne vit en dessous du seuil de pauvreté. Au cours des quatre dernières décennies, près de huit millions d’Iraniens, la plupart éduqués, ont été contraints de quitter leur patrie. Le taux d’inflation frôle les 70%, le déficit budgétaire est supérieur à 50% et le taux de la population inactive du pays atteint les 59%. Cette situation économique du pays reflète, par ailleurs, la phase finale de la dictature religieuse dont le soutien social s’est réduit comme une peau de chagrin.

Près de 500 exécutions en 2023

Durant les mois de révoltes populaires, plus de sept cents personnes ont perdu la vie, victimes de la répression sanglante de l’Etat. Nombre d’entre eux étaient des adolescents, voire des enfants. Plus de 30 000 personnes ont été incarcérées dans des prisons où le viol et la torture sont le quotidien des détenus. Plusieurs manifestants arrêtés, issus de milieux modestes, ont été exécutés, comme le jeune Mohsen Chekari. D’autres ont été tués sous la torture ou mystérieusement morts juste après leur libération de prison, des suites d’empoisonnement ou d’autres moyens. Le cas le plus récent est celui de Javad Rouhi, 35 ans, condamné à être pendu trois fois, mort dans des conditions non élucidées en prison.

Selon les ONG internationales, près de 500 personnes ont été exécutées à travers le pays en 2023. L’Iran détient le triste record du plus grand nombre d’exécutions par habitant au monde.

Ce soulèvement a vu la participation de toutes les couches et secteurs de la société. Nombreux ont été les artistes, athlètes, étudiants, enseignants, universitaires et même écolières et écoliers descendus dans les rues pour appeler à la liberté et à la fin du régime islamiste. Dans la foulée, de nombreux artistes ont composé des chants révolutionnaires à la gloire du mouvement et les étudiants des universités ont apporté de la poésie et de la couleur à l’insurrection des cœurs et des esprits.

Soutien international au mouvement de changement

Ce soulèvement révolutionnaire qui a émergé au cœur du Moyen-Orient, avec pour devise l’instauration d’une république démocratique, a reçu un soutien massif de la part des politiques, artistes, penseurs, écrivains et parlementaires du monde entier, qui ont mesuré le courage des manifestants et le sens de leur engagement. La surprise a été grande puisque, durant des années, analystes et iranologues avaient répétés : il n’y aura pas d’autre révolution en Iran, sa jeunesse ne pense qu’à fuir le pays ou à composer avec quelques joies frivoles.

Selon les ONG internationales, près de 500 personnes ont été exécutées à travers le pays en 2023. L’Iran détient le triste record du plus grand nombre d’exécutions par habitant au monde.

De même que l’absence du soulèvement n’était pas signe de docilité du peuple iranien, l’apparence d’un affaissement de l’intensité de la révolte reste trompeuse. Tout d’abord, parce que les causes qui l’ont déclenchées restent vives. A l’occasion du premier anniversaire du mouvement, les Iraniens célèbreront d’une manière ou d’une autre, pour dire que rien ne sera comme avant. Il y a quelques jours, apparaissait également sur un mur au cœur de Téhéran : « Nous allons continuer ».

De nombreuses manifestations ont aussi lieu à l’étranger, dont la plus importante s’est déroulée le 15 septembre à Bruxelles.

AFP

Une manifestation en Allemagne lors de la journée internationale de la femme, le 8 mars 2023. (Photo par John MACDOUGALL / AFP)

Fragilisé, le régime des Mollahs renforce la répression

Le régime prend ces menaces qui se multiplient très au sérieux, la preuve en est dans les mesures prises ces derniers jours : arrestations et molestations d’anciens prisonniers politiques, arrestations des proches de victimes du soulèvement, caméras et vigils dans les cimetières, plaques métalliques et blindées autours des centres névralgiques et certaines universités, limogeages de professeurs d’universités jugés pas assez dociles, expulsion d’étudiants….

Devant l’ampleur de la répression, certains milieux ont cherché à imposer des pseudos solutions de rechange présentées autour de  l’héritier de l’ancien régime déchu. Devant l’échec de cette tentative et la déconfiture d’une union superficielle et anachronique, à défaut d’un projet politique réel, d’autres – et peut-être les mêmes -, ils ont tenté, dans la foulée, d’instiller l’idée que le mouvement révolutionnaire n’a pas de chance en Iran, en raison de l’échec de « l’opposition » à s’unir. Qu’en raison de l’absence d’une « alternative crédible », il n’y a pas de perspective de victoire sur la dictature.

Mobilisation du peuple iranien

Or, loin de ces querelles, le peuple iranien est très fermement uni dans sa volonté de liberté et de souveraineté populaire. Sur le terrain du combat révolutionnaire, on observe une solidarité considérable des forces démocratiques qui ont montré qu’elles sont prêtes à payer le prix inestimable de la liberté.

Les mesures prises ces derniers jours démontrent que le régime craint quelque chose d’énorme, dans les jours ou les mois qui viennent. La gronde populaire reste palpable pour deux raisons. D’abord, la crise socio-économique s’amplifie, ensuite la révolte n’a jamais cessé d’exister : les manifestations chaque vendredi à Zahedan dans le Sistan Baloutchistan, les révoltes à l’occasion des exécutions de manifestants, des Iraniennes qui refusent de porter le voile obligatoire malgré les risques, les affiches des symboles du régime – de Khomeiny au guide suprême Ali Khameneï – brulées, les sièges des milices bassidj et des Gardiens de la révolution chargés de la répression, ou les bâtiments des tribunaux religieux qui prononcent les peines de morts, ciblés par des jeunes téméraires.

Les mesures prises ces derniers jours démontrent que le régime craint quelque chose d’énorme, dans les jours ou les mois qui viennent.

Le pouvoir ressent l’existence d’une résistance organisée qui oriente le mécontentement vers le soulèvement à l’échelle nationale et ceci, malgré la cruauté de la répression. Sa colère est publiquement dirigée vers ce que l’on surnomme désormais les « unités de résistance ». Ces jeunes qui ont été les meneurs des manifestations sont aujourd’hui les acteurs d’une action plus déterminée et clandestine. Cette armée de l’ombre fait peur aux Pasdaran.

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Depuis un an, les manifestations se multiplient en Iran pour dénoncer le régime des Mollah tenu pour responsable de la mort de la jeune étudiante Mahsa Amini, décédée tragiquement le 16 septembre 2022 après son arrestation par la police des moeurs pour avoir mal porté son voile. (Photo AFP)

Briser le climat de terreur

Tenir tête à la machine de répression n’est pas une mince affaire dans un Etat tortionnaire. Comment déjouer la machine répressive et étendre le réseau des membres de la résistance active sur le terrain ?

L’enjeu pour tous ceux qui veulent se débarrasser des Mollahs est donc de trouver le moyen de renforcer les capacités d’action des unités de résistance.

Dans cette voie, la force organisée et incontournable sur le terrain est bien l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI), qui depuis plusieurs années a investi dans ces réseaux et versé du sang neuf dans les veines de la Résistance. L’objectif des unités de résistance est de briser le climat de terreur en mettant fin à la toute-puissance des Mollahs et montrer qu’on peut tenir tête à la tyrannie. Les actions mentionnées plus haut permettent aux militants de se préparer, de s’organiser et à terme, de réaliser le soulèvement final en canalisant la colère populaire vers les centres névralgiques du pouvoir moribond.

Dans cette voie, la force organisée et incontournable sur le terrain est bien l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran.

Malgré les nombreuses arrestations, les unités de résistance gagnent du terrain dans la plupart des provinces iraniennes. Les plus hautes autorités du régime mettent l’accent sur le « rôle principal » de l’OMPI dans le soulèvement récent en Iran à l’instar de Mohammad Bagher Ghalibaf, président du Parlement.

Le régime a pourtant déployé un travail systématique pour diaboliser l’OMPI dans l’opinion à l’intérieur, comme à l’extérieur, pour rendre infréquentable, sa seule alternative crédible.

Mais force est de constater que ses efforts qui ont longtemps fait des ravages n’ont plus d’effet sur la jeunesse. Les regards sont tournés aujourd’hui en Iran vers ceux qui ont résisté dans les moments les plus difficiles. De plus, les appels pour une république démocratique et laïque, la fin de la peine de mort, l’égalité de genre, le respect des droits humains, l’autonomie des minorités longtemps persécutées… sont en phase avec les valeurs de cette jeunesse. Un tel mouvement représente, à leurs yeux, une alternative crédible.

Sara Nouri-Meshkati
Avocate au barreau de Paris et contributrice à la Fondation d’Etudes pour le Moyen-Orient (FEMO)


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