Opinion. Le quotidien des Sénégalais se conjugue désormais avec grèves et manifestations
Après l’annulation des élections par le président de la république du Sénégal, l’assemblée nationale vote la date du report. Ce qui entraine encore des violences et des morts. Le samedi 3 février 2024, Macky Sall prenait la décision historique d’annuler l’élection présidentielle du 25 février 2024 sans motif valable. Durant la journée du dimanche, cette décision, contestée par l’écrasante majorité des Sénégalais, déclenche de violentes manifestations dans plusieurs localités du pays notamment dans la région Dakar, Thiès, Ziguinchor, etc. Ces manifestations ont continué jusqu’au lundi 6 février, car l’Assemblée Nationale devait voter une loi fixant une nouvelle date de l’élection présentielle et en même temps prolonger le mandat du président de la république qui expire normalement le 2 avril prochain. Toutes les grandes artères de Dakar furent barricadées par les Forces de défense et de sécurité (FDS). Néanmoins, cela n’a pas empêché les manifestants d’exprimer leur désapprobation par rapport à ce projet de loi tout en réclamant le maintien de l’élection. Afin de contrecarrer leurs actions, l’Etat a coupé les connexions Internet mobile du dimanche 4 au mercredi 7 février à 8h. Cette censure de l’Internet mobile eut des conséquences économiques énormes, car des milliers de Sénégalais travaillant surtout dans le secteur informel l’utilisent pour leurs services. Dans la même foulée, la télé Walf se voit retirer son agrément, un autre grand recul démocratique concernant la liberté de la presse.
Le lundi 5 février, l’Assemblée Nationale se réunissait pour voter la loi fixant la date de l’élection présidentielle et prolongeant le mandat du président. La séance est marquée par des violences au sein même de l’hémicycle. Des députés de l’opposition sont opposés au vote et dans la nuit, aux alentours de 22h, le président de l’institution fit appel à la gendarmerie. Cette dernière fit irruption dans l’hémicycle pour faire évacuer de force les députés frondeurs de l’opposition. Finalement la loi est votée par 105 députés de la mouvance présidentielle et du Parti démocratique sénégalais (PDS) : elle fixe l’élection présidentielle au15 décembre 2024.
Condamnation de la Communauté internationale et des morts !
Sur la scène internationale, Les réactions sont unanimes face à cette situation inédite du Sénégal. L’Union Européenne, les Etats-Unis et la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) condamnent cette forfaiture venant du président Macky Sall et demande le maintien de l’élection présidentielle à la date du 25 février 2024. Au niveau national, les organisations de la société civile, les syndicats, les partis politiques, des religieux et autres forces vives nationales se désolent aussi de ce coup d’Etat.
Au niveau national, les organisations de la société civile, les syndicats, les partis politiques, des religieux et autres forces vives nationales se désolent aussi de ce coup d’Etat.
Sous leur impulsion, une plateforme dénommée « AAR SUNU ELECTION » (Protégeons notre élection) est née. Dès le vendredi 9 février, elle démarra ses activités par un débrayage à 10h dans toutes les écoles du Sénégal et une série de manifestations. L’après-midi du vendredi est marquée par des manifestations dites pacifiques à partir de 15h dans plusieurs villes du pays. Elles débouchent sur des heurts avec les Forces de défense et de sécurité dans plusieurs localités comme Dakar, Thiès, Kaolack, Kolda, Ziguinchor, Mbacké, Saint Louis, suivis de plusieurs centaines d’arrestations.
Les manifestations se sont poursuivies le samedi et le dimanche, entraînant la mort de trois jeunes dont un étudiant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. La mort d’un jeune à Ziguinchor provoqua la mise à feu du collège d’enseignement moyen de Boucotte. Cette semaine s’annonce déjà chaude. La journée de lundi 12 février a été marquée par une grève des élèves. Dès ce mercredi 14 février, du primaire à l’université, les enseignants partent grève aussi. Des manifestations ont eu lieu partout au Sénégal ce mardi après-midi 13 février.
Des réformes institutionnelles !
De toute évidence, il est clair que des réformes institutionnelles s’imposent au Sénégal, si l’on veut éviter que de pareilles situations ne se reproduisent. Cela passe nécessairement par la réduction de l’hyperpuissance du statut de Président de la république. En effet, avec le système présidentiel, il exerce une grande influence sur le législatif, le judicaire et même l’exécutif. Pour contrecarrer cela, un régime parlementaire est plus que jamais impératif.
Il est clair que des réformes institutionnelles s’imposent au Sénégal, si l’on veut éviter que de pareilles situations ne se reproduisent.
Des candidatures indépendantes doivent être autorisées pour l’élection législative au niveau départemental tout en supprimant les listes proportionnelles. Une commission d’enquête est plus que jamais nécessaire afin d’identifier les responsabilités concernant tous les morts dus aux violences politiques et dédommager les victimes. Une place plus importante doit être donnée à l’éducation civique face à la dégradation de nos valeurs ancestrales de la part surtout des autorités politiques. Le respect de la parole donnée constituait une valeur essentielle de la société sénégalaise précoloniale aux années 1990. Cependant, elle s’effrite depuis les années 2000.
La situation pourrait être plus délicate pour le Président de la République si toutefois la Cour suprême infirme son décret annulant l’élection présidentielle et que le Conseil constitutionnel juge anticonstitutionnel la loi sur le report et la prolongation de son mandat suite aux recours introduits par des partis d’opposition.
Serigne Saliou Leye
Professeur d’histoire et géographie au Sénégal
Diplômé en Justices Transitionnelles (Université Catholique de Louvain/Université Libre de Bruxelles)