LES AGRICULTEURS MONTENT AU CRENEAU

Les agriculteurs se retrouvent dans le pétrin ! Plus de normes, plus de paperasse…

Les agriculteurs ont mené, vendredi 26 janvier, une action de sensibilisation au rond-point des Vaches à Battice (en province de Liège. bePress Photo Agency / BOURGUET

La préservation de l’environnement deviendra-t-elle un caillou dans la chaussure de ces défenseurs de la nature que sont les agriculteurs ? Ce vendredi ce 26 janvier, au rond-point des Vaches à Battice, une centaine d’agriculteurs du plateau du Pays de Herve a tenu à se rassembler pour exprimer sa révolte suite aux nouvelles normes imposées par la PAC agricole 2023. Cette dernière révision de la  Politique agricole commune (PAC) est une décision européenne visant la transition écologique en lien direct avec les objectifs à l’Horizon 2030 établis par les Nations Unies. La Belgique devra dès lors réduire de 50% les émissions de  gaz à effet de serre, et cela semble impacter directement nos agriculteurs. Nous avons rencontré différents représentants de ce secteur, lors de cette action spontanée. Plusieurs manifestants nous ont confié leur désarroi et leur colère.

Loric Locht, étudiant et fils d’un agriculteur qui gère, avec son frère, une ferme à Lontzen d’une centaine de bêtes, est venu soutenir son papa qui n’a pu être présent car le boulot à la ferme ne s’arrête pas. Celle-ci est dans le sillon familial depuis quatre générations. Aux études actuellement, Loric partage la même passion que sa famille, mais n’envisage pas à ce jour de poursuivre dans cette voie sans pouvoir être certain  bénéficier d’un salaire décent.

On s’en fout des primes, on ne veut pas de primes. On aimerait bien que nos produits soient achetés à leur juste valeur.

Son amie Alix (prénom d’emprunt), comptable pour près de 50 fermiers de la région qui sont soumis à l’impôt sur la personne physique, précise : « même si 2022 a été une très bonne année (conditions météorologiques favorables ndlr), les agriculteurs ont été imposés de façon colossale. Or, les exploitants avaient réinvesti ces gains dans les infrastructures, ils ont racheté des machines et donc, cet argent, ils ne l’avaient plus pour payer leur impôt mais aussi leurs prêts bancaires ».

Mais qu’en est-il des aides publiques ? La comptable sourit et explique que ces aides sont taxées soit à du 16,5%, soit à du 33%. Pour elle, l’impôt devrait être retiré avant l’octroi des desdites aides, mieux, ces dernières ne devraient pas être soumises à la taxation !

La colère de nos agriculteurs en janvier dernier. bePress Photo Agency / BOURGUET

 

 

Réduction des marges bénéficiaires                           

Qui dit normes, dit investissements et augmentation des démarches administratives. Ce qui entrainera une diminution de la marge bénéficiaire, mais aussi de parts sur le marché. En effet, le consommateur belge est à la recherche des produits les moins chers, ce que les agriculteurs comprennent et ne jugent pas vu le coût général de la vie actuelle des citoyens.

Morgane Neyken, 21 ans, travaille en tant qu’aidante sur l’exploitation agricole avec son papa qui gère un cheptel de 320 bêtes dont 120 vaches laitières. . Elle travaille également à mi-temps à l’Association wallonne des éleveurs (AWE) et va contrôler dans les fermes les échantillons de lait pour en vérifier la qualité. Elle est présente car elle voudrait que les prix soient valorisés et qu’on arrête l’exportation. « On s’en fout des primes, on ne veut pas de primes. On aimerait bien que nos produits soient achetés à leur juste valeur », s’écrie-t-elle. Elle ambitionne tout de même de reprendre l’exploitation avec son frère qui travaille sur les machines agricoles.

Négociations dans les salons  

Olivier Peters, issu d’une famille d’agriculteurs, est venu en soutien à la manifestation. Pour lui, ce mouvement est bien plus vaste. « La politique s’attaque vraiment à la base de la société. Les agriculteurs, même s’ils ne représentent qu’un faible pourcentage de la société, ils nourrissent 100 % de la population », renchérit-il. Il insiste aussi sur le fait que l’Agenda 2030 est soutenu par le forum économique mondial (Davos, accord de partenariat stratégique signé le 13 juin 2019 afin d’accélérer cet Agenda 2030 de l’ONU, ndlr) et selon lui, c’est là qu’est le problème parce qu’on négocie ailleurs ce qu’on veut ici.

Les agriculteurs, même s’ils ne représentent qu’un faible pourcentage de la société, ils nourrissent 100 % de la population.

Un peu plus loin, nous rencontrons Michel Collé. Il n’est pas propriétaire de terres, mais travaille dans une ferme à Soumagne. Avec son tracteur, depuis 50 ans, il laboure les champs de maïs et de céréales. Vivant seul, il peut subvenir à ses besoins mais ne peut s’offrir d’extras avec un salaire au ras des pâquerettes. Pour lui : « soutenir les agriculteurs, c’est soutenir son emploi !».

bePress Photo Agency / BOURGUET

Les pancartes expriment la colère et le désarroi des agriculteurs. (Photo Philippe BOURGUET / bePress Photo Agency/bppa.be).

Des produits importés non soumis aux mêmes normes

La ronde se poursuit et nous rencontrons une famille. Cindy Poncelet et son mari Fabian Lempereur sont accompagnés de leurs trois enfants de 4 ans, 2 ans et 1 an. Ils sont présents car, nous dit la maman : « C’est pour eux qu’on se bat aussi, c’est pour leur futur à eux ». Ils travaillent tous les deux dans une exploitation laitière d’une centaine d’hectares avec les parents de Fabian.

Le lait qu’ils produisent est revendu à la Laiterie des Ardennes qui le revend, à son tour, aux grandes surfaces. Actuellement précisent-ils, « le litre de lait est revendu à 40 centimes, mais tout a augmenté, les aliments (pour les animaux), les machines agricoles aussi ».

Ces pays hors UE  pulvérisent avec des produits phytos interdits chez nous et ne lésinent pas sur la quantité.

La raison principale de leur présence est leur indignation quant au fait qu’on laisse rentrer des produits étrangers qui ne sont pas soumis aux mêmes réglementations. D’une part, l’Europe vise une agriculture de qualité et plus respectueuse de l’environnement, d’autre part, les produits importés des pays hors UE sont exemptés de ces mêmes normes. «  Il y a quelques jours, proteste Cindy, un accord a été signé avec le Chili  (le conseil européen a adopté, le 16 janvier 2024, deux décisions pour l’accord-cadre avancé, ndlr) pour faire entrer des aliments qui n’ont pas les mêmes normes que les nôtres. On nous étrangle et on met le pays plus propre que ce qu’il ne faut pour faire beau extérieurement, mais on amène, entre guillemets, de la « merde » sur le territoire ». Fabian ajoute que contrairement aux réglementations belges, « ces pays hors UE  pulvérisent avec des produits phytos interdits chez nous et ne lésinent pas sur la quantité ».

Lourdeur administrative 

Enfin, Gérard Rixhon est un producteur bio. Il gère une ferme de 120 hectares où il élève  des bovins viandeux. Il a diversifié son activité en cultivant des céréales panifiables. Il parle du « verdissement » et explique qu’il s’agit « d’actions que les agriculteurs doivent faire sur leurs cultures, sur leurs prairies, et ce dans le respect de la biodiversité, l’environnement, etc. En compensation, l’Europe octroie des aides financières qui sont d’une part, un montant fixe calculé proportionnellement à la superficie exploitée et, d’autre part, des subsides attribués en fonction de la nature des produits de chaque agriculteur ».

Toutefois, force est de constater que, pour bénéficier des aides financières, l’agriculteur est soumis à une lourdeur administrative. Au minimum un jour par semaine, l’agriculteur se retrouve à remplir des documents et à essayer de comprendre pas moins de 70 textes de lois qui leur seront imposés par la PAC 2023. Un dur labeur attend nos agriculteurs…

I.R.