Israël/Ukraine : en route vers un échec géopolitique des Occidentaux en 2024 ?
Quand on parle de désoccidentalisation du monde, on voit le processus s’accélérer à grande vitesse depuis plusieurs mois. Les guerres soutenues par l’Occident ne mènent plus depuis longtemps à des victoires. L’exemple de la situation en Ukraine comme de celle entre Israël et Gaza qui monopolisent l’attention des opinions, des politiques et des médias, sont les deux avatars à venir d’un échec global géopolitique des Américains et des Européens à imposer leur agenda. On parle de plus en plus d’un échec de l’Ukraine et d’une impasse pour Israël et Gaza. L’année 2024 et le report potentiel des élections ukrainiennes, la tenue des élections européennes, américaines, russes et peut-être israéliennes, vont rebattre les cartes de la politique mondiale.
En Occident, la critique monte de plus en plus contre le soutien à l’Ukraine et Israël
C’est déjà le cas des Etats-Unis dont actuellement le soutien inconditionnel à l’Ukraine et Israël est remis en cause et sert de levier pour des affaires de politique interne. Ce phénomène est assez récent car il y a encore quelques mois et, alors que la possible réélection de l’ancien président Donald Trump n’était qu’un mirage, les Américains soutenaient encore massivement ce coût financier. Ce soutien politique, mais surtout financier, qui a couté très cher à Washington et également Bruxelles, est discuté comme jamais et même carrément remis en cause ; ce qui n’était pas le cas depuis bientôt deux ans pour l’Ukraine ou des décennies pour Israël.
Les Européens et les Américains ne pourront plus soutenir matériellement et indéfiniment l’Ukraine, ils vont devoir pousser le pays à s’asseoir à la table des négociations.
Désormais, les Occidentaux montrent au grand jour leur impuissance à régler des conflits, appuyés par des Nations Unies en déclin, mais ils sont désormais largement critiqués à l’intérieur par des populations qui ne veulent plus payer pour des guerres proxy lointaines ou des politiques qui ruinent les pays concernés. Les élections de 2024 (américaines et européennes surtout) vont montrer que les opinions occidentales veulent mettre un terme à cette gabegie financière. S’il est réélu, Trump remettra l’Amérique et les Américains au cœur des priorités de son mandat.
2024, un bouleversement électoral mondial
Les Occidentaux sont pris au piège de leurs élections et de l’impossibilité de mener une politique à long terme. Tous les quatre ou cinq ans, on repart à zéro. L’année 2024 fragilise les Occidentaux par le nombre de scrutins stratégiques ou le refus, pour certains, des élections.
Au-delà des guerres en cours ou de longue durée, notamment celle en Ukraine et celle à Gaza, plusieurs pays et institutions occidentales vont changer de tête et changer leur stratégie. Pendant que d’autres verront leurs dirigeants déjà en place être réélus et s’enraciner dans leurs convictions… C’est de plus en plus la faiblesse des démocraties : les politiques menées, aussi radicales et pro-occidentales soient-elles, sont limitées dans le temps et remises régulièrement en cause pendant que face à eux, des dirigeants s’inscrivent dans le temps long et n’ont que à attendre que la roue tourne. Elles sont confrontées à de nombreux régimes durables et stables.
Vladimir Poutine veut l’Ukraine même si cela doit prendre dix ans.
C’est le cas de Poutine qui sait que le changement plus que possible à la Maison blanche, plus les élections européennes, vont affaiblir le soutien à l’Ukraine et cela l’arrange autant que la guerre à Gaza qui a détourné l’attention des Occidentaux. Le Président russe vient d’annoncer sa candidature pour 2024 et souhaite gouverner jusque 2036. Critiquable ou pas selon les points de vue. En attendant, un ancien député européen, nous le confirme : c’est une force qu’à la Russie que n’ont ni les USA, ni l’Europe. Par ailleurs, une ancienne ambassadrice de France en Russie et aux Etats-Unis nous a confirmé une information importante : Poutine veut l’Ukraine même si cela doit prendre dix ans et il aura le temps. Aujourd’hui, les Européens et les Américains ne pourront plus soutenir matériellement et indéfiniment l’Ukraine, ils vont devoir pousser le pays à s’asseoir à la table des négociations.
Retour de Trump à la Maison Blanche
Un retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait calmer le sentiment anti-russe, mais également le soutien financier à l’Ukraine. La CIA pensait déjà en janvier que Moscou avait aidé celui-ci à être élu la première fois. Mike Johnson, l’actuel porte-parole de la chambre des Représentants, et fidèle à Trump est actuellement engagé dans un bras de fer politique et menace d’empêcher de voter les crédits à Israël et à l’Ukraine. Ce qui arrangerait la Russie qui s’est placée aussi du côté des Palestiniens.
Côté européen, les élections européennes à venir vont renforcer la place de l’extrême-droite. Comme nous le confie notre ancien député européen, les nouveaux élus défendent l’intégrité et contestent les anciennes élites qu’ils qualifient souvent de corrompues. Populistes, ces courants ne cessent de monter depuis vingt ans, et en général critiquent la soumission de l’Europe aux Etats-Unis. De plus, ces nouveaux élus sont plus proches de régimes plutôt autoritaires en Europe et en dehors d’ailleurs.
En 2024, il devrait théoriquement aussi avoir l’élection présidentielle en Ukraine. Mais le président ukrainien Volodymyr Zelensky a perdu en popularité et en plus des difficultés actuelles, il semble vouloir repousser l’élection pour son profit. Le plus populaire des représentants ukrainiens actuels est le général Valéry Zaloujny, qui pourrait potentiellement être le futur Président si l’élection est maintenue et si Zelensky finissait de lasser, par son embourbement et ses mensonges, ses créanciers essentiellement occidentaux.
A partir du moment où les Occidentaux diront stop, il n’y aura plus de valeureux combat ukrainien.
En Israël, plus la guerre dure, plus le mandat du Premier ministre Benjamin Netanyahou dure. Or, il est devenu très impopulaire et a ses affaires de corruption sur le dos. Il risque de sauter si la guerre prend fin rapidement. Et de nouvelles élections seront convoquées, provoquant ainsi des mois d’instabilité et fragilisant encore un peu plus l’Etat hébreu et son allié américain. C’est ce que craint un ancien ambassadeur d’Israël au cœur de l’UE : la démocratie israélienne va mal et la guerre est un bon moyen d’oublier tout cela. On ne peut pas perdre la guerre, dit-il, mais si on la gagne (cela veut dire détruire le Hamas, ce qui est loin d’être évident), Netanyahou ne sera pas remercié pour autant. Il est le grand responsable pour les Israéliens du drame du 7 octobre dernier.
L’Ukraine pourrait perdre le soutien occidental
On a voulu faire croire aux Occidentaux que la guerre ukrainienne contre la Russie serait rapide. Il n’y a, à ce jour, ni victoire, ni effondrement du régime de Moscou. Notre ancienne ambassadrice française aux USA et en Russie ajoute que le tabou est enfin levé : non seulement les opinions commencent à se lasser de ce conflit et du coût que supportent les Américains et les Européens pour une guerre dont on a voulu leur faire croire qu’elle était la leur ; mais aujourd’hui, dans les médias et chez certains spécialistes de la Russie comme l’ambassadrice, on sent un possible effondrement des Ukrainiens qui sont tenus artificiellement à bout de bras par les Occidentaux. Il y a encore trois mois, dire cela faisait passer les personnes pour des pro-Poutine. Ce n’est plus le cas.
A partir du moment où les Occidentaux diront stop, il n’y aura plus de valeureux combat ukrainien. Notre député européen trouvait le combat louable : on a dépensé beaucoup pour la contre-offensive ukrainienne et ça n’a pas marché. On a tout essayé, mais la Russie a largement résisté avec ses alliés. C’est assurément une forme de victoire du Sud Global qui se profile nous précise-t-il : l’arrogance occidentale et la certitude d’être les plus forts a joué contre nous.
Moyen-Orient : défiance grandissante vis-à-vis des Occidentaux et des Américains
Les cycles de retrait américain de l’Asie centrale et du Moyen-Orient ont été le point de départ du renforcement de la présence de la Chine en Afghanistan notamment, et de la Russie en Syrie. Alors que les USA soutiennent Israël, qui massacre des civils à Gaza, les opinions montent contre Tel Aviv et les grands pays du Sud Global se positionnent en faveur des Palestiniens. Qatar, Emirats arabes unis, Russie et Chine, cherchent à aboutir à un cessez-le-feu pour mettre fin au massacre des civils à Gaza, pendant que Washington oppose son veto aux Nations Unies à une trêve.
Il y a aujourd’hui un front du refus contre Israël et pour les Palestiniens qui fragilisent la position des Etats-Unis qui dans le futur seront de plus en plus isolés. Pendant ce temps-là, la Russie s’enracine au Moyen-Orient en en Syrie, grâce notamment à l’allié émirati qui a poussé à une normalisation des relations avec Bachar al Assad et à une réintroduction de la Syrie au sein de la Ligue arabe.
Proche d’Israël, Abu Dhabi attend son heure pour proposer ses solutions au règlement de la question israélo-palestinienne.
La visite de Poutine dans le Golfe dernièrement est la preuve de la force de la relation entre la Russie et les pays de la région d’autant qu’Abu Dhabi n’applique pas les sanctions contre Moscou. Proche d’Israël, Abu Dhabi attend son heure pour proposer ses solutions au règlement de la question israélo-palestinienne pendant que le Qatar gère comme il peut le Hamas. Moscou a poursuivi ses alliances avec un nombre croissant de pays arabes à l’occasion de la guerre à Gaza, et les Emiratis commencent à énerver Washington en n’appliquant pas les sanctions contre la Russie et la Syrie. Abu Dhabi, allié historique des Occidentaux, voit le monde changer et se rapprocher du Sud Global car il sait aussi qu’à terme Israël, sans le soutien des USA, sera en grand danger. Mohamed Ben Zayed, le président émirati, pourra alors se présenter comme médiateur quand les Occidentaux n’auront plus d’influence sur place.
Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS, associé au CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm)