Le Qatar, un médiateur qui sera incontournable pour Israël et le Hamas


Deux semaines après l’attaque terrible que le Hamas a perpétré contre le sud d’Israël, faisant près de 1.300 morts côté israélien, Gaza a basculé comme jamais dans un cycle de violence extrême avec la riposte menée par l’Etat hébreu pour venger son peuple. Alors qu’est annoncée depuis plus d’une semaine, une opération terrestre d’envergure de l’armée israélienne sur le sol gazaoui, les bombardements auraient déjà fait 3.500 morts dans l’enclave. Même si le risque d’un embrasement régional est possible, avec l’engagement du Hezbollah sur le front nord, l’Iran à l’est, l’enclenchement de la violence en Cisjordanie, et la multiplication comme une traînée de poudre des manifestations pro-palestiniennes dans le monde arabe, il ne faut pas négliger le retour de la diplomatie qui sera la seule issue pour parvenir, dans un premier temps, à un cessez-le-feu afin de faire taire les armes et stopper la mort de milliers de civils. Le Hamas a libéré ce vendredi 20 octobre, deux otages américaines, Judith Ranaan (59 ans) et sa fille, Nathalie Shoshana Ranaan (17 ans), suite à une médiation du Qatar.

Si la Jordanie avait convoqué un sommet à Amman, avec la présence du président américain Joe Biden, le tropisme américain pro-israélien et le bombardement d’un hôpital à Gaza (probablement provoqué par un missile du Jihad islamique) ont eu raison de l’évènement de médiation. Pour autant, les Américains comme les Européens tentent encore de peser dans une région où ils sont allés d’échec en échec depuis des années. On ne signe pas une paix entre amis, mais bien entre ennemis. Et il n’y a aucune solution militaire à la situation de Gaza, des Palestiniens, et pour l’avenir et la sécurité d’Israël.

Dans un contexte géopolitique général où les grandes puissances occidentales sont de plus en plus marginalisées pour apporter la paix, ce sont surtout les puissances régionales qui reprennent la main.

Marginalisation des grandes puissances occidentales

Qui peut contribuer à faire cesser le bruit des armes pour remettre en selle la diplomatie au Moyen-Orient ? Dans un contexte géopolitique général où les grandes puissances occidentales sont de plus en plus marginalisées pour apporter la paix, comme les grandes organisations internationales censées faire respecter le droit international hélas, ce sont surtout les puissances régionales qui, depuis plusieurs années, reprennent la main sur leur zone d’influence ou mettent en avant leur talent de médiateur de paix pour peser dans le concert des nations en crise ou en guerre.

En ce qui concerne le conflit entre Israéliens et Palestiniens, les Etats-Unis qui n’ont eu de cesse, depuis des années, de se désengager des zones de conflit moyen-orientales, ne peuvent pas grand-chose, d’autant que le mandat de Joe Biden, dont la fin approche irrémédiablement, affaiblit encore plus sa capacité d’influence et d’action, si tant est que son administration en ait jamais eu ces trois dernières années. L’Union européenne, embourbée dans la crise ukrainienne, a perdu depuis longtemps sa capacité diplomatique et reste éternellement un nain politique dans la symphonie cacophonique des puissances mondiales. Ce sont donc les puissances régionales qui peuvent tirer leur épingle du jeu de par leurs relations avec les belligérants, mais parce que le multilatéralisme largement occidental est en crise profonde et dans l’impasse. Nous ne sommes plus les meilleurs, ni les bienvenus pour régler les différents en Orient.

Le Qatar en pole position

Le premier acteur qui peut compter est le Qatar. Depuis des années, Doha assure le financement des salaires des fonctionnaires à Gaza, en plein accord avec Israël, et parce que Tel Aviv sait deux choses : la première, c’est que le chaos à Gaza serait la pire des bombes humaines. La seconde, c’est que pour Israël, le Hamad est un moindre mal, car si le Jihad islamique ou Daesh prennent le pouvoir à Gaza, ce serait pire.

Au-delà du blocus imposé par Israël et l’Egypte depuis dix ans, la population de Gaza vit dans des conditions terribles, coupée du monde, mais au moins l’administration minimale fonctionnait pour les affaires courantes.

C’est ce soutien que Doha gérait en achetant de l’essence en Egypte, qu’il revendait à Gaza, et dont les bénéfices servaient à assurer le « management » de Gaza et apporter un soutien financier à la population gazaouie, parmi les plus pauvres au monde. Elle bénéficie de peu d’aide internationale contrairement aux Palestiniens de Cisjordanie. Chaque mois, le Qatar versait 30 millions d’euros à la bande de Gaza. On a dit dans les médias que Doha finançait les armes du Hamas, ce qui est faux. Une large partie vient de l’Iran.

AFP

Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s’adresse à la presse après avoir participé au Sommet international de la paix au Caire le 21 octobre 2023. (Photo par Khaled DESOUKI / AFP)

Le Qatar abrite les dirigeants du Hamas

Si ces millions de dollars versés par le Qatar servaient à payer les salaires des fonctionnaires, une partie était également distribuée en liquide directement aux Palestiniens dans le besoin. En février dernier, 100.000 familles ont reçu chacune 100 dollars. Cette distribution se faisait toujours avec l’accord tacite d’Israël, qui considérait pourtant déjà bien et à juste titre le Hamas au pouvoir à Gaza comme une organisation terroriste. Mais au fond, l’État hébreu est pragmatique et en permettant ce financement achetait la paix sociale dans la bande de Gaza et surtout laisse l’émirat gazier mettre la main à la poche à sa place.

Il est vrai que le Qatar accueille depuis des années les leaders du Hamas, à commencer par Khaled Meechal, ancien chef du mouvement, comme Ismaël Haniyeh, le chef du bureau politique du Hamas, comme il l’a fait aussi avec les dirigeants des Talibans. Au moment du retrait américain de Kaboul en 2021, le Qatar a joué un rôle clé dans les rounds de négociation pour essayer de parvenir à un accord avec le mouvement islamiste. Il en sera de même avec les dirigeants du Hamas pour négocier directement depuis Doha la libération des otages israéliens dans la bande de Gaza. Pourquoi le Qatar, qui accueille la plus grande base américaine hors sol des Etats-Unis, jouerait-il contre son allié ? On oublie en réalité de dire que c’est Washington qui a demandé, il y a de nombreuses années, d’accueillir des dirigeants « problématiques » à Doha, afin que le Qatar serve d’intermédiaire, car les Américains refusent de négocier directement avec des terroristes et des islamistes. Doha a accepté ce rôle. Il ne faudrait pas que ça se retourne contre lui.

L’Egypte et la Turquie peuvent aussi jouer un rôle

Traditionnellement, l’Égypte qui est en paix avec Israël depuis 1977 et les accords de Camp David, est toujours parvenue ces dernières années, depuis l’arrivée du Président Sissi, à négocier une pause dans les hostilités entre Israël et Gaza. Elle est aujourd’hui sous pression pour ouvrir sa frontière avec Gaza et accueillir temporairement les civils palestiniens dans le Sinaï. Les relations du Caire avec le mouvement du Hamas sont cordiales et permettent de rapprocher à chaque fois les points de vue avec Tel Aviv. La sécurisation du Sinaï depuis 2013 a rassuré Israël et le président Sissi ne tient pas à en refaire une zone à risque en accueillant les Palestiniens.

Le Qatar accueille depuis des années les leaders du Hamas, à commencer par Khaled Meechal, ancien chef du mouvement, comme Ismaël Haniyeh, le chef du bureau politique du Hamas, comme il l’a fait aussi avec les dirigeants des Talibans.

La Turquie d’Erdogan a un rapport de confiance et d’influence tout désigné avec le Hamas, par l’affiliation idéologique frériste qui les unit, même si Ankara, qui s’est réconcilié, il y a quelques temps avec Tel Aviv, n’a pas le même projet de destruction de l’Etat hébreu. C’est ça qui peut lui permettre de jouer un rôle de relais des revendications des uns et des autres pour conduire à un arrêt des hostilités.

Pas d’Etat palestinien de sitôt

Là où l’Egypte joue déjà, dans le cas de la guerre actuelle à Gaza, à plein son rôle pour l’arrêt des hostilités, le Qatar a, dès le premier jour, entamé des négociations avec le Hamas pour libérer les otages que le mouvement islamiste détient depuis l’attaque. C’est la première fois que l’organisation terroriste détient plus de 200 israéliens, des soldats, mais aussi des civils, et il compte bien s’en servir comme monnaie d’échange avec Israël, au moins pour se maintenir encore au pouvoir ou obtenir la libération de prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes.

Dans une semaine, un mois, un an, il n’y aura toujours pas d’Etat palestinien, ni d’arrêt de la colonisation des territoires palestiniens par les colons, ni de retour à une certaine modération d’un gouvernement israélien plus extrême que jamais, encore moins d’alternative pleine d’espoir dans le camp palestinien. Mais il y aura un arrêt de la violence et un retour au « statu quo ». Car c’est de l’intérêt de tout le monde : Israël qui gère la question palestinienne ainsi depuis des années, et l’Autorité palestinienne affaiblie, voire effondrée, face aux extrémistes palestiniens, qui n’a plus rien à proposer à sa population pour apporter la paix. Alors, on repartira comme en 14 dans un quotidien fait de frustration, de souffrance, la violence, mais les morts en moins. Jusqu’à la prochaine crise. Israël et Gaza, ce sont des relations en dents de scie, les montagnes russes, mais depuis le désengagement de 2005 par Israël, personne dans l’Etat hébreu n’est prêt à réinvestir le territoire pour en reprendre le contrôle dans une guerre fratricide qui apporterait encore son lot de morts et de sang. Un cessez-le-feu, c’est la solution la moins inconfortable pour Tel Aviv. Pas la solution idéale mais la moins pire pour garantir la sécurité des Israéliens pour un temps.

Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm).


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