Réfugiés au Karabakh: des clés pour comprendre ce qu’il se passe actuellement
Le dépôt des armes par les séparatistes du Haut-Karabakh, il y a une semaine, a conduit à la chute de ce territoire (appelé Artsakh par les Arméniens). Il est repassé entre les mains de l’Azerbaïdjan, après trente ans d’occupation. Alors que la déclaration tripartite signée sous égide russe en 2020 à l’issue de la seconde guerre du Karabakh, entre Bakou (Azerbaïdjan), Erevan (Arménie) et Moscou (Russie), prévoyait la paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie avec le règlement d’un certain nombre de points en suspens (tracé des frontières, démilitarisation, question du déminage, retour d’un certain nombre de réfugiés azerbaïdjanais expulsés à partir de 1988, statut de la minorité arménienne dans le Karabakh, connectivité entre les territoires, etc.). Mais la situation s’est aggravée en septembre 2022 avec un certain nombre de dérapages et de morts des deux côtés. La force d’interposition et de maintien de la paix russe est accusée par les deux parties de laisser-aller.
Depuis trois ans, la Russie était censée garantir la sécurité des populations, le contrôle des camions d’approvisionnement du territoire (Haut-Karabakh), et garantir la circulation des biens et des personnes. Pris par sa guerre en Ukraine, le président russe Vladimir Poutine a relâché la bride, et négligé le contrôle des armements qui continuaient de circuler entre l’Arménie et le Karabakh, provoquant l’ire de Bakou (Azerbaïdjan).
Avec les évènements de la semaine dernière, l’Azerbaïdjan a décidé de lancer une opération éclair pour venir à bout des séparatistes, très isolés et incapables de résister. C’est à nouveau l’intervention de la Russie qui a conduit à un cessez-le-feu, mais après la réédition des séparatistes, Bakou a pris ses marques sur ce morceau de territoire, que les Nations unies ont toujours reconnu sien depuis le début de l’occupation arménienne en 1988. Plusieurs résolutions onusiennes l’avaient même martelé à l’époque, dont la 884 du 12 novembre 1993.
Fuite de milliers d’Arméniens ou expulsion ?
La situation humaine sur place est confuse. En effet, par peur des forces azerbaïdjanaises, des milliers d’Arméniens du territoire ont déjà décidé de fuir pour retourner en Arménie. Environ 25 000 personnes, selon Erevan, se sont présentées à la frontière arménienne depuis une semaine. Beaucoup parlent d’expulsion, de nettoyage ethnique, voire de « génocide », mais le sort des 30 000 Arméniens qui résidaient sur le Karabakh (et non 120 000 comme tous les médias le répètent), étaient un des éléments clés des négociations depuis plusieurs jours entre Bakou et les représentants des séparatistes.
Il y a bien une volonté officielle de trouver une issue politique à la crise, même si la peur, dans une région marquée par la violence depuis des décennies, prime.
A la confusion actuelle, l’explosion d’un dépôt de carburant dans le Nagorny Karabakh, qui a fait plus de 200 blessés et 68 morts selon les séparatistes, n’a rien arrangé. Depuis trois ans, l’Azerbaïdjan reconstruit la partie du Karabakh qu’il a récupéré à la faveur de la guerre de 2020 et fait revenir petit à petit ses réfugiés. Il y a dans le pays, et notamment à Bakou, des Arméniens qui continuent de vivre dans le pays sans que leur vie soit menacée. Les autorités azerbaïdjanaises assurent vouloir créer un statut à ces réfugiés qui, de facto, deviendraient azerbaïdjanais.
Récente réunion à Bruxelles
Alors qu’une réunion avait lieu à Bruxelles le 26 septembre dernier entre les représentants des deux parties, des aides d’urgence extérieures étaient en cours d’acheminement vers ces populations dans le désarroi. Prises entre le marteau et l’enclume, d’un côté les séparatistes qui sont en train petit à petit de faire leur deuil de ce territoire occupé, et le Gouvernement arménien qui s’échine à essayer de parvenir à un accord de paix avec l’Azerbaïdjan depuis des mois, et Bakou qui se réinstalle, elles se sentent livrées à elles-mêmes et instrumentalisées. Pour beaucoup, il n’y a plus que le départ comme solution ultime.
Depuis plusieurs semaines, Erevan essayait de trouver une issue politique et se retournait contre la Russie en accusant son allié historique, Moscou, de ne pas suffisamment la soutenir. C’est pour cela que l’Arménie s’est rapprochée récemment des Etats-Unis qui tentent d’entrer de nouveau dans le jeu et d’apporter leur pierre à la paix qui sera très longue à établir.
Mais l’Union européenne, avec à la tête des négociations le président du Conseil européen, Charles Michel, espère bien encore permettre à Bruxelles de voir couronnés ses efforts entre les parties et de faire aboutir un accord final, qui apaiserait les relations entre les deux pays, mais protégerait dans un premier temps les populations prises en étau et les libéreraient des appétits politiques des uns et des autres.
Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)