Allemagne: le gouvernement traque et interdit les mouvements néo-nazis
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Une trentaine de perquisitions dans 12 Etats ont été menées en Allemagne contre des activistes néo-nazis dans la nuit de mardi 26 septembre à mercredi 27. Elles ont été suivies, dans la matinée de ce mercredi, par l’annonce de l’interdiction du mouvement « Artegemeinschaft », un groupuscule « néo-paganiste » à l’idéologie confuse dominée par l’antisémitisme et le suprémacisme blanc. C’est la deuxième opération d’ampleur menée en quelques semaines par les autorités contre la mouvance néo-nazie. Celle-ci reste confidentielle, mais le gouvernement allemand, instruit par l’histoire du pays, n’entend pas la laisser se développer. D’autant qu’un parti tout à fait légal, l’AFD (Alternative für Deutschland), placé sous étroite surveillance par l’office Fédéral pour la protection de la constitution (BfV, le renseignement intérieur), a réussi, lui, une percée inattendue et compte aujourd’hui 78 députés au niveau fédéral (sur 736 députés), 9 parlementaire européens (sur 96 députés allemands) et 233 députés régionaux (sur 18.884 élus).
Le gouvernement allemand a interdit, ce mercredi 27 septembre, Artgemeinschaft, un groupe raciste d’extrême-droite connu, entre autres, pour son endoctrinement des enfants, alors que la police venait d’effectuer des dizaines de perquisitions au domicile de ses membres et dans les locaux où ils se réunissaient.
Certes, Artgemeinschaft, avec ses quelques 300 membres et sympathisants, n’avait qu’une audience confidentielle et ne représentait pas une menace existentielle pour l’ordre constitutionnel démocratique, mais il s’attelait à développer une petite galaxie d’organisations sectorielle tournées vers la jeunesse et la famille (« Gefaehrtschaften », « Gilden », « Freundeskreise », « Familienwerk E.V. »), empoisonnant les esprits avec son idéologie raciste.
Le communiqué de la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser (SPD) est d’ailleurs de la plus grande clarté : « Nous interdisons une association sectaire, profondément raciste et antisémite. Il s’agit d’un nouveau coup dur porté à l’extrémisme de droite et à (ceux) qui continuent de propager les idéologies nazies jusqu’à aujourd’hui ».
Une vieille organisation de plus de 70 ans
Artegemeinschaft était l’une des plus anciennes organisations de la sphère néo-nazie. Fondée en 1951par un ancien SS, Wilhelm Kusserow (à ne pas confondre avec un homonyme qui, lui, fut assassiné par les Nazis le 27 avril 1940, parce que, Témoin de Jéhovah, il refusait de se soumettre au régime et de porter les armes…), elle se voulait « néo-paganiste » et honorait, à la fois, les anciens dieux de la mythologie germanique, chers au cœur de Wagner (et, plus tard, du chef suprême de la SS, Heinrich Himmler) et les forces de la nature. En 1983, elle avait fusionné avec les « Nordungen », un groupe de même facture, mais beaucoup plus ancien (il avait vu le jour en 1924).
Nous interdisons une association sectaire, profondément raciste et antisémite. Il s’agit d’un nouveau coup dur porté à l’extrémisme de droite et à (ceux) qui continuent de propager les idéologies nazies jusqu’à aujourd’hui.
Mais derrière le folklore païen et un corpus « philosophique » embrouillé ou se mélangeaient les philosophes allemands du XIXème siècle (Schopenhauer, Nietzsche, von Hartmann et Feuerbach), Artgemeinschaft défendait une vision du monde d’une xénophobie et d’un antisémite purs et durs. L’organisation prêchait la « communauté raciale » de l’Allemagne. Conséquence logique, seules des personnes originaires du « Nord » pouvaient adhérer à l’association. S’il se voulait, essentiellement, un cercle de réflexion, le groupe attirait des sympathisants venus d’autres formations d’ultra droite et qui, eux, ne rechignaient pas devant l’action.
Des repris de justice comme membres
Stephan Ernst, l’assassin du politicien Walter Lübcke, un membre de la CDU d’Angela Merkel (tué le 2 juin 2019 par réaction à la politique « pro-immigrée de la Chancelière) était l’un de ses membres. L’avocat Jürgen Rieger, qui le dirigea, de 1989 à sa mort, le 29 octobre 2009 et par ailleurs vice-président du « Parti national-démocrate d’Allemagne » (Nationaldemokratische Partei Deutschlands ou NPD, d’idéologie néo-nazie, 3 000 membres, mais aucun élu), connu pour sa négation de l’Holocauste avait été condamné à plusieurs reprises, entre autres pour coups et blessures.
Fidèle aux lois nazies de défense de la « pureté raciale » (mais le groupe préférait éviter le mot « race » qu’il remplaçait par « espèce »), Artgemeinschaft expliquait à ses membres comment choisir un « bon partenaire » appartenant au « genre humain » d’Europe du Nord et d’Europe centrale afin de préserver leur « patrimoine génétique » et visait particulièrement jeunes et enfants par le biais de ses organisations satellites.
Deuxième interdiction en un mois
Début septembre, Berlin avait déjà interdit le groupe Hammerskins Germany, une émanation de la Hammerskins Nation, fondée à Dallas en 1988. Aux Etats-Unis, Hammerskins a pour activité principale la production et la promotion de musique pour la mouvance White Power et est considéré par l’organisation juive Anti-Defamation League comme le groupe de skinheads néo-nazis le mieux organisé du pays. Plusieurs de ses membres ont été impliqués dans des attaques violentes et d’autres crimes de haine, notamment la fusillade qui fit sept morts et quatre blessés, le 5 août 2012, dans un temple sikh du Wisconsin. Le groupe encourage d’ailleurs ses membres à s’enrôler dans les forces armées afin d’acquérir des compétences de combat en vue d’une prochaine guerre raciale.
La « maison mère » américaine de Hammerskin a essaimé dans le monde entier et se targue d’avoir des « chapitres » au Canada, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Sa branche allemande était en charge du développement de la mouvance en Europe et était réputée avoir une grande influence dans les milieux ultra du vieux continent.
Ici encore, on parle d’un groupuscule qui pouvait à peine revendiquer plus de 150 membres dans toute l’Allemagne. Mais, grand organisateur de concerts, Hammerskins comptait sur ce vecteur ludique pour attirer et radicaliser les jeunes.
Lors de la dissolution du groupe début septembre, la ministre Nancy Faeser déclarait que « L’extrémisme de droite reste la plus grande menace extrémiste pour l’ordre démocratique fondamental en Allemagne ».
Le vrai danger, c’est l’AFD
Mais ces groupes, s’ils sont dangereux et doivent être combattus, ne sont probablement pas le plus grand danger venu de l’ultra droite pour la démocratie allemande.
Il en va tout autrement de l’AFD (Alternative für Deutschland ou Alternative pour l’Allemagne). A l’opposé des mouvements néo-nazis, l’AFD n’est pas une organisation de marginaux et de laissés pour compte, mais bien un parti de notables, créé au printemps 2013, entre autres par des enseignants en économie (ce qui lui a valu le surnom de « parti des professeurs), de hauts fonctionnaires et des anciens cadres de la CDU. Ils prétendaient réagir à la crise de la dette mais est rapidement passé d’un classique euro-septicisme populiste à des thèmes plus marqués, entre autres l’opposition à l’immigration.
Son président lui-même, Jörg Meuthen, a claqué la porte en janvier 2022, accusant l’AFD de développer une idéologie totalitaire et de s’opposer à l’ordre constitutionnel démocratique.
En 2013, six mois à peine après sa naissance, l’AFD échoue de peu à entrer au Bundestag avec ses 4,7% des suffrages et ses deux millions de voix. Mais l’essai est transformé quatre ans plus tard et le parti crée la surprise en faisant élire 94 députés avec ses près de 6 millions de voix. Il s’est certes un peu tassé en 2021 (4,8 millions de votes et 83 élus), mais reste, de très loin, le parti dominant de l’extrême droite allemande depuis que ses éléments les plus modérés ont quitté sa direction. Son président lui-même, Jörg Meuthen, a claqué la porte en janvier 2022, accusant l’AFD de développer une idéologie totalitaire et de s’opposer à l’ordre constitutionnel démocratique.
C’est également l’avis des autorités : le BfV (renseignement intérieur allemand) a été autorisé en 2022, après une longue bataille juridique, à placer le parti sous surveillance. Il a, depuis, continué sa longue glissade vers l’ultra-droite et cultive une rhétorique dangereuse et quasi-révisionniste sur la mémoire de l’Allemagne, mettant par exemple en avant les victimes des bombardements anglo-américains de 40-45 face à celles du régime nazi.
La question est désormais de savoir si son électorat lui en tiendra rigueur où s’il recommencera à progresser. Les élections européennes du printemps 2024 devaient apporter un début de réponse à cette question, vitale pour l’avenir de l’Allemagne. Et, sans doute, de l’Europe.
Hugues Krasner