MEURTRE D'UN ENSEIGNANT

Terrorisme : après l’attaque du lycée d’Arras, la France passe en « Urgence Attentat »

Belga

La France a été saisie d’effroi, ce vendredi peu avant midi quand est tombée la nouvelle de l’attaque terroriste meurtrière qui a coûté la vie à un enseignant, dans un Lycée d’Arras, et gravement blessé deux autres membres de l’établissement. L’auteur des faits, un jeune russe d’origine Tchétchène – qui aurait dû être expulsé avec sa famille il y a une dizaine d’années -, était un ancien élève du Lycée Gambetta où il a sévit. C’était également un radicalisé connu et fiché  S qui faisait l’objet d’une surveillance des services de renseignement. On ignore encore si son acte est lié à la situation du Proche-Orient.

Il était onze heures du matin, ce vendredi, quand un jeune homme s’approche du Lycée Gambetta, à Arras (Pas-de-Calais). A la main, il porte un couteau. Dans la rue, il poignarde un premier homme qui a tenté de l’empêcher d’entrer dans les lieux. La victime s’effondre, touchée à la carotide.

L’agresseur pénètre alors dans les bâtiments, après avoir blessé un deuxième professeur. Arrivé dans la cour de récréation, il est bloqué par un agent technique et un troisième professeur qui tentent, courageusement, de l’arrêter. L’un des deux est blessé. Le terroriste, alors, hésite : il  se dirige vers la sortie de l’école puis revient sur ses pas et cherche à entrer dans l’une des ailes du lycée. C’est alors qu’il est maitrisé par la police, arrivée sur les lieux en moins de quatre minutes.

Fiché S (…), l’auteur des faits était aussi répertorié au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste

Quelque minutes, donc, pour un mort et deux blessés graves. Dominique Bernard, un professeur de lettres d’une cinquantaine d’années, est mort sur le trottoir, devant le Lycée, où il s’est vidé de son sang. Un autre, touché par plusieurs coups de couteau, en urgence absolue, dans un premier temps et une troisième victime se trouvait encore, vendredi soir, en urgence relative. Nous apprenons en rédigeant ces lignes, que ces deux victimes ne seraient plus en danger.

Une amie de Dominique Bernard, enseignante elle aussi, témoigne : « Nous avions créé ensemble l’université populaire du Nord-Pas-de-Calais à Arras, dans la continuité de l’université populaire de Caen de Michel Onfray… ».  Dominique Bernard, un homme, donc qui avait voué sa vie à l’éducation et à l’accès de tous à la culture.

Un radicalisé connu, fiché et placé sous surveillance

L’émotion est immense. Vers 12h20, l’Assemblée nationale suspend ses travaux, les parlementaires observeront une  minute de silence, plus tard dans l’après-midi. Le Président de la République, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et son collègue de l’Education nationale, Gabriel Attal, se rendent alors sur les lieux du drame, où ils s’entretiendront longuement avec élèves et personnel éducatif.

Quelques minutes plus tard, on apprend que le parquet anti-terroriste se saisit de l’enquête. Cette rapidité n’a rien de surprenant : l’auteur des faits était un radicalisé connu et fiché « S ». Une « fiche S » signale les individus connus pour représenter un risque possible pour la sûreté de l’Etat, et indique aux forces de l’ordre les mesures à prendre en cas de contrôle d’identité ou de passage d’une frontière. Il y a une vingtaine de milliers de noms dans ce fichier, militants extrémistes de tous bord, dont plusieurs milliers de « S14 », soit des membres ou sympathisants de la mouvance islamiste.
Plus inquiétant encore, il est également répertorié au FSPRT  (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste). Le FSPRT, c’est un peu moins de 10 000 suspects, susceptibles de commettre des actes terroristes ou d’y apporter leur concours. Environ 6000 d’entre eux font l’objet d’un « suivi actif » des services de renseignement. C’est le cas du tueur d’Arras depuis l’été dernier.

Mohammed Mogouchkov, qui a fréquenté le Lycée Gambetta, a laissé le souvenir d’un  élève «réservé, calme…vraiment un élève lambda.

Un élève réservé …

Qu’est-ce qui a entrainé cette mesure ? On l’ignore encore. A ses anciens professeurs, Mohammed Mogouchkov, qui a fréquenté le Lycée Gambetta, a laissé le souvenir d’un  élève «réservé, calme…vraiment un élève lambda

La réponse est sans doute à rechercher dans sa famille. Elle avait fait l’objet d’une tentative d’expulsion en 2014, mais des associations s’étaient mobilisées et l’avaient rendue impossible. Depuis, le frère ainé de Mogouchkov a été arrêté et condamné à deux reprises (en avril et en juin dernier) pour « participation à une entreprise terroriste ».

Depuis quelques mois, donc, Mohammed Mogouchkov faisait l’objet d’une attention renforcée de la DGSI (ici aussi, on en ignore la raison) : ses conversations téléphoniques étaient écoutées, ses communications électroniques interceptées et il était soumis à des surveillances physiques intermittentes. Celles-ci ne pouvaient, malheureusement, être permanentes. Pour exercer une surveillance H24, comme on les voit dans les films, il faut mobiliser au moins 25 à 30 fonctionnaires et plusieurs véhicules. Le seul nombre des extrémistes au profil inquiétant interdit donc la généralisation de cette mesure. La veille encore de son passage à l’acte, le jeune homme avait été interrogé par la police dans le cadre de son ciblage.

Quelle motivation pour le passage à l’acte ?

En plus de l’agresseur, sept autres personnes (essentiellement des membres de sa famille et de son entourage proche) étaient placés en garde-à-vue vendredi soir. Les interrogatoires (qui, en matière terroriste, peuvent durer 96 heures et même être prolongés de 24 heures selon les circonstances) permettront peut-être de déterminer ce qui a poussé Mogouchkov à passer à l’acte. Est-ce la situation au Proche-Orient ?

Ou alors a-t-il voulu répéter l’assassinat du professeur Samuel Paty ? Coïncidence troublante, Paty avait été égorgé le 16 octobre 2020, il y a presque trois ans jour pour jour. Comme Mogouchkov, le tueur de Paty (qui, lui, avait été abattu sur place par la police) était tchétchène et âgé d’une vingtaine d’années. Enfin, Samuel Paty enseignait l’histoire. Or, un professeur de philosophie qui s’est trouvé face-à-face avec le jeune homme raconte : « Il avait deux couteaux dans les mains. J’ai cherché […] à lui parler. Il s’est retourné vers moi et m’a dit “T’es prof d’histoire ? T’es prof d’histoire ?”».

il a été décidé que la France passerait immédiatement en alerte « Urgence Attentat» , mesure qui permet de mobiliser des moyens exceptionnels.

Le pays en alerte Urgence Attentat

D’après les premiers éléments qui nous sont revenus, la situation en Israël aurait pu être l’un des éléments déterminants de l’attentat.
Ce vendredi soir, Emmanuel Macron présidait un Conseil de sécurité, à l’Elysée. Autour de lui, la Première ministre Elisabeth Borne, les ministres de l’Intérieur Gérald Darmanin, de la Justice Eric Dupond-Moretti et de l’Education Gabriel Attal, le chef d’Etat-major des armées Thierry Burkhard, le coordinateur national du renseignement et de la lutte anti-terroriste Pascal Mailhos, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale Stéphane Bouillon, le patron de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) Bernard Emié, et celui de la sécurité intérieure (DGSI), Nicolas Lerner.

A la fin de cette réunion,  il a été décidé que la France passerait immédiatement en alerte « Urgence Attentat» , mesure qui permet de mobiliser des moyens exceptionnels. C’est plus que nécessaire. Depuis samedi et l’atroce attaque du Hamas, 12 personnes qui « se préparaient à passer à l’acte » ont été interpellées en France.

 

Hugues KRASNER