Opinion. Quel rôle désormais pour l’Union européenne au Caucase-Sud ?
Dans une déclaration du 22 septembre dernier, le haut représentant pour l’Union européenne (UE), Joseph Borell, s’adressait à la tribune des Nations Unies en s’inquiétant de la situation au Karabakh et des Arméniens sur place. Depuis, il n’y a plus de république auto-proclamée du Karabakh, qui n’avait jamais été reconnue par aucun Etat, pas même l’Arménie, et près de 100 000 personnes ont quitté le territoire. Beaucoup de familles ont dû tout quitter du jour au lendemain, probablement trop bercés par les rêves de grandeur des séparatistes qui n’avaient plus les moyens de continuer à leur vendre une vie saine et sécurisée.
L’Europe a beaucoup tenté ces derniers mois, mais elle doit, comme l’a fait le président du Conseil européen, le Belge Charles Michel, jusque-là, traiter les deux parties à égal pour espérer tirer les fruits de négociations avec ce nouveau paramètre humain tragique. Ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra espérer parvenir à un accord final, qui pourrait à terme normaliser les relations entre les deux pays. Car un fait est acquis : le Karabakh a rebasculé dans le giron de l’Azerbaïdjan après 27 ans d’occupation illégale de l’Arménie et conformément au droit international.
Le Karabakh a rebasculé dans le giron de l’Azerbaïdjan après 27 ans d’occupation illégale de l’Arménie et conformément au droit international.
Acter une réalité légale
Au fond, l’Erevan s’est mise dans une situation diplomatique intenable depuis 30 ans pour garder, à tout prix, un territoire qui n’était pas le sien avec des populations prises en étau par des politiques suicidaires. Une fois passée l’émotion, l’Union européenne doit acter cette réalité légale et accompagner les deux pays à faire la paix, à construire l’avenir, et à dégager l’Arménie de son obsession pavlovienne du Karabakh pour protéger les populations arméniennes restées dans l’enclave. Mais le pays doit aussi subvenir enfin aussi aux besoins des Arméniens d’Arménie qui ont dû avaler des couleuvres pour soutenir les séparatistes, notamment en recevant le soutien de deux pays bannis de la communauté internationale : l’Iran et la Russie.
C’est avant tout dans son intérêt et un bon moyen pour l’Europe de contrer Moscou qui cherche encore à peser de nouveau dans sa zone d’influence, mais qui a été à la peine depuis le déclenchement de sa guerre contre l’Ukraine en février 2022. En effet, alors que la situation s’était dégradée violemment le 19 septembre dernier entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sur le terrain du Karabakh, le cessez-le-feu a pourtant été décroché par la Russie, accusée pourtant par les deux parties de ne pas respecter ses engagements depuis des mois.
Retour de la Russie ?
Le nouveau succès de Moscou qui revient dans le jeu, trois ans après la signature de l’accord tripartite de 2020, ne doit pas laisser à nouveau l’Union européenne sur le carreau : Bruxelles doit se réinvestir dès aujourd’hui, comme elle l’a fait pendant des mois en multipliant les rencontres entre le Président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, et le Premier ministre, Nikol Pachinian, pour parvenir à un accord final entre les deux pays le plus vite possible. Il faut sortir de la rancoeur et de la haine au plus vite. Ce qu’avait promis le président du Conseil européen, Charles Michel à la manœuvre, même si ce sera difficile et que les élections européennes à venir approchent à grand pas le fragilisant chaque jour un peu plus.
L’Arménie a compris qu’il était temps de prendre de la distance avec son allié historique (Russie).
Si les Etats-Unis essaient de peser de nouveau dans la région, la question de la place de la Russie est plus que posée une fois encore, et l’Arménie a compris qu’il était temps de prendre de la distance avec son allié historique (Russie). L’Occident ne pourra que saluer cet éloignement et ce rapprochement récent avec les Américains avec qui Erevan a déjà réalisé dernièrement plusieurs exercices militaires conjoints. Mais pourtant depuis des années, l’Arménie était arrimée à la Russie comme un oiseau posé confortablement sur un éléphant : le baiser de la mort.
Sanctionner l’Azerbaïdjan ?
Beaucoup ne voient rien à redire au fait que les deux plus gros alliés de l’Arménie sont historiquement la Russie et l’Iran. Cas de conscience il devrait y avoir, puisque les deux pays sont sous sanctions de la communauté internationale. Il est vrai qu’Erevan avait peu de choix politique, car peu de ressources et que l’occupation du Karabakh pendant 27 ans a coûté très cher à l’Arménie. Enclavée entre la Turquie, la Géorgie, l’Azerbaïdjan et la Russie, elle ne dispose d’aucun accès à la mer. A Bruxelles, les dernières négociations de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, soutenues par l’Union européenne, devaient viser, depuis la signature de la déclaration tripartite sous égide russe du 10 novembre 2020, la démilitarisation progressive de la région, et en particulier de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan au Karabakh même. C’est désormais chose faite.
C’est là que l’Union européenne doit agir en toute objectivité : alors que l’Azerbaïdjan est un partenaire économique majeur de l’Europe, depuis que le gaz azéri compense une partie du gaz russe banni, il serait difficile de le sanctionner. Et au fond pour quelle raison ? Bakou a suivi le droit international en récupérant son dû, mais il faut protéger les populations qui retournent en Arménie.
Les frontières de 1991 rétablies ?
Ces personnes sont-elles parties menacées par les Azerbaïdjanais, ou bien de leur propre gré ou encore encouragées par les séparatistes? L’histoire le dira. Faudrait-il sanctionner alors l’Arménie pour sa coopération accrue avec le régime de Moscou depuis la guerre en Ukraine ? Bien sûr, personne n’émettra même l’idée. Mais il faut donc être juste : faire tabula rasa des haines et des reproches pour construire les prochaines étapes du dialogue entre les deux pays qui sont revenus globalement dans leurs frontières de 1991.
Il faut surtout sortir d’urgence l’Arménie de l’ornière : sa situation politique instable comme sa situation économique dramatique l’ont propulsée dans les bras de Moscou et de Téhéran.
Il faut surtout sortir d’urgence l’Arménie de l’ornière : sa situation politique instable comme sa situation économique dramatique l’ont propulsée dans les bras de Moscou et de Téhéran. Par ailleurs, il lui faut gérer maintenant l’afflux de réfugiés et le retour des soldats et de leurs familles du Karabakh.
Plutôt qu’entretenir Erevan dans le rêve illusoire d’un Karabakh arménien, dont elle n’a eu au fond ni les moyens, ni les fondements juridiques pour elle, il aurait fallu aider plus tôt l’Arménie à se débarrasser enfin de ses démons et se réinscrire dans une dynamique régionale économique positive. L’Europe l’a promis depuis longtemps : elle apportera son soutien également au désenclavement de la région et au rétablissement des routes et des voies de chemin de fer pour faciliter le transport et la circulation des biens et des personnes. C’est de ça dont a besoin l’Arménie pour ravaler sa rancœur.
Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm).