GUERRE ISRAELO-PALESTINIEN

Opinion. Désoccidentalisation du monde : la page se tourne pour les Occidentaux au Moyen-Orient

Des gens marchent près d'une maison détruite lors d'une frappe israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 novembre 2023, alors que les combats se poursuivent entre Israël et le groupe militant palestinien Hamas. AFP

Nous fêtons cette année les 75 ans de l’État hébreu. Il y aurait sûrement mieux comme célébration que le retour de la guerre telle que nous la connaissons depuis plus d’un mois. Le pogrom perpétré par le Hamas le 7 octobre dernier contre le pays, et la riposte israélienne qui a suivi (elle a, à ce jour, fait plus de 7.000 morts côté palestinien), nous montrent, plus que jamais, qu’aucune solution militaire n’a conduit à ce jour à la paix. Pire : la radicalisation du paysage politique israélien affronte désormais l’islamisation de la question palestinienne, dans une impasse politique totale, laissant présager des années à venir très douloureuses pour les deux sociétés si une désescalade ne survient pas rapidement pour relancer les négociations pour aboutir à une paix juste et durable. Cela signifie une paix juste et durable pour les deux sociétés : la sécurité pour Israël, et un Etat pour les Palestiniens. Sans cela, tous ces morts ne serviront encore une fois à rien. Cette guerre doit conduire rapidement à la prise de responsabilité à la fois des gouvernements israélien et palestinien, avec un appui international indispensable, pour éviter qu’à nouveau dans trois ans, de nouveaux morts s’ajoutent aux anciens.

Depuis 1947, la création de l’Etat d’Israël n’a jamais pu voir aboutir la création d’un Etat palestinien à ses côtés comme le plan de partage du 29 novembre des Nations Unies l’avait prévu. En plus de sept décennies, alors que le territoire palestinien est devenu peau de chagrin, le territoire israélien n’a eu de cesse de s’étendre au-delà des frontières prévues par les Nations Unies, et bien au-delà de l’entendement pour qu’un Etat palestinien continu, contigu, et viable puisse voir le jour. Aujourd’hui, le non-respect de dizaines de résolutions des Nations Unies par l’Etat hébreu, comme la colonisation des territoires palestiniens, a montré et montre encore à quel point le multilatéralisme est affaibli plus que jamais.

Les nouvelles puissances orientales n’auront peut-être pas forcément le même intérêt dans la région.

 Rôle de la Russie et de la Chine

Ce système international issu de la fin de la Seconde guerre mondiale, au nom du « plus jamais ça », a vécu. Il a été créé largement par les Occidentaux pour les Occidentaux et doit être réformé d’urgence pour intégrer les nouvelles diplomaties qui comptent sur la planète. Informellement, le soutien des Etats-Unis, comme il l’a été avec Israël pourrait se compliquer dans les années à venir. Les nouvelles puissances orientales n’auront peut-être pas forcément le même intérêt dans la région.

La Russie, déjà présente en Syrie ennemie, et la Chine jouent, elles, un rôle majeur de blocage au Conseil de Sécurité des Nations Unies des projets occidentaux pour la planète. C’est une réalité. Depuis que Washington soutient indéfectiblement Tel Aviv, c’est-à-dire depuis le début, aucune solution politique pro-américaine n’a permis dans le même temps, depuis les accords d’Oslo de 1993, de conduire à la seule solution qui permettrait la paix : l’édification d’un Etat palestinien.

Quand vous échouez durablement dans une tâche, on finit par vous écarter. Aujourd’hui, l’Amérique ne gagne plus une guerre et n’apporte plus une paix.

Quand vous échouez durablement dans une tâche, on finit par vous écarter. Aujourd’hui, l’Amérique ne gagne plus une guerre et n’apporte plus une paix. Il suffit de lister quelques terrains dramatiques où Washington s’est cassé les dents pour le comprendre : le Vietnam, la Somalie, l’Irak, l’Afghanistan, etc.  Pourquoi les Américains seraient-ils à nouveau le seul espoir des Israéliens et des Palestiniens ?

Echec des acteurs occidentaux traditionnels

A son arrivée à la Maison Blanche, Barack Obama avait enclenché une partie du retrait des Etats-Unis de ces terrains de guerre sans fin, à commencer par l’Irak. Joe Biden, qui a réalisé, lui, dans le chaos celui d’Afghanistan en 2021, tente de revenir dans le jeu entre Israël et les Palestiniens. Mais aujourd’hui, tout semble incontrôlable : le soutien total de Washington à l’offensive israélienne à Gaza, le refus d’appeler clairement au cessez-le-feu, le met en délicatesse pour jouer à nouveau le rôle de médiateur ; la reconnaissance de Netanyahou d’avoir délibérément renforcé le Hamas pour affaiblir l’Autorité palestinienne et un Mahmoud Abbas, considéré comme un « collaborateur » des Israéliens en matière de sécurité, n’ont apporté que plus d’incompréhension et de drames.

Les acteurs occidentaux traditionnels ont montré avec le temps leur impuissance à parvenir à ficeler un accord de paix définitif.

Les acteurs occidentaux traditionnels ont montré avec le temps leur impuissance à parvenir à ficeler un accord de paix définitif : il faut ajouter le passif historique, une arrogance mal perçue de l’autre côté de la planète, les échecs patentés de l’Europe comme des Etats-Unis sur de nombreux terrains de guerre, l’exportation de la démocratie et la lutte contre le terrorisme qui sonnent comme des postures clairement « impérialistes ». Tout cela jouera hélas contre Israël dans ce monde de plus en plus orientalisé.

Le Sud Global, emporté par de grandes puissances mondiales comme la Chine (qui a signé la « réconciliation » entre l’Iran et l’Arabie Saoudite a surpris son monde cette année), la Russie et le Brésil, pourrait avoir une carte à jouer un jour, qu’on le veuille ou pas. Les pays du Moyen-Orient aussi pour gérer les crises de leur propre région : le Qatar, l’Egypte, les Emirats arabes unis et la Turquie notamment. Sur la question israélo-palestinienne, il risque d’y avoir l’émergence de nouveaux acteurs vierges qui pourront attirer la confiance des parties face à des Etats-Unis qui tentent encore d’avoir prise. Ou des acteurs qui au-delà de leur agenda, auront à offrir de sérieux gages pour faire passer « leur » paix.

Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur en géopolitique, enseignant en relations internationales á l’IHECS (Bruxelles), collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm)