Jacques Delors : la mort d’un véritable Européen de cœur
C’est à un âge quasi canonique que vient de nous quitter l’homme politique français et ancien président de la Commission européenne, Jacques Delors. Né en 1925, le père également de la maire de Lille, Martine Aubry, s’est éteint à 98 ans. Authentique socialiste, dans un monde où les frontières politiques se sont de plus en plus effacées, il s’était jeté dans le grand bain européen et avait incarné l’âge d’or des institutions communautaires, alors que l’Union européenne a connu depuis de nombreuses crises politiques, identitaires et institutionnelles justement.
C’était un homme du changement, de ceux qui veulent construire et participer à l’histoire. Pour beaucoup, au-delà des pères traditionnels de l’Europe, parmi Konrad Adenauer, Robert Schuman, Paul-Henri Spaak, ou Alcide de Gasperi, Jacques Delors était aussi un fondateur. Et notamment de la construction de l’union monétaire qui allait mener à la naissance de l’Euro.
Autodidacte en politique
Formé en droit à Paris, autodidacte en politique, chrétien démocrate, il parviendra à la tête de la Commission européenne en 1985. Entre temps, il avait été maire de Clichy, député européen, mais seulement durant deux petites années avant de rejoindre le gouvernement de Pierre Mauroy, suite à l’élection de François Mitterrand en France. En effet, il se retrouve propulsé ministre de l’Economie et des Finances, où il restera en poste jusqu’à son élection à la Commission européenne.
De là, il acquerra petit à petit son surnom d’architecte de l’Union européenne contemporaine. Il passera dix ans à la tête de l’institution avant d’hésiter à se présenter à l’élection présidentielle française face à Jacques Chirac. Mais indécis, il y renoncera et finira par avouer à la fin de sa vie qu’il en avait gardé quelques remords. Il était alors favori. Une longue histoire avec Chirac, puisqu’il avait déjà renoncé à l’affronter aux législatives de 1981 en Corrèze, où on y placera à l’époque un certain… François Hollande en remplacement.
Syndicaliste à l’origine
Syndicaliste à l’origine, Jacques Delors s’engage au début des années 1950 à la CFTC, le syndicat chrétien plutôt marqué par la droite chrétienne à l’époque. Il a alors 25 ans. Petit à petit, il se battra pour imposer les idées socialistes et écarter la dominante religieuse de l’organisation. Puis dans les années 1960, il va rejoindre le Conseil économique et social puis devient chargé de mission auprès du premier Ministre, Jacques Chaban-Delmas notamment pour la formation professionnelle et la promotion sociale. Il rejoindra par la suite la Banque de France, et enseignera la gestion à l’université.
Chantre de la rigueur de 1982, il étoffera son réseau dans le milieu économique international. Il lancera les grandes nationalisations, la dévaluation du franc, et défendra la rigueur pour que la France reste dans le Système monétaire européen. Il luttera avec acharnement contre l’inflation.
En 1984, on pense déjà à Delors pour devenir premier Ministre. Mais François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl ont d’autres visées pour lui : la Commission européenne. Il construit alors son programme : accélération de la logique de marché, soutien aux politiques industrielles et sociales, accélération de la politique régionale, renforcement du dialogue social européen.
Dérégulation des marchés
Responsable pour beaucoup de la dérégulation outre-mesure des marchés en Europe, il le justifie en expliquant à l’époque que le marché intérieur doit se faire pour être optimal avec une circulation totale des capitaux. C’est aussi ce qui fait qu’aujourd’hui, l’Union européenne est devenue, depuis lors, la première plateforme d’échanges économiques au monde au sein des 27.
Beaucoup de faits historiques pour l’Europe se seront déroulés sous sa présidence. Que ce soit les accords de Schengen, ou bien l’élargissement de l’Union avec l’intégration de l’Espagne et du Portugal, le programme Erasmus pour les étudiants, la fameuse réforme de la Politique Agricole Commune (PAC), ou bien encore de grands traités comme celui de Maastricht en 1992. Dès 1989, avec le fameux comité à son nom, Jacques Delors verra les étoiles s’aligner petit à petit pour que la monnaie unique se mette en place au sein de l’Union. Ce sera chose faite en le 1er janvier 2002 alors qu’il aura quitté la Commission.
Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm).