OPINION SUR LE SOMMET A DUBAI

COP28 à Dubaï : la face blanche et noire des Emirats arabes unis

Les dirigeants et délégués du monde entier partent après avoir posé pour une photo de famille lors du sommet des Nations Unies sur le climat COP28 à Dubaï le 1er décembre 2023, deuxième jour du sommet. AFP

Depuis ce jeudi 30 novembre, les Emirats arabes unis (EAU) accueillent la COP28, le nouveau barnum écologique planétaire, afin de tenter de poursuivre les règles mises en place depuis des années notamment lors de l’Accord de Paris afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, et également minimiser l’impact de l’action de l’homme sur l’environnement et la terre. Après la COP27 qui s’était tenu l’année dernière à Sharm-el-Sheikh en Egypte, c’est au tour d’un nouveau pays directement impacté par le réchauffement climatique d’accueillir la planète entière pour parler écologie. Dès le premier jour de la grande conférence, la présidence émiratie a obtenu une décision pour le moins controversée : l’indemnisation des pays les plus vulnérables face aux dégâts liés au réchauffement climatique.

Si les COP, les « Conferences of Parties », se réunissent depuis 1995 à la suite du Sommet de Berlin pour envisager la lutte commune contre le réchauffement climatique, beaucoup doutent de plus en plus de la possibilité d’y parvenir concrètement au vu des enjeux complexes auxquels ils sont confrontés. Rivalités géopolitiques, guerres régionales, différentiels de développement entre l’Occident et le reste du monde, freins venant de certains pays ultra-développés, coût de la lutte contre le changement : autant d’embûches et de visions parfois opposées des pays participants et qui compliquent la mise en place concrète de mesures acceptables par tous.

Quel chemin parcouru depuis le sommet de la Terre au Brésil

Pourtant lors du sommet de la Terre qui s’était tenu à Rio de Janeiro au Brésil en 1992, les espoirs et les attentes étaient nombreux : à l’époque près de 178 pays se retrouvèrent dans ce pays d’Amérique latine dans le cadre de la réunion de l’ONU qui se tenait à l’époque tous les dix ans. La convention climat était née et depuis, chaque année, dès 1995 à Berlin, le monde entier se rencontre dans le cadre de la « conférence des parties » (COP). Il faudra attendre 1997 à Kyoto au Japon, pour voir la naissance inédite et historique d’un premier protocole contraignant afin d’encadrer les émissions de CO2 des Etats membres.

La Conférence de Dubaï, qui se tient donc du 30 novembre au 12 décembre prochain, peut paraître incongrue.

En 2015, Paris amorcera un virage : prolongeant l’accord de Kyoto, l’accord de Paris réitèrera une grande partie des mesures contraignantes de l’ancien accord. Dans ce cadre, l’objectif ambitieux était de bloquer la hausse du réchauffement climatique en 2100 à seulement 3,5%.

Incongruité hypocrisie de Dubaï ?

La Conférence de Dubaï, qui se tient donc du 30 novembre au 12 décembre prochain, peut paraître incongrue. Beaucoup critiquent la pollution et le mode consumériste excessif des Émiratis. La désignation de Sultan Al Jaber, comme grand patron de la grand-messe, a vite interpellé : ministre de l’Industrie émirati, mais également à la tête de la première compagnie pétrolière du pays, Al Jaber a également créé un groupe d’investissement sur les énergies renouvelables, Masdar. Par ailleurs, Dès le premier jour de la grande conférence, la présidence émiratie a obtenu une décision pour le moins controversée : l’indemnisation des pays les plus vulnérables face aux dégâts liés au réchauffement climatique.

Il est facile d’accuser les Emiratis, comme ce fut le cas des Qataris au moment de la Coupe du Monde en 2022, d’être responsables du réchauffement climatique.

Tout cela paraîtrait bien hypocrite. Pourtant, il est facile d’accuser les Emiratis, comme ce fut le cas des Qataris au moment de la Coupe du Monde en 2022, d’être responsables du réchauffement climatique. Ces poussières géographiques et géopolitiques ne représentent pas plus de 20 millions d’individus dans deux pays directement concernés par le réchauffement. Le gros du gaz qu’ils produisent est à destination des Occidentaux, à commencer par les Européens. Quant à la climatisation qui fonctionne à fond sur place, on se demande bien comment on ferait, nous, sans, dans les quelques petites périodes de canicule que nous traversons déjà en été en Europe ? Les pays du Golfe vivent 10 mois sur 12 avec des températures extérieures de plus de 30 degrés.

Réalisme et pragmatisme des Emirats

Alors, on accuse Al Jaber de faire du « green washing » en promouvant les énergies vertes. Pire de profiter de la COP28 pour déjà revendre davantage de gaz aux dirigeants du monde entier sur place au détriment de ses concurrents régionaux. En réalité, il a compris, comme les Qataris, que l’or noir n’était pas inépuisable. D’ici 2050, les réserves de pétrole et de gaz risquent bien de se tarir et il est urgent d’envisager l’après énergies fossiles, tout comme de profiter de la situation géographique du Golfe pour exploiter les sources d’énergie naturelle : soleil et mer en tête.

Doit-on croire en le désintérêt total pour autant des Emirats de se proposer comme hôte de la COP28 et de vraiment croire en l’écologie ?

Doit-on croire en le désintérêt total pour autant des Emirats de se proposer comme hôte de la COP28 et de vraiment croire en l’écologie ? On peut en douter en effet, comme beaucoup de parties de la conférence d’ailleurs. Les Etats-Unis ne sont pas les meilleurs élèves avec leur gaz de schiste, pas plus que les Allemands qui, depuis qu’ils ont perdu le gaz russe, ont relancé à fond leurs centrales à charbon. Dubaï, comme Abu Dhabi, ont un intérêt bien plus important à décrocher l’accueil de la COP28 : avoir les projecteurs braqués sur la confédération, attirer les Occidentaux sur leur terrain du moment, s’inscrire durablement sur l’échiquier géopolitique des grands enjeux politiques du multilatéralisme.

Double facette des Emirats

On peut aussi leur prêter l’intention de pousser leur agenda éco-friendly pour mieux masquer leur politique erratique en matière financière (blanchiment d’argent), politique (accueil des Russes sous sanctions et des anciens dirigeants corrompus d’Etats comme l’Afghanistan, détournement des sanctions imposées à la Syrie), stratégiques (guerres menées contre les pays en voie de démocratisation depuis les Printemps arabes pour remettre en place des dictateurs du Maghreb au Moyen Orient tout en poussant à la normalisation et au retour du régime de Bachar al Assad sur la scène internationale), humanitaire (appel à des mercenaires pour combattre sur de nombreux terrains de guerre, mener des guerres perdues d’avance comme au Yémen et avant de s’en dégager après 400 000 morts depuis 2015), etc.

Les Emirats ont cette double facette caractéristique d’une pure realpolitik qui doit servir les intérêts émiratis avant tout.

Les Emirats ont cette double facette caractéristique d’une pure realpolitik qui doit servir les intérêts émiratis avant tout : une ville de Dubaï tout sauf écologique où on peut se baigner et skier dans la même journée, et être  le phare de la lutte contre le réchauffement climatique pendant quinze jours.

Un pays qui attire des millions de touristes dans le luxe, la luxure et le lucre, mais qui ne s’est jamais autant raidi politiquement depuis des années contre ses opposants et les pays de la région qui ne prennent pas le même chemin politique et n’optent pas pour un destin autoritaire. Cela en dit long sur notre rapport à certains pays du Golfe, mais également sur notre véritable détermination à vouloir s’absoudre de nos pêchés passés en matière d’écologie.

Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur en géopolitique, enseignant en relations internationales á l’IHECS (Bruxelles), collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm)