Les raisons de la grogne sociale qui pénalise les activités de Brussels Airlines
Ce samedi 13 janvier 2024, Brussels Airlines est confrontée à une grève des pilotes et du personnel de cabine. Ces derniers sont soutenus par la CNE dans leurs revendications et leur action. Cette mobilisation souligne l’incapacité de la compagnie à résoudre les problèmes de fond qui alimentent la grogne sociale. Malgré des efforts pour éviter une grève en décembre, la tension sociale demeure tangible au sein de la filiale de Lufthansa. Lucia Lillo, déléguée syndicale CNE, rapporte qu’une réunion rapide, organisée le 19 décembre 2023 et censée aborder les questions de salaires, n’a conduit à aucune avancée significative. Ce manque de résultats tangibles n’a fait qu’exacerber le mécontentement général lié à la gestion des ressources humaines et aux pratiques managériales controversées. Cette situation met en évidence des défis importants en matière de communication interne et témoigne d’un climat social instable au sein de la compagnie aérienne. Les travailleurs dénoncent notamment l’absence d’un règlement de travail formel, favorisant des décisions arbitraires et dépourvues de fondement juridique. La direction est par ailleurs accusée de violation de la loi sur la déconnexion. Parallèlement, les techniciens sont également mécontents de leurs conditions de travail et commencent à donner de la voix. Par ailleurs, plusieurs cas de malaria ont été signalés dces deux dernières semaines parmi les membres d’équipage de la compagnie aérienne.
Délégué syndicale CNE, Lucia Lillo exprime son mécontentement et le malaise social qui règne chez Brussels Airlines. D’abord, elle critique la proposition du management de la compagnie aérienne demandant organisations syndicales de revenir le 15 janvier 2024 avec des propositions et d’autres idées. Car dit-elle, il revient à la direction de faire des propositions, puis aux représentants des travailleurs de venir avec des contre-propositions. Sa réflexion est d’autant plus pertinente que la direction a déjà refusé, par le passé, les propositions salariales émanant des syndicats. De plus, les représentants du personnel ont eu du mal à trouver du temps pour préparer cette réunion. « En tant que personnel navigant, concilier le travail et la préparation de la réunion est un défi », regrette la syndicaliste.
Le règne de l’arbitraire
La direction a refusé de leur accorder un délai pour leur permettre de préparer la réunion. En retour, les syndicats ont été invités à discuter de ces questions lors de la réunion intersyndicale. Lucia Lillo juge ce format inadapté et inefficace. « Avec autant de sujets à traiter, il est impossible d’aborder toutes les questions en seulement 4 heures », déplore-t-elle.
La direction applique des sanctions sans base légale, laissant les employés dans un état d’insécurité permanent.
Les travailleurs dénoncent les conditions de travail qui leur sont imposées. Soutenus par leurs syndicats respectifs, ils fustigent l’absence d’un règlement de travail formel chez Brussels Airlines, ce qui pose un problème sérieux. D’après eux, sans un cadre clairement défini, la direction prend souvent des décisions qui manquent de transparence et de fondement juridique. « La direction applique des sanctions sans base légale, laissant les employés dans un état d’insécurité permanent. Ce manque de réglementation claire engendre un climat d’incertitude et soulève des inquiétudes quant au respect des droits des travailleurs », nous a confié une déléguée syndicale.
Une autre source raconte l’histoire d’un steward licencié sur la base d’un rapport. « Le délégué syndical, appelé en urgence, s’est trouvé impuissant face à une décision de licenciement déjà prise », rapporte-t-elle. Le cas s’est aggravé lorsque le steward a dû faire face à un ultimatum : signer son document de licenciement ou être renvoyé pour faute grave.
Pour améliorer la situation, le syndicat a exigé la mise en place d’un règlement de travail. En réponse, la direction s’est engagée à lancer le processus, mais seulement après les élections sociales. « La rédaction d’un règlement de travail est essentielle pour clarifier les règles et garantir l’équité pour les employés », observe Lucia Lillo, déléguée syndicale CNE.
Une nouvelle direction sourde aux voix syndicales
Avec l’arrivée de la nouvelle direction allemande aux commandes de la compagnie, Brussels Airlines a connu un changement radical dans le dialogue social. Et visiblement, la situation n’évolue pas dans le bon sens, d’après les syndicats. « Nous sommes passés d’une atmosphère ouverte au dialogue et à la négociation à un environnement extrêmement rigide », décrit Lucia Lillo.
Cette rigueur a obligé les syndicats à déposer un préavis de grève : pendant sept jours, la direction n’a initié aucune communication avec le personnel, elle n’a renoué le contact que vers la fin du préavis de grève.
Nous sommes passés d’une atmosphère ouverte au dialogue et à la négociation à un environnement extrêmement rigide.
Certains comportements de la direction semblent être éloignés des préoccupations du personnel donnant l’impression d’un mépris. A titre d’exemple, en plein conflit social durant la semaine du 20 novembre 2023, le management s’est envolé pour un team building de quatre jours à Dakar (Sénégal). « Cela contraste fortement avec les pratiques plus modestes d’autres entreprises et survient dans un contexte où une communication urgente était nécessaire », déplore une source interne. Didier Lebbe, représentant permanant de la CNE, évoque l’époque de la direction pilotée par Bernard Gustin (CEO de Brussels Airlines de 2012 à 2018), caractérisée par un dialogue ouvert et une meilleure écoute.
Les travailleurs reprochent à la direction d’être déconnectée de la réalité du terrain. Ils citent l’exemple des compétences linguistiques du personnel. Contrairement aux affirmations de la nouvelle CEO, Dorothea von Boxberg (en poste depuis avril 2023), plusieurs membres du personnel ne maîtrisent pas les langues essentielles à la communication avec les passagers. « Nous avons des plaintes de passagers, et même du Président congolais, à propos d’un personnel qui ne parle pas correctement le français », témoigne une source proche du dossier.
Non-respect des Conventions collectives de travail
Un élément crucial ayant contribué au dépôt d’un préavis de grève est le non-respect par la direction des Conventions collectives de travail (CCT), en particulier celles liées au plan de carrière. Les postes de chef de cabine, traditionnellement occupés durant la haute saison avant que les employés ne retournent à leur fonction initiale pour l’hiver, ont toujours été accessibles après trois ans d’ancienneté. Il s’agit d’une pratique équitable et bien établie.
Mais la direction a récemment tenté de modifier la règle. « Il y a deux mois, parmi une centaine de candidats pour le poste de chef de cabine, seulement 40 candidats répondaient à la condition d’ancienneté de trois ans. Pour augmenter le nombre, le management a proposé de réduire l’ancienneté requise à un an, une suggestion que nous avons fermement rejetée », explique une source syndicale. La direction a imposé le changement malgré l’opposition de la délégation syndicale, forçant les syndicats à exiger le respect de l’accord initial sous la menace d’une grève. Sous la menace, la direction a finalement fait marche arrière pour revenir à la condition des 3 ans d’ancienneté. Mais elle envisage la possibilité de réduire l’ancienneté à un an.
Mauvaise interprétation des CCT
Ce changement unilatéral dans le plan de carrière a été perçu comme un sabotage des accords établis et a exacerbé les tensions existantes. « La direction n’a pas su gérer cette situation et tente de reporter la responsabilité sur les délégués syndicaux. Un poste de chef de cabine plus attractif (financièrement) aurait attiré des candidats plus expérimentés », relève un membre du personnel. Le faible nombre de candidats qualifiés pour ces postes saisonniers reflète les défis de gestion et de perception au sein de l’entreprise.
Au-delà des questions liées au plan de carrière, d’autres aspects des CCT sont sujets à controverses. La CNE met en lumière une interprétation problématique de ces conventions par la direction. « La direction de Brussels Airlines pense que les CCT leur offrent une marge d’interprétation permettant de contourner les règles, en particulier pour la gestion des horaires de travail », dénonce le syndicat chrétien. Or, cette approche flexible des CCT par la direction crée des situations où les droits des employés sont potentiellement compromis.
Le principal syndicat de la branche de transport donne un exemple concret pour illustrer ce problème. « Lorsqu’on revient d’un vol long-courrier, comme celui de New York, avec un décalage horaire significatif, nos conventions prévoient deux jours de congé. Or, la direction interprète cela en considérant que deux nuits à la maison équivalent à ces deux jours. C’est une distorsion des termes de nos CCT qui affecte notre temps de repos et notre récupération », regrette la CNE. Ce genre d’interprétation, qui réduit le temps de repos accordé aux employés, est un sujet de frustration et de mécontentement.
Augmentation de cas de malaria: des conditions de logement inadaptées en cause ?
Un autre sujet de préoccupation au sein de la filiale de Lufthansa est la création de petits organes, en parallèle des organes officiels (Conseil d’entreprise, Comité pour la prévention et la protection au Travail/CPPT). Ces organes supplémentaires, où certains délégués n’ont pas été élus conformément aux procédures habituelles, sont le lieu de prise de décisions importantes, souvent sans coordination suffisante avec les organes officiels. « Cela crée une situation où les décisions sont prises en interne par des petits groupes, et nous, en tant que délégués officiels, ne sommes pas toujours informés ou impliqués », déplore un membre important de la délégation syndicale.
Plusieurs cas de malaria ont été signalés au cours des deux dernières semaines parmi le personnel navigant et le cockpit, des cas potentiellement liés aux mauvaises conditions de logement.
Le personnel de Brussels Airlines soulève également des problèmes spécifiques liés à certains organes internes tels que l’HOTAC (Hôtel Accommodation) et la PECC (Analyse des Pénibilités et Équilibre des Charges), chargés de vérifier la conformité des conditions d’hébergement et la pénibilité des horaires selon les normes de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA). Un cas problématique a été rapporté à Kinshasa, où l’équipage de bord a été contraint de dormir dans des tentes qualifiées de « luxe ». Cette situation aurait dû être signalée et gérée par le CPPT en raison de ses implications en termes d’hygiène et de sécurité.
En outre, une source bien informée indique que plusieurs cas de malaria ont été signalés au cours des deux dernières semaines parmi le personnel navigant et le cockpit, des cas potentiellement liés aux mauvaises conditions de logement. Suite à leur hébergement en « glamping » au bord d’une rivière, l’équipage a partagé ses préoccupations avec l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers. L’institut aurait souligné l’imprudence de la part du management de loger l’équipage dans un endroit jugé sanitairement inadéquat. « Ce manquement à signaler et à gérer correctement de telles situations révèle des lacunes importantes dans la communication et la prise de décision au sein de l’entreprise », critiquent les agents.
Questions soulevées sur la gestion de la publication des horaires
En ce qui concerne la gestion des horaires, une déléguée syndicale relève que l’agent PECC, chargé de vérifier l’équité des horaires de travail, n’a pas toujours accès aux informations nécessaires en temps utile. « Nos horaires sont censés être publiés le 15 de chaque mois, mais l’examen par le PECC se fait souvent trop tard, limitant leur capacité à apporter des modifications nécessaires. Une fois l’horaire publié, il devient définitif, sauf en cas d’erreur majeure », explique la déléguée syndicale. Cette situation illustre des problèmes systémiques dans la gestion des horaires et la coordination entre les différents organes de l’entreprise.
La loi sur le droit à la déconnexion non respectée
Un autre problème majeur soulevé par les employés concerne la loi sur la déconnexion et la façon dont elle est gérée par la direction. « La loi sur la déconnexion, qui est en vigueur en Belgique, n’est pas respectée par notre direction », dénonce Lucia Lillo, déléguée syndicale CNE. Elle explique que les employés sont souvent sollicités pour accomplir des tâches liées au travail, telles que des cours en ligne (CBT), durant leurs jours de congé, en contradiction avec la législation qui prévoit que toute activité liée au travail doit être planifiée durant les heures de service. « Ces cours en ligne sont censés être faits pendant le temps de travail, mais la réalité est tout autre. Nous sommes contraints de les faire sur notre temps personnel, ce qui va à l’encontre de la loi sur la déconnexion et des réglementations d’EASA », précise-t-elle. Ce non-respect des règles se traduit par une pression accrue sur les employés, qui doivent jongler entre leurs obligations professionnelles et leur temps de repos.
La CNE sous pression par la direction
La période récente a été marquée par des négociations complexes et des tensions liées à une grève potentielle chez Brussels Airlines. Initialement, une grève était prévue pour les 1er, 2 et 3 décembre, mais a été évitée de justesse. Toutefois, la direction a souhaité que la CNE annule complètement la grève pour tout le mois de décembre, une demande à laquelle le syndicat n’a pas adhéré. « Nous étions disposés à suspendre la grève, mais pas à l’annuler complètement », indique Lucia Lillo.
Il est facile d’avoir l’impression que nous faisons grève par caprice ou pour embêter les passagers.
Dans ce contexte tendu, Didier Lebbe, permanent à la CNE, rapporte que la direction a utilisé des tactiques de pression. « Elle a menacé de faire porter la responsabilité à la CNE pour l’absence d’augmentation salariale si nous n’acceptions pas leurs conditions », témoigne-t-il. Cette stratégie a mis le syndicat dans une position délicate, confronté à la nécessité de réévaluer les offres de la direction.
Le conflit s’est cristallisé autour des disparités salariales entre le personnel des vols européens et des long-courriers, nées pendant la pandémie du Covid-19. Le délégué syndical explique que la direction a proposé de nouvelles augmentations salariales et des workshops, mais celles-ci ne couvraient que certains postes spécifiques, laissant de côté une grande partie du personnel.
Division au sein des syndicats
La direction a tenté de convaincre le syndicat en proposant de payer rétroactivement certaines primes, à condition que la CNE accepte l’ensemble de la proposition. Mais le syndicat, doutant des garanties proposées par la direction, a refusé de signer. « Nous n’avions pas la certitude que ces mesures seraient effectivement appliquées », doute Didier Lebbe.
En réponse, la direction aurait exercé une pression accrue, menaçant de communiquer que l’absence de levée totale de la grève par la CNE serait la cause du non-paiement des primes de façon rétroactive. Cette situation a créé un clivage entre les syndicats, certains ayant finalement cédé sous la pression. « Il est facile d’avoir l’impression que nous faisons grève par caprice ou pour embêter les passagers. Mais la réalité est que nous sommes confrontés à de véritables problèmes internes chez Brussels Airlines. Les défis ne concernent pas seulement la productivité ou la rentabilité, ils touchent aussi au respect et à la reconnaissance des employés. Il est crucial de trouver un juste équilibre entre les demandes de l’entreprise et le bien-être du personnel », conclut Lucia Lillo.
Nous observons une régression des conditions de travail depuis une décennie, une tendance qui s’est aggravée avec la pandémie de Covid-19.
Didier Lebbe de la CNE ajoute une dimension supplémentaire à cette analyse. « Nous observons une régression des conditions de travail depuis une décennie, une tendance qui s’est aggravée avec la pandémie de Covid-19. La question se pose : allons-nous suivre un modèle de gestion du personnel comme celui de Ryanair, où le rythme est soutenu et le turnover élevé ? Chez Ryanair, la carrière de personnel navigant est souvent de courte durée, contrairement à ce que nous aspirons à être. Nous ne voulons pas d’un environnement de travail où les employés sont constamment épuisés et remplacés. Notre objectif est de maintenir un milieu professionnel viable et respectueux à long terme », résume-t-il.
Ces perspectives mettent en évidence les enjeux actuels auxquels Brussels Airlines est confrontée : trouver le juste milieu entre les impératifs économiques et le respect des droits et de la qualité de vie de ses employés. La situation appelle à une réflexion approfondie sur les pratiques de gestion et sur la manière dont l’entreprise envisage son avenir et celui de son personnel.
J.F. (st)